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Par Hedi Sraieb.

Parmi les joyeusetés sordides et dramatiques de l’héritage que nous lègue ce régime corrompu et prédateur, il y a cet incivisme largement partagé.
Ce sans « savoir vivre » ce non soucis du « bien commun », termes définis négativement sont en fait piégés par le moralisme.

Concrètement, cet incivisme multiforme se décline en vandalisme puéril qui s’attaque aux bâtiments publics. Mais aussi celui plus pernicieux, mais moins visible de couches plus aisées du vandalisme archéologique, du vandalisme cupide de la spéculation immobilière, de la ghettoïsation « naturelle », de l’appropriation d’espaces factices de l’entre-soi, du show off partagé, et bien d’autres symptômes.

Les constructions sauvages, l’accaparement des chaussées, les ordures disséminées, les incendies volontaires de forêts, sont autant de signes de cette incivilité, mais ils masquent à force de les répéter, ceux à l’autre bout de l’incivisme à bonne conscience, du gaspillage consumériste, par un processus d’accaparement « privatif » du bien commun, en créant ses propres espaces, zone d’achalandages et de loisirs inaccessibles au reste de la population, sans argent, sans référent.
Toutes ces dérives ont fini par s’enraciner au plus profond des comportements.

Anecdotique peut-être. Mais observez ce chef d’entreprise rigoureux, économe, rationnel et juste dans sa gestion, mais dispendieux avec sa progéniture, la gavant à souhait, lui évitant les dures réalités par le jeu des passe-droits et des amitiés complices. Tellement « naturel » que cela finit par en être absurde.
Une bonne conscience à moindre frais, assouvie et confortée par quelques actes de charité. En mots simples : Chez moi d’accord, dehors le bien commun n’est pas mon problème.

Cette fausse règle de vie tellement ancrée, a fini par pénétrer si profondément la société, qu’elle pourrait, presque, être déclinée à l’infini : Moi d’abord, ensuite ma famille, ensuite mes amis, ensuite mes voisins, ensuite ma région….

Le régime et son système inique, a fini par détruire toutes les formes les plus élémentaires de solidarités, du vivre ensemble ne laissant subsister que quelques poches pour l’action caritative des ONG.

Laissons le soin, à tout un chacun, d’identifier tous ces manquements au respect du bien commun, absouts, disculpés, auto-pardonnés…dont le « piston », « le réseau », « le passe droit », ne sont que les épiphénomènes les plus visibles.

Certes le régime était corrompu, mais il a réussi ce tour de force, de corrompre bien au-delà du stricte nécessaire à sa propre survie. Il a entrainé dans son sillage nombre de couches qui ont fini par ériger en règle d’or, la pratique des « maa’rfa » et du « mraski »

Le mal est profond et sera probablement très long à extirper et bien au-delà du seul territoire. « Le show-off » de certains immigrés affublés d’un consumérisme tapageur, rentrant au pays, jusqu’au jugement de ce binational un peu désorienté qui parle de la loi des 3 appartenances pour la réussite sociale en Tunisie : appartenance à un «nom de famille », appartenance à « un clan », appartenance à un « réseau d’initiés ».

Une frange petitement aisée, comme celle beaucoup plus nantie, a aussi fait « sienne » ce sauve-qui-peut généralisé et inconscient : j’ai mis mes enfants dans le privé, je me soigne en clinique, et tant d’autres habitudes, de comportements, de réflexes qui ont lentement et subrepticement fini par détruire aussi ce bien commun, et au final à faire voler en éclat le « consensus du vivre ensemble ».

Le propos ici, ne nous méprenons pas n’est pas l’auto-culpabilisation stérile. Il ne s’agit pas de s’auto-flageller. La réponse n’est pas individuelle mais sociale et collective. Elle passe d’abord par l’Etat, son personnel, les dirigeants des partis comme ceux des entreprises, mais aussi les leaders d’opinion.
Donner l’exemple, aussi trivial que cela puisse paraître est une nécessité impérieuse.

Un Etat frugal, sobre, modeste, débarrassé des oripeaux de la fonction d’autorité, des attributs de préséance excessive, des honneurs comme des privilèges abusifs, serait probablement bien accueilli dans une société en plein désarroi, et donnerait un signe fort, visible par tous.

Cela permettrait d’augurer d’une nouvelle ère. Les signes et la symbolique ont aussi leur place dans ce moment historique que vit le pays. « El’haakem », terme générique flou mais partagé par une large fraction de la population, doit céder la place tant au niveau de l’image que dans les faits, à un personnage ordinaire soucieux du bien commun.

Probablement un vœu pieux, les mœurs sociales étriquées, les conservatismes ancrés à tous les étages, mettront longtemps à se dissiper. La direction à suivre se dessine encore fragile, mais elle n’est pas au-delà des bonnes paroles et des prêches lénifiants, aussi largement partagée qu’on ne le croit, aussi facilement à traduire dans les actes et dans les faits.

Quelles méthodes à appliquer contre le clanisme, le familialisme et le clientélisme régional, encore une vraie seconde nature ? L’une probable des réponses viendra aussi du renouveau de la société civile. Ses associations qui naissent en nombre important et qui doivent impérativement être accompagnées dans cet effort de conquête d’une citoyenneté nouvelle.