Chers Frères et Soeurs,

Tout d’abord, permettez-moi de vous transmettre mes félécitations les plus chaleureuses pour votre succèss remporté haut la main dans la première élection libre et démocratique dans l’histoire de la Tunisie. Cette élection, jugée transparente et répondant aux standards démocratiques par les observateurs internationaux, a mis la Tunisie sur la nouvelle carte géostrategique du Monde!

Une bonne partie du peuple Tunisien a voté pour Ennahdha pour au moins deux raisons: le movement est vu comme la gardienne de son identité Arabo-Musulmane, et surtout perçu comme une forteresse bâtie par des mains résistantes et propres qui craignent Dieu, donc non corruptibles.

Ceci est d’autant à votre honneur que votre parti, tout récemment légalisé, n’a pas eu le temps de se forger à la dure réalite de la politique et à s’épanouir dans un environnement serein et libre. Mais le peuple Tunisien, fort de son sens de sagesse inné, a su reconnaître les malheurs, les persécutions, les emprisonnements, l’exil, voire même l’élimination physique que les milliers de militants nahdhaouis ont subis et endurés, et par conséquent a accordé sa confiance à ces hommes et femmes qui ont resisté à l’autocratie et n’ont pas fléchi comme pas mal de repentis (y inclus ceux de la dernière heure).

Cependant, faut-il vous rappeler que dans l’histoire, du moins contemporaine, beaucoup d’exemples ont montré que le fait de réussir en tant que révolutionnaire ne veut pas dire nécessairement être apte à bien gouverner et capable d’assumer la charge des affaires d’un État moderne. Autrement dit, l’excellence dans le militantisme politique n’est pas synonyme d’aptitude à la bonne gouvernance. C’est dans ce contexte, que j’ai eu des frissons quant j’ai lu les informations colportées sur le Net (que j’espère des “rumeurs”) qui accordent à Ennahdha 11 postes ministériels, dont celui de premier Ministre.

Il est bien évident légitime qu’un parti vainqueur gouverne et que la base qui a voté pour lui a le droit d’éxiger que ses répresentants élus soient aux commandes pour répondre à ses aspirations. C’est bien le sens proper de tout jeu politique. Mais il ne faut pas se leurrer et surtout se tromper d’étape: la Tunisie est actuellement en phase de transition, limitée dans le temps, où la mission principale pour les élus est de rédiger et faire adopter par le peuple une constitution, construire les institutions démocratiques, et mener une governance à même de satisfaire les besoins les plus pressants du peuple Tunisien.

Pour mener à bien cette gouvernance, il faut des compétences rompues avec les rouages de l’administration et les affaires de l’État. Or mes frères et soeurs, la majorité d’entre vous (dirigeants nahdahouis) a été exilée, emprisonnée ou vivant sous surveillance, et n’a pas eu, malheureusement, ni l’occasion, ni l’expérience requise pour pouvoir s’acquitter tout de suite de charges ministérielles (il n’y a pas de honte à cela, ce n’était pas de votre faute). Il n’y a aucun doute que les dirigeants nahdhaouis sont très compétents dans différents domaines et sont dotés de qualités intrinsèques inégalées, telles l’honnêteté ou l’ intégrité. Mais cela n’est pas suffisant pour gérer des portefeuilles ministériels qui exigent une connaissance du domaine de compétence du Ministére, les hommes et femmes qui y travaillent, les procédures administratives qui régissent ses activités, les relations avec les différents partenaires nationaux et étrangers, et surtout les mécanismes décisionnels à haut niveau!

Je donne un exemple pour illustrer mes propos: le Ministère des affaires étrangères a des traditions diplomatiques qui sont difficiles à appréhender par un intrus à cette communité, et surtout s’y accommoder très rapidement. Dans les cinquantes dernières, ceux qui ont été parachutés dans ce Ministère ont eu du mal à s’accrocher, malgré les mesures coercitives du régime autocratique. Je suggère que le postulant Samir Dilou (par ailleurs très brilliant, très éloquent dans ses interventions, et une étoile montante parmi les jeunes dirigeants nahdahouis) commence par être nommé Secrétaire d’État chargé, par exemple, des Affaires Maghrébines (notre voisinage le plus proche et le plus pressant à developper). En une année ou deux, il aura acquis une certaine expérience qui, si elle est concluante, lui permettrait de grimper les échelons, et pourquoi pas être nommé Ministre des Affaires Étrangères. Je ne citerai pas le cas des autres dirigeants nahdhaouis qui vont pratiquement sauter de la prison, de l’exil ou de l’isolement ou ils/elles étaient confinés vers un des Ministères, avant même de s’insérer dans la société et y retrouver leurs bons repères!

Par ailleurs, je ne sais pas si les dirigeants d’Ennahdha sont rompus avec les pièges et les petits “trucs” de la chose politique. Il y a un arsenal et un jargon de termes politiques dont les politiciens de notre temps doivent s’en armer: le “hors contexte”, la “théorie de conspiration”, le “politiquement correct”, le “dérobage”, que sais-je … La politique est un terrain de sable mouvant pour les honnêtes et les intègres. Les nahdhaouis ont besoin de s’y initier à petite dose, sinon ils vont tout de suite perdre leurs âmes!

En un mot, si les dirigeants d’Ennahdha postulent pour plus de trois ou quatre postes, je serais tres deçu et je vais avoir peur pour la Tunisie nouvelle (ils doivent choisir des compétences confirmées et qui respectent les principes et les valeurs d’Ennahdha). Les autres partis, notamment les “modernistes” et autres “eradictionistes”, vont les boycotter et vont être aux aguets pour toute erreur, soit-elle minime. Ennahdha, non outillée pour déjouer les pièges tendus, va en pâtir, et malheureusement toute la Tunisie aussi. Ainsi, on aura gaspillé une chance historique de faire de la Tunisie un modèle de reconciliation de son identité Arabo-Musulmane avec les avancées humaines (la modernité, pour les uns), que tout le reste du monde attend de voir avec impatience. J’espère me tromper, mais mon expérience antérieure de haut fonctionnaire Tunisien me laisse tres sceptique si cet assaut des dirigeants nahdahouis vers des postes, pour lesquels ils ne sont pas bien préparés, se réalise.

Malheureusement, il y a lieu de constater que le magnétisme du pouvoir n’a jamais cessé d’attirer les gens de tout bord, et si les dirigeants nahdhaouis prendraient 11 postes ministériels, ils ne vont échapper d’y succomber! J’espère que mon appel sera entendu par mes compatriotes, notamment les braves dirigeants d’Ennahdha.

Avec tous mes respects,

Omar Ben Héla

Ancien Haut Fonctionnaire