Au lendemain du 14 janvier 2011, la nomination du blogueur et cyberactiviste Slim Amamou comme secrétaire d’Etat à la jeunesse et aux sports, relayée par les médias internationaux comme un événement historique, a constitué un véritable espoir pour la jeunesse connectée de voir les valeurs et les idées qu’elle n’a cessé de défendre portées aux plus hautes sphères d’un gouvernement gérontocrate. Mais cet espoir s’est peu à peu évanoui et il est aujourd’hui indéniable que la nomination de Slim Amamou n’était en fait qu’une manœuvre politique destinée à amadouer les virulents jeunes internautes tunisiens.
Les internautes et plus particulièrement les blogueurs ont compris que le changement profond qu’ils attendaient ne pouvait se faire que depuis la société civile vers ce gouvernement illégitime et non l‘inverse. Ils se sont ainsi rendus à l’évidence qu’il était très difficile de changer le système tel qu’il est encore aujourd’hui en l’intégrant et que l’étape de construction de la Tunisie post Ben Ali n’est toujours pas amorcée.
Le rôle du blogueur, dans la période après 14 janvier, s’est ainsi illustré dans la condamnation des abus de ce gouvernement et dans l’analyse de la scène politique, un rôle d’observateur et un outil d’alerte et de vigilance populaire. Dans la cacophonie ambiante, le blogueur a continué à crier avec le peuple, en espérant que sa voix soit entendue.
La course pour l’élection de l’assemblée constituante a débuté. Et l’on a ainsi pu voir, parmi les 1750 listes déposées, plusieurs blogueurs se déclarer candidats à ces élections. Sur leurs blogs, ils ont pris l’initiative et parfois même le risque d’exposer publiquement leurs idées. La notoriété qu’ils ont pu acquérir sur la toile par leurs prises de position peut constituer aujourd’hui une garantie de leur intégrité et de la sincérité de leur engagement.
Le cyberactiviste et blogueur Yassine Ayari a lui aussi participé à l’action Nhar ala Ammar. Il s’est fait connaître en acceptant, avec Slim Amamou de co-signer la déclaration de la manifestation du 22 Mai 2010 envoyée au Ministère de l’Intérieur tunisien. C’est d’ailleurs avec Slim Amamou qu’ils se font arrêter la veille de la manifestation pendant plusieurs heures, ce qui aura pour conséquence d’avorter la première manifestation anti-censure en Tunisie. Depuis, cet ingénieur informaticien, s’est distingué par plusieurs actions et son blog fait polémique parmi les internautes tunisiens. En se présentant tête de la liste «Al chabeb al ahrar» (les jeunes libres) à Zaghouan, il veut briser cette étiquette de «blogueur»: «J’aspire à être un homme publique qui a un blog, pas un blogueur qui veut faire de la politique» écrivait-il dernièrement sur son blog.
Parmi ces blogueurs engagés, on retrouve également Tarek Kahlaoui en tête de la liste indépendante «Sawt Echabab» (la voix des jeunes). Ce professeur assistant au département d’Histoire de Rutgers University au New Jersey (USA) et cofondateur du journal en ligne Al Machhad attounissi (la scène tunisienne), n’a cessé de militer pour la liberté d’expression. Son engagement politique n’est pas récent, il était déjà actif dans les mouvements estudiantins lors de ses études universitaires en Tunisie. Son blog avait été censuré en février 2010.
Le blogueur Adib Sammoud, vétérinaire de formation, présente une liste indépendante à la circonscription de Nabeul «Ouyoun harissa» (Regards vigilants). Le fer de lance de son engagement dans ces élections est l’instauration d’une «écoconstitution». Ce jeune homme s’est d’ailleurs fait connaître de son futur électorat lors de sa lutte contre l’incendie de la forêt de Chichou, près de Nabeul, à la mi-juillet.
Ces blogueurs, de par leur formation et des acquis de la toile, constituent une élite intellectuelle numérique. Les qualités d’un blogueur au sein d’une assemblée constituante sont indéniables. Ils possèdent la créativité et la fraîcheur qui manquent à ce monde politique figé. Ils sont également habitués à construire un raisonnement, à discuter les avis opposés via les commentaires qu’ils reçoivent sur leurs articles. Ils sont très au fait de l’actualité internationale, ont un œil sur le monde, ils sont capables de proposer des idées nouvelles et de les défendre. Et ils sont par dessus tout attachés à la préservation des libertés individuelles, car l’absence de liberté d’expression a touché tous ces blogueurs, de plus ou moins près.
Certains de ces blogueurs, en se présentant comme troisième ou cinquième de liste, n’ont clairement aucune volonté d’obtenir une place au sein de l’assemblée constituante. Il s’agit avant tout de porter des idées et des valeurs. C’est certainement pour ces mêmes raisons que tous ces blogueurs ont fait le choix de se présenter sur des listes indépendantes, faisant ainsi contre-pouvoir à ces partis qui continuent de décevoir la jeunesse. Ces jeunes tiennent par dessus tout à préserver la valeur citoyenne de la rédaction d’une constitution. Ils ne veulent pas laisser aux mains des partis le soin de rédiger une constitution qui ne finirait que servir les intérêts de ces partis. Il est d’ailleurs à noter que Slim Amamou, après avoir démissionné du gouvernement de transition, s’est engagé dans l’initiative «Afkar Mostakella» (idées indépendantes) qui vise à la promotion d’idées pour la constituante dédiées aux candidats indépendants.
Il est cependant difficile d’évaluer si la notoriété de ces blogueurs parmi les jeunes internautes tunisiens sera suffisante pour leur garantir un siège au sein de cette assemblée. Réussir à exporter cette notoriété et à se faire une place face aux partis dopés à la machinerie publicitaire sera sans nul doute le défi majeur de ces jeunes blogueurs.
Article aussi disponible sur le blog Ma Tunisie sans Ben Ali
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Illustrations: photos de profil des blogs ou sites de camapgne des candidats.