Par Hedi Sraieb,

Comme il se doit, il convient de vérifier et de croiser les informations relative à l’annonce faite ce matin 6 Septembre, de la prolongation et de la généralisation de l’état d’urgence à l’ensemble du territoire Tunisien pour une durée allant jusqu’aux élections. Je me fis donc à la lecture de la presse du jour.

Le billet d’humeur qui suit est marqué du sceau de la subjectivité mais souhaitant néanmoins être marqué du bon sens.

Il va sans dire que nous condamnons ces « violences aveugles », et qu’il est regrettable qu’il y ait encore et toujours des victimes innocentes. Le blâme moral n’y change rien.

La proclamation de l’état d’urgence, renvoie dans l’arsenal juridique de la constitution et des lois tunisiennes, comme d’ailleurs celui d’autres pays, à la nécessité impérieuse de l’application de dispositions limitant les libertés publiques résultant d’une situation singulière telle que : un danger public exceptionnel menaçant l’existence de la nation, des émeutes massives ou encore une exceptionnelle gravité insurrectionnelle.

On voit là, qu’en définitif, les motifs qui peuvent être invoqués relève de la stricte appréciation du pouvoir en place. La Tunisie toute entière est-elle dans ce cas de figure ?

Sans douter ni de la bonne foi, ni des motivations résultant de sources d’informations spécifiques en possession du gouvernement de transition, on peut tout de même s’interroger sur les conséquences indirectes de la mise en œuvre d’une telle mesure d’exception, sur son contenu, sur son ampleur et par là sur sa portée.

Les autorités ont pris bien soin de prendre à témoin « l’opinion publique », insistant sur le nécessaire retour à l’ordre et à la stabilité (dans le texte).

Il n’est donc ici question ni de procès d’intention, ni de veine polémique sur la justesse de la décision ; tout au plus quelles éléments de réflexions sur des conséquences pas forcément justifiées ni justifiables.

A l’évidence le pays est, et reste encore dans ce que l’on nomme, en toute rigueur historique, une phase révolutionnaire, n’en déplaise à ceux qui l’on d’ores et déjà banalisée sous le doux et pudique euphémisme de phase transitoire. La rigueur conceptuelle, coté journalisme n’est pas toujours un pré-requis.

La parenthèse n’est pas encore fermée, à l’évidence ! Le sera-t-elle définitivement après l’élection d’une constituante ? Les doutes légitimes sont encore permis.

Il est vrai, que l’on a pu assister, ces derniers temps, à une recrudescence « apparente » des troubles et d’affrontements violents entre des populations « circonscrites » et les forces de police. Resterait à qualifier pourquoi précisément maintenant et partout, l’état d’urgence est indispensable.

La couverture médiatique de ces récents événements laisse dubitatif : radiotrottoirs, matériels calcinés, sans autres commentaires que ceux de journalistes en mal de scoops et peu avisés sur le plan de la rigueur de l’investigation journalistique : retour des affrontements tribaux (sic), bandes organisées (par qui), sans jamais tenter d’entrevoir ou d’approfondir les raisons profondes, les causes réelles enfouies au-delà des prétextes qui donnent lieux aux affrontements violents et aux exactions dommageables…et moralement condamnables.

Il faut une certaine dose de naïveté, de puérilité et de moralisme à tout craint, pour croire encore que la révolution peut être pacifique, linéaire, aux objectifs clairs et partagés.

C’est ignorer l’histoire, le caractère chaotique, contradictoire, violent, de ce moment « particulier » que traverse une nation jusqu’au moment où le peuple et lui seul consent à refermer cette parenthèse, moment toujours paroxystique.

De fait la généralisation de l’Etat d’urgence a pour effet collatéral, excusez du peu, de rendre « illégal » l’ensemble du mouvement social de contestation : grèves, sit-in, occupations manifestations interdites quelque en soient les raisons, y compris dans les zones par ailleurs fort calmes et nombreuses.

Autant dire que dans les prochains jours tous les conflits à caractère strictement économique ou social seront « légalement » interdits.

Reste bien entendu à savoir si la « rue » -pour faire simple- l’entendra de cette oreille, et acceptera de se voir confisquer ses moyens naturels et traditionnels d’expression et de lutte.

Mais de là à croire qu’il faut bâillonner toutes les formes de protestations, il y a un pas qu’il conviendrait de ne pas franchir. Le retour au calme passe par bien d’autres choses…parlez-en aux plus démunis, des villes et des campagnes, du nord au sud, victimes des exactions policières et/ou prédatrices…qui voient peu de choses venir…même pas au plan symbolique. Assez de fausse fatalité, et de « on verra plus tard. Certes tout n’est pas légitime, comme tout n’est pas non plus de la surenchère.

Comme chacun sait, les définitions de « l’ordre et de la stabilité » diffère d’une classe à l’autre, d’une sensibilité politique à l’autre.

L’unanimisme est la chose la moins bien partagée. Et les personnels et travailleurs en conflit avec leur hiérarchie à Bizerte ou ailleurs, loin des lieux d’affrontement, auront du mal à comprendre pourquoi leur mouvement est désormais « illégal ». Mais il faut croire aussi que cette disposition ne devrait pas non plus faire que de « malheureux ». D’autres couches de cette « majorité silencieuse », légitimiste à souhait pourraient y voir une solution.

L’Etat d’urgence devrait donc -y compris loin du théâtre des troubles-, faire quelques heureux…enfin la tranquillité. D’aucuns aura décodé.

Construire un nouveau consensus est loin d’être acquis, loin s’en faut.

Il faut croire que si la géographie des troubles qui coïncide encore et étrangement avec la géographie de l’initiative insurrectionnelle et révolutionnaire, il faudra bien trouver comme « explication » autres choses que des fomenteurs de troubles, de « masses ignorantes » manipulées par des éléments factieux ou des partis aigris…dont nous attendons encore qu’il soit nommément désignés ou identifiés et arrêtés….mais au final user de ces « conjectures » pour imposer un « état d’urgence général »….qui ne dit pas toujours toutes ses raisons.

Il est vrai que par les temps qui courent certains préfèrent sans remettre aux apparences, aux présomptions, bien plus faciles, que de fouiller et d’extirper les causes profondes et enfouies des inégalités subies et ancrées depuis si fort longtemps qu’elles en deviennent insupportables.

Les prochains jours ou semaines diront si le gouvernement de transition aura eu cet art consommé de la politique, celui de la justesse d’une décision.