Les articles publiés dans cette rubrique ne reflètent pas nécessairement les opinions de Nawaat.

Je vais le dire dès le début : je suis un sympathisant du Parti Démocrate Progressiste (PDP) et toujours fier de l’être. Pour moi, le 23/10/2011 sera gravé à jamais comme un jour sombre de ma vie et de la vie de tous les tunisiens. Eh oui ! Ce n’est pas une fête comme le crie et chante tout le monde mais un 7 novembre 1987 bis. Tous les tunisiens ont clamé fort Ben Ali lorsqu’il a « sauvé » le pays et écarté Bourguiba du pouvoir. La Tunisie était dans le chaos et la crainte d’une guerre civile était inébranlable. Ben Ali était le sauveur. Il promettait la stabilité, la prospérité économique et surtout la démocratie. Les tunisiens scandaient alors « yahya Ben Ali » et même les élites et les supposés opposants étaient réjouis. Malheureusement, les mêmes scènes se répètent aujourd’hui.

Je n’entends pas par là que le 23/10 et le 7/11 soient identiques mais je dirais que notre joie actuelle donnera, peut être, naissance à un mauvais remake de l’époque 1987-2011. C’est vrai que nous sommes allés librement voter en plongeant notre doigt et peut être notre destin dans une encre sombre mais comment expliquer les résultats. Comment le peuple tunisien a-t-il pu être dupe à ce point ? Comment explique-t-il son choix ? Comment présage-t-il son avenir ?

Tout d’abord, la campagne électorale était médiocre. Des personnes, parfois amusantes, passaient à la télé pour nous exposer leurs promesses. Nous n’avons vu aucun débat sérieux sur la forme de « notre » future constitution. Un total black out intellectuel cédait la place à des querelles stériles et à la limite, débiles. Le film diffusé par NessmaTv a attisé des peurs, infondées, pour l’avenir l’islam en Tunisie et les marchands de la religion en ont vu une occasion, à ne pas rater, pour se positionner comme des sauveurs de la nation (ça vous rappelle quelqu’un ?). On parlait de tout dans cette campagne sauf de politique. A côté de ce vide, surviennent également sur le terrain des actes d’intimidation et de séduction des électeurs à travers d’une part, un discours populiste sur la préservation de l’identité arabo-musulmane de la Tunisie et d’autre part, des opérations structurées d’achat de voix. Des chaînes de télévision se relayaient aussi pour nous montrer des chefs de partis « de grande envergure ». Des chefs qui distribuent des promesses et non des programmes. Dans « Essaraha Raha », Mustapha Ben Jaafer a transmis une image d’une personne calme, sereine et habile dans ses gestes et ses dires. Ettakatol est le parti des consensus, le parti qui ne refuse jamais la main tendue des autres même si celle-ci pue l’hypocrisie et la corruption politique. Ettakatol promet de créer immédiatement 100.00 emplois (à faible valeur ajoutée) dans la fonction publique et donc de creuser notre déficit budgétaire, mais personne ne s’en soucie. Le plus important pour les tunisiens c’est le sourire de Ben Jaafer, si attachant et si gentil. Marzouki, le médecin du peuple qui habite à El Kantaoui, le révolutionnaire qui n’a pas changé de discours même après le 14/01/2011. Marzouki qui nous prescrit non pas des médicaments, mais des partis « honnêtes » à qui voter. Marzouki qui attaque tout le monde sauf Ennahdha. Marzouki qui n’a aucun programme et qui est si populaire. Qui plus est, la campagne électorale nous a révélé un nouvel humoriste de la scène politico-médiatique, un certain Hechmi Hamdi, « ba3ith » la chaîne d’El Mustakilla. Celui-ci ne joue pas sur le physique comme Ben Jaafer ou sur le ton révolutionnaire comme Marzouki mais sur un programme en fer. Ce Hamdi, avec son accent de bédouin, promet un système de soins gratuits, une indemnité de chômage entre autres. Au début, tout le monde ne le prenait pas au sérieux et croyait que le peuple tunisien était assez intelligent pour ne pas croire ses âneries. Hélas, les résultats montrent que la liste de HH se place dans le peloton de tête. A Sidi Bouzid, elle obtient le plus grand nombre de voix. Les gens de Sidi Bouzid, d’où « la révolution » a commencé, ont voté pour « un fils du bled » qui défendait depuis plus de dix ans le régime de Ben Ali !!! Bizarre non !!! (voir la vidéo). J’avais une grande estime pour votre hargne, cher peuple de Bouzid. Aujourd’hui, vous me décevez car vous avez tué, par « vos doigts », votre révolte.

l’ISIE a fortement attaqué le PDP lorsqu’il était obligé de prolonger sa campagne publicitaire au-delà du 12/09 (pour cause de contrats signé et payés à l’avance) mais personne n’a condamné ce HH qui utilise sa chaîne de télévision (étrangère) pour promouvoir un discours simpliste et misérable. Pourquoi n’a-t-il pas été puni ? Comment avons-nous permis à n’importe qui de bluffer des milliers de gens ? Est-ce ça la démocratie ? Comment faire de la politique par la ruse et le mensonge ?

Le jour du 23/10/2011, des millions de gens se sont rués vers les urnes pour voter. Entant qu’observateur de ces élections, j’ai vu des gens qui influençaient d’autres. J’ai vu des gens à qui on inscrivait le numéro de la liste à voter dans la main. J’ai vu des gens qui ne savent rien des enjeux de ces élections et qui viennent juste pour accomplir un devoir « sain ». Je dirais, sans être scientifiquement précis, que 10 à 15% des votes sont biaisés. Pour qui les Tunisiens ont-ils voté ? Pour un programme, un avenir prospère ou pour une idéologie ? Pour des gens compétents et experts dans leurs domaines ou pour d’autres dont la seule qualité est la pieuseté. Le régionalisme est aussi le grand gagnant des urnes. A Mahdia, Afek Tounes a battu Ennahdha pour les yeux de Yassine Ibrahim. A Sousse et à Monastir, on a voté pour « un sahli » même si ce dernier est un RCDiste pur et dur. Il est aussi pertinent d’évoquer les irrégularités qui ont entaché ces élections à l’intérieur comme à l’extérieur du pays. A Qatar par exemple, les bulletins de vote ont été remplis au préalable pour le compte d’Ennahdha et les électeurs n’ont eu qu’à les mettre dans les urnes. Lorsque Rached Ghannouchi prévenait contre la falsification de ces élections, en fait, Ennahdha, en est le premier responsable.

Les résultats sont certes catastrophiques pour le PDP, le PDM mais surtout pour la Tunisie. La raison est que les Tunisiens ont voté en suivant leurs émotions et non pas pour un programme. Les Tunisiens à l’étranger, qui, pour la plupart d’entre eux, vivent dans des pays démocratiques, ont massivement voté pour Ennahdha. J’aimerai bien voir leur réaction lorsque des partis d’extrême droite gagneront de futures élections dans leur pays hôtes. On sera content de les accueillir dans une Tunisie guidée par un parti islamiste.

D’ici quelques mois, commencera la campagne électorale présidentielle en France. Il y aura une confrontation entre deux camps : le camp de droite guidé par Nicolas Sarkozy et un autre de gauche dont le leader est François Hollande. Nous allons voir un combat d’idées et de programmes, de chiffres et de visions de l’avenir. La personnalité de Sarkozy est certes problématique à plusieurs égards mais nul ne peut garantir le gain d’un Hollande, indécis et politiquement mou (ça me rappelle un certain Ben Jaafer). J’invite les tunisiens à voir cette campagne et à étudier les raisons qui vont faire pencher la balance d’un côté ou d’un autre.

Revenons en Tunisie pour dire que c’est maintenant à Ennahdha, au CPR et éventuellement à Ettakatol de prendre les rennes du pays et de résoudre les problèmes incessants des Tunisiens : insécurité, chômage, pauvreté. Ennahdha doit créer 600.000 postes d’emploi dans les 4 années à venir et réaliser 7% de taux de croissance annuel. Fini les temps de la victimisation et des pleurs sur le sort de vos militants et « martyrs ». Désormais, vous devez assumer vos responsabilités en vue d’équilibrer la situation économique et sociale du pays et faire de la Tunisie, une nouvelle Turquie. J’adresse aussi mon message à Marzouki de qui j’attends des mesures pour réformer le système judiciaire, lui qui n’arrête pas de crier contre une justice incapable d’être juste.

D’ici quelques jours, nous verrons s’installer un nouvelle assemblée qui va choisir son président, un président de la république (ça sera la guerre entre Marzouki, Ben Jaafer et pourquoi pas Hamdi qui siégerait à Cité Ettathamen) et un premier ministre (un nahdhoui ou un technocrate) et ça prendra peut-être des années jusqu’à ce qu’on puisse édifier une constitution. En effet, Marzouki refuse de travailler sur ce chantier en une seule année. Ennahdha et Ettakaol ont certes signé l’accord sur une durée d’une seule année mais aucune loi ne les oblige à respecter cette clause puisque tout ce qui a été écrit avant le 23 est illégitime. Lorsque le PDP a proclamé le droit au peuple d’imposer par référendum une durée légale pour l’assemblée constituante, tout le monde s’y est opposé et on a qualifié cette demande de non respectueuse de la volonté du peuple. Comment peut-on empêcher cette assemblée maintenant ou dans un an de perdurer ? Sans être alarmiste, je dirais que le 23, nous avons choisi nos futurs dictateurs.

Mon dernier mot serait à l’adresse des responsables et leaders du PDP. Bien que le peuple Tunisien ne soit pas encore prêt à la démocratie et bien que des irrégularités et des inconvenances ont perturbé le déroulement des élections, des points doivent être mis sur les « i ». J’insisterai sur l’image de marque du parti et de ses leaders. A côté d’un Ben Jaafer calme, nous avons un ANC impulsif et nerveux. A côté d’un Marzouki révolté contre les injustices du système, nous avons un ANC complaisant envers un certain Tekkari. A côté d’un Ghannouchi qui insulte les RCDistes et qui les accueille à bras ouvert, nous avons une campagne nationale contre l’adhésion des ces RCDistes au (seul) PDP. Lorsqu’Ahmed Ibrahim et Mustapha Ben Jaafer ont intégré le gouvernement de Mohamed Ghannouchi (le dernier s’est désisté à la dernière minute pour des raisons politiciennes), seul ANC a été taxé d’infidèle aux principes de la « révolution ». L’échec du PDP est certainement le résultat d’une opération orchestrée de déformation de son image (anti-religion, pro-RCD, opportuniste….), mais je dirais aussi que PDP n’a pas su comprendre le caractère et les besoins des Tunisiens. Ce peuple ne veut entendre que ce qu’il aime entendre. Parler d’un programme chiffré, comme l’a fait le PDP, est secondaire. La position du parti, perçue comme hautaine à l’égard des tunisiens, a aussi considérablement terni sa réputation.

Le PDP n’a pas su aussi capitaliser sur son passé de parti militant contre la dictature de Ben Ali. Malgré qu’il soit aux premiers rangs dans la révolte du 14/1 (les images et vidéos le prouvent), seuls Marzouki et les islamistes en ont bénéficié. De Paris et de Londres et via Aljazeera, ils prétendent avoir renversé le despote, Ridicule ! Il faut maintenant rester dans l’opposition et ne jamais vendre son âme à Ennahdha comme le feront les autres. L’avenir nous donnera raison car le PDP est le seul parti qui n’a pas essayé de tromper les Tunisiens. Rendez-vous le 23/10/2012, nous ferons notre propre révolution.