Moins de 15 jours nous séparent d’un scrutin crucial que tout un peuple appréhende avec un sentiment mitigé d’espérance et d’inquiétude, de déterminisme et de fatalisme…

Les élections de l’assemblée constituante, prévues le 23 octobre prochain, se faufilent, ainsi, pleines d’incertitudes au vu d’une situation générale au pays jugée délicate.

Quant aux répercussions de ce scrutin, et peu importe son issue, elles dépasseraient le cadre national et modifieraient, inéluctablement, la carte géopolitique de toute la région qui est en perpétuelle mutation depuis l’avènement de la “révolution” tunisienne.

Mais ce qui préoccupe nos concitoyens, qu’ils soient avertis ou non, est le nouveau paysage politique qui émergera au lendemain de ces élections.
A en croire le peu de sondages, disponibles, le mouvement Ennahdha est donné grand gagnant …une tendance qui ne fléchit pas depuis des mois au grand dam d’une frange de la population.

Aussi cette victoire, si elle se confirme, ne serait-elle pas incontestable car sortie des urnes ? Le peuple souverain en a décidé ainsi. C’est la loi de la démocratie !!!

Seulement, cette victoire, pourtant prévisible, n’a cessé de susciter des interrogations légitimes, raviver des souvenirs enfouis et générer des angoisses des plus inquiétantes…

Se rendant compte de cette situation explosive et de l’opportunité qui s’offre à lui, enfin, pour accéder au pouvoir, le mouvement Ennahdha a joué la carte de l’apaisement et de la non confrontation ni avec le pouvoir transitoire ni avec ses détracteurs des partis politiques et des associations de la société civile, tous aux aguets.

Un exercice d’équilibrisme périlleux que le mouvement islamiste a réussi tant bien que mal malgré les quelques trébuchements largement commentés sur les réseaux sociaux.

Ainsi, le favori des sondages s’est dérobé de tout sujet qui prête à polémiques, a évité de tenir, publiquement, tout discours moralisant heurtant la conscience des « brebis égarées » et a mis en évidence son attachement aux principes de coexistence et de consensus entre tous les tunisiens, sans exclusion ou discrimination.

En modéré résolu, Ennahdha s’est forcé de bâtir cette image et d’asseoir ce profil. Les éléments langagiers repris par les partisans du mouvement islamiste tentent de corroborer ce nouveau statut. Ainsi, on martèle sur les plateaux de télévision, dans les meetings, dans les mosquées et de partout que le mouvement n’est pas un parti religieux, que l’Islam n’est pas son apanage et que les droits acquis par la femme sont irréversibles…

On a beau véhiculer haut et fort de tels messages mais la méfiance est toujours d’actualité. Car, certains événements, non anodins, ont renforcé la position hostile des plus sceptiques au projet préconisé par Ennahdha.

Ces faits, que nous étalons de façon non exhaustive, viennent, en effet, jeter un pavé dans la mare à l’instar de ce militant nahdhaoui “hissant” le Coran, le livre saint, dans une réunion politique débattant de la Constitution ?!!! ou quand on ose accréditer des “imams” sous l’étiquette de “Rcdistes cleans” et de renvoyer d’autres ?!!! ou de transformer les prêches du Vendredi en propagande politique ?!!!

Le mouvement Ennahdha est, ainsi, suspecté de tenir un double langage vil, mesquin et dangereux.Rejeter en bloc ces accusations et dénoncer les complots de diabolisation perpétrés contre lui telle était la ligne de défense du mouvement islamiste qui continue, contre vents et marrées, à mobiliser autour de son projet en jouant la carte du social, de la morale et de l’intégrité tout en mettant en avant son actif de militantisme durant le règne de Ben Ali et son lourd tribut de sacrifices consentis.

Et pour finaliser cette stratégie, habilement montée, le parti islamiste a présenté, tambour battant, son programme sous l’intitulé alléchant :” POUR UNE TUNISIE DE LA LIBERTE, DE LA JUSTICE ET DU DEVELOPPEMENT”. Outre les 365 propositions présentées, ce programme définit les contours de la société, déclinés en 22 principes et directives générales.

A en croire le dixième point, tous nos rêves sont permis, car Ennahdha nous promet le modèle d’un Etat civil veillant sur l’intérêt général, protégeant la paix sociale, œuvrant pour la prospérité économique et respectant les règles de la démocratie et l’égalité des citoyens tout en garantissant la neutralité de l’administration et des lieux de culte de toute propagande partisane.

Se référant à l’Islam (Point 9), le parti Ennahdha prône l’instauration d’une société noble régie par un système intégré de valeurs puisées dans notre patrimoine arabo-musulman telles la solidarité, la lutte contre la corruption, la rationalisation de la consommation, la franchise, l’abnégation, etc. (Point 6).
Et, sur un autre plan, dans une manœuvre politicienne, le mouvement islamiste fait l’offre suivante valable, à priori, pendant la phase transitoire, lisez consensuelle, la formation d’un gouvernement d’union nationale, sur la base du consensus, en respectant les résultats des élections de l’assemblée constituante et en valorisant la compétence. (Point 52).

Ennahdha ne semble pas si pressé de tenir les rennes du pouvoir, il accepte de le partager … le temps de la rédaction de la nouvelle constitution. Il définit, même, les prérogatives du nouveau gouvernement qui aura pour mission la réalisation des objectifs de la Révolution en priorisant les questions urgentes, à savoir l’emploi, le développement régional équilibré, la stabilité politique et le traitement des dossiers de corruption.

Ce programme, dans son ensemble, s’inscrit dans cette ligne consensuelle et ne constitue, en aucun cas, une rupture profonde avec le modèle de société existant. De “simples” réajustements ou réformettes sont opérés, sans heurts …. mais intentionnellement élaborés…

Or, c’est justement là, la question cruciale, qui divise et elle est loin d’être un procès d’intention : le mouvement Ennahdha jouera-t-il, jusqu’au bout, la carte démocratique? Acceptera-t-il l’alternance du pouvoir?

La réponse n’est pas si évidente, si limpide car le doute persiste, encore, pour de multiples raisons.

Certes, Ennahdha n’est pas un épouvantail mais ça craint car c’est une réalité. D’abord son hégémonie politique, pour des raisons diverses, pourrait s’installer dès les élections du 23 octobre et ce malgré le mode de scrutin de liste avec représentation proportionnelle au plus fort reste, promulgué, par ailleurs, pour contrecarrer un raz de marrée islamiste. Les tunisiens en ont assez du parti unique !!!

Il y a aussi, l’aspect religieux, exploité à des fins politiques, qui inquiète et dérange. Mêler le Sacré aux questions politiques est un jeu dangereux. Ce mélange des genres est redouté. Il est le terreau propice à la culture de la haine et de l’intolérance.

Mais, encore, certains dogmes anachroniques, indéfendables et dangereux telles la polygamie, l’inégalité entre les hommes et les femmes dans l’héritage, le port du voile ou du niqab et tant d’autres “clichés” qui suscitent encore des angoisses…

La mission d’un parti politique n’est pas l’islamisation d’une population musulmane depuis près de 15 siècles mais de proposer des réponses sociétales, réelles et précises. La « meute » des partis politiques, à l’assaut du pouvoir, doit préserver la victoire de la jeunesse et notre jeune pays âgé d’à peine 3000 ans ….