Les articles publiés dans cette rubrique ne reflètent pas nécessairement les opinions de Nawaat.

Avant le 14 janvier, les chaînes de télévision tunisiennes ne m’intéressaient pas vraiment. Des journaux de l’info vides de tout sens, des feuilletons sans scénarios et des talk shows sans « talk » ni « show ». Après ce qu’on appelle la révolution du peuple tunisien, des discussions plus ou moins structurées et passionnantes ont pris place dans notre champs télévisuel. Ça se dispute et ça chamaille, on y explique des choses et j’ai presque déserté les chaînes françaises avec leurs programmes politiques et documentaires. Je pense que désormais, les tunisiens sont plus cultivés en politique et en économie, plus conscients de la situation d’un pays qui coulait et qui coule encore. L’écrasante majorité du peuple ne connaissait pas les sens de mots tels que élection, proportionnelle, référendum, listes électorales, tête de liste, développement régional, déficit budgétaire et j’en passe. Aujourd’hui et grâce à des présences éclairées sur notre petit écran, le niveau est relevé et c’est tant mieux.

Toutefois l’ignorance d’un peuple qui a oublié de lire depuis des décennies demeure encore. Pire, une nouvelle-vieille maladie débarque en force : le populisme. Sans m’attarder sur ses origines et modèles, je dirais que le populisme est le fait de dire ce que le peuple veut entendre dire et le caresser dans le sens du poil. Le populisme post-révolution à la sauce tunisienne est un populisme de gauche, dangereusement communiste, qui promet des miracles économiques et sociaux, excessifs à l’égard de nos moyens et simplistes à l’égard de nos contraintes. Un populisme en apparence pragmatique et scientifique mais en réalité idéologique et diffamatoire envers l’intelligence humaine. Tout le monde, hommes politiques et journalistes, entre autres, parlent au nom du peuple et dressent le portrait d’une Tunisie nouvelle où on aura des usines partout, des autoroutes comme en Allemagne et des bureaux d’emploi vides.

Je reviens à la télévision et plus précisément à mardi soir sur HannibalTv où notre ministre de l’éducation nationale était l’invité d’un des serviteurs de son excellence le fondateur de la chaîne et entouré d’une pléiade de journalistes à la clairvoyance incommensurable. On parlait du concours des maîtres d’école et du défunt CAPES. Le ministre évoquait les mesures prises pour satisfaire les attentes du « peuple ». Le peuple qui s’est battu depuis des décennies contre la tyrannie de Ben Ali et qui a résisté à toutes les tentations. Le peuple qui scandait des slogans anti-ZABA quand celui-ci s’aventurait à visiter un village reculé dans les zones dites d’ombre. Le peuple qui paye ses impôts et qui ne truque jamais les ordonnances médicales pour escroquer les caisses de sécurité sociale. Le peuple qui refuse de construire sans permis en absence des autorités municipales. Le peuple qui brûle les administrations publiques tout en chantant l’hymne national. Le peuple qui en a marre du chômage et qui veut travailler quelque soit le prix à payer. Le peuple qui veut des concours sans examens. Des concours où on privilégie les pauvres, ceux qui ont un père et des frères au chômage, ceux qui ont plus de 45 ans et qui trouvent pourtant les ressources pour se marier !!!

Le ministre de l’éducation nationale disait que les critères de sélection des candidats ont été préconisés par les candidats eux-mêmes qui ont fermé des routes et organisé des sit-in suicidaires. Selon le même ministre, le choix de ces critères à caractère social est dicté par une politique de circonstances où c’est le peuple qui commande et où on doit répartir les richesses équitablement entre les démunis et les moins démunis. Hier, pour réussir sans se fatiguer, il suffisait d’avoir des pistons dans « le parti » et le tour est joué. Aujourd’hui, dans la Tunisie post-ZABA, pour réussir sans se fatiguer, il faut renier son accent tunisois, habiter dans des zones bien définies, être pauvre et provenir d’une famille qui n’a pas réussi sa vie. Entre nous, la mascarade est la même, c’est juste les figurants, et non les acteurs, qui ont changé.

Comment recruter aujourd’hui pour enseigner à nos enfants, des personnes sur des critères non scientifiques ? Où est la place de la compétence dans les concours de recrutement ? Quel sera le devenir d’une société où on encourage l’échec ? Sommes-nous révoltés pour cela ?

Ben Ali a détruit la société tunisienne en lui inculquant les dogmes de l’arrivisme et du dénie de la primauté du travail dans le succès professionnel. On en a abouti à un résultat catastrophique où l’enseignement, jadis éclairant, est devenu un marché où les diplômes se vendaient au plus offrant. Dans la Tunisie qu’il a fui, on perpétue le même schéma mais sous un angle compatissant, humanitaire et plus grave encore, populiste. Le discours du ministre sur HannibalTv est vraiment désolant et ce qui désole encore plus c’est la réaction des journalistes qui foncent le clou en défendant le peuple qui « veut tout sans rien faire ». Le présentateur affirmait même que tout le monde est content de la disparition du CAPES. Sous quelle base fonde-t-il ses dires ? Comment être content de l’absence d’une évaluation scientifique dans un concours de recrutement d’enseignants ?

Je pense que le problème ne résidait pas dans le CAPES lui-même mais dans ses coulisses où un poste s’achetait et ne se méritait pas. Tous ceux qui demandent un recrutement doivent démontrer qu’ils sont compétents pour l’assurer et doivent réussir dans des épreuves transparentes et scientifiquement équitables. A mon sens, la même suspicion, qui entourait ceux qui réussissaient le CAPES à l’époque Zabienne, entourera les nouveaux élus des concours sur dossier de notre époque « sans âme ».

Je dirais qu’en poursuivant cette voie de la simplicité, nous ne faisons qu’accélérer une chute inéluctable car un pays ne se construit pas sur les valeurs de la compassion et du favoritisme mais sur celles du travail et de la persévérance. Finalement et face à un déluge d’âneries, je change de chaîne et reviens à mes premiers amours. Sur France 3, il y avait « ce soir ou jamais », un programme qui, du moins, respectait mon intelligence.