A l’approche des premières élections libres et démocratiques que va connaitre la Tunisie, beaucoup de sentiments envahissent les Tunisiens : attente, joie, curiosité, plaisir, crainte et peur s’entremêlent. Chacun essayant de se positionner, à travers ses idées et ses actes .Tout un chacun se compose et se façonne une identité. Une mimésis s’opère et les phénomènes de masse voient le jour. Diverses mises en scène personnelles trouvent spectateurs à leur gout. Chacun s’accapare de nouveaux discours et de nouveaux travestissements remontent à la surface. Jusqu’à ce que la violence se déchaine comme l’on a vu ces derniers jours à propos de la diffusion du film Persépolis. Mais la violence est la depuis quelques temps on peut remonter à ce qu’on a appelé les violences entre tribus à l’intérieur du pays et cela dans plusieurs régions, la violence entre les marchands ambulants dans les souks de la capitale. Et puis n’oublions pas les violences dans les stades mêmes après le 14 janvier : ce qui fait que jusqu’à nouvel ordre les rencontres de foot se déroulent en huis clos. Le résultat affligeant de ces vagues successives de violence « intercommunautaires » c’est le nombre de morts et de blessés. Après cela chacun est allé de sa petite explication des faits et des causes : les années mauves de dictature, règlement de comptes entre des tribus ou des mafieux, manipulations par des anciens RCD, médias, laïcité ,salafistes, partis politiques, syndicats, franc-maçon, pays étrangers, forces occultes, dommages collatéraux de la démocratie. Tout et n’importe quoi pourvu que l’on cache cela par une explication et que l’on n’entende plus parler jusqu’aux prochaines violences.

Nous constatons que plusieurs Tunisie sont apparues se jaugeant se défiant se méfiant l’une de l’autre jusqu’à se haïr. Des Tunisie qui peut être ne se sont jamais rencontrées qui n’ont jamais dialoguées, parlées du sacré et du profane, de leurs tabous de leurs angoisses et phobies, de leur espoirs, de leurs différences et croyances. Toujours aliénées à des images « fédératrices » émises par les pouvoirs : le tunisien joli et gentil, accueillant, pensant au trousseau du mariage, à la maison, à la voiture, aux prêts bancaires, aux quatre bières ou la chicha après le travail, à l’Espérance, à l’Etoile. Un tunisien qui s’est retrouvé aliéner à un rêve petit bourgeois ou tout lui était imposé par le système, même le gout. Peut être qu’il n’a jamais eu l’occasion de discuter sans masques et faux fuyants de son conservatisme, de son hypocrisie, de son régionalisme, de son racisme, de sa schizophrénie, de pédophilie, de tourisme sexuel, du sida, de préservatif, de la virginité avant le mariage, de pulsions qui sont en lui et qu’il ne trouve comme langage que l’obscénité, l’insulte, le blasphème et la violence comme uniques moyens d’expression. A travers la provocation, qui est une façon de remettre la réalité sur ses pieds disait Brecht, nous voulons communiquer, exprimer et choquer en même temps pour marquer son territoire et dire j’existe.

Pour ne plus occulter, fermer les yeux et ne plus laisser Facebook nous leurrer sur nôtre solitude: réfléchissons les alternatives et mettons en place des forums de discussions publiques dans les médias, à l’école, l’université. Forums sur les lieux de travail pour parler avec respect et dignité de nôtre « tunisianité », de la liberté, de l’Autre pour nous accepter et nous tolérer. Peut être qu’il est grand temps de faire nôtre révolution culturelle sans s’attacher à aucun modèle : inventons nôtre révolution culturelle maintenant sans attendre, dans l’urgence, avec l’avènement de la constituante. Les grands chantiers de la pensée, de la réflexion et de la culture doivent être entrepris le plus rapidement possible. Le « vivre ensemble » doit s’inventer. Et cela ne doit pas être des discussions et des débats entre initiés dans des colloques et symposiums mais des réflexions populaires et citoyennes ou doivent être tracées les feuilles de routes des générations futures. Les grands chantiers passent par une remise en question non pas du système uniquement mais de tout un mode de pensée.
« Rien n’est jamais acquis à l’homme ni sa force, ni sa faiblesse ni son cœur » [1] Il faut muter d’un mode de pensée unique à un mode avec plusieurs variables, d’un repère absolu à des repères relatifs. Mais tout cela sans oublier que nous ne sommes pas seul au monde et sans nombrilisme. Alors mutons.

[1] Il n’y a pas d’amour heureux de Louis Aragon