Au moment de s’adresser au public venu l’acclamer au palais des sports d’el menzah, que devait penser Hamma El Hammami ? Sorti de la clandestinité, pour retourner en prison la veille du départ du dictateur, l’homme pouvait avoir des sentiments bien mitigés. Savourait-il la victoire du premier meeting tenu…mais que de chemin parcouru et que de concessions faites. Derrière l’apparat radical qu’on veut bien lui prêter pour le décréditer, le leader du PCOT en a fait des concessions. Il a dû composé avec les islamistes, avec Nejib Chebbi et avec tant d’autres. Et Dieu sait qu’il ne les porte pas forcément dans son cœur. En cours de chemin, il a perdu des camarades, des partisans et des amis. Les déçus de Hamma sont les plus virulents. “Il n’avait pas le droit de faire ça!”, “il est devenu comme tous les autres”, entend-on ici et là. Que lui reproche t-on au juste ? Son costard cravate certes, mais surtout son rapprochement fut-il de circonstances, avec ennahdha. Mais la liste ne s’arrête pas là: division de la gauche (“la vraie”), “embourgeoisement”, calculs politiques: tout est bon à lui mettre sur le dos.

Sur les faits Hamma a compris qu’il fallait s’adapter, rassurer..se faire plus consensuel. mais beaucoup n’ont pas compris sa visite au propriétaire de la chaine Hannibal, ni son refus de faire front avec ceux qui se proclament comme lui “pro révolutionnaire”: cause invoquée: je suis trop révolutionnaire pour vous!

Peu en Tunisie sont au courant de cette belle idée qu’a apporté le printemps 2011. un front de partis allant du FDTL à Ennahdha passant par le CPR et le PCOT. Initiative classé sans suite par le FDTL trop occupé à se faire une place au soleil des modérés, amis des occidentaux et tendre avec Si el Béji. Et si Ennahdha, pressentant un ras de marré électoral a accepté avec réserves (on ne touche pas à Béji, on ne déstabilise pas le processus élctoral), Hamma lui a radicalisé ses postions : pas assez fort pour moi.

C’est le CPR qui aurait été à l’origine de cette initiative. Justement, le parti de Marzouki parlons-en. Fondé en 2001 par une pléiade d’opposants historiques au régime de Ben Ali, le parti puise son originalité dans son choix d’être non idéologique. Ses leaders, conscients des contradictions qui les opposent ont choisi d’emblée de s’unir autour “des principes républicains”. En pratique, c’est l’opposition radicale à Ben Ali qui distinguait la ligne politique du Congrès Pour la République. L’appel du 18 octobre n’a été qu’une éclairci dans le ciel orageux de l’opposition tunisienne. Cet accord scellé entre le CPR, le PDP, Ennahdha et d’autres compositions de l’opposition tunisienne n’a représenté pour Moncef Marzouki que le strict minimum pour garantir l’unité de l’opposition. Mais rapidement et avant même la chute de Ben Ali, les divergences ont éclaté au grand jour. Le CPR reprochait au PDP sa vision réformiste du régime dictatorial. Les rapports avec Ettajdid ont été (et continuent à être) houleux. Marzouki et ses camarades n’ayant vu dans les anciens communistes aucune intention sérieuse de s’opposer au régime. Face à Ennahdha qui, derrière son discours défiant à l’égard des anciennes autorités, cherchait à reprendre le contact avec les sphères du pouvoir, marzouki s’est montré indulgent. Il ne partage certes pas leurs visions sociétales et politiques. Mais au temps de la dictature, il leur trouvait des excuses. Cela tient peut être aussi du fait qu’il voyait devant ses yeux des membres du CPR issus d'”horizons islamistes” et qui semblaient attachés à une ligne républicaine.

Ce petit rappel historique peut donner des éléments de réponse à des tunisiens souvent déboussolés quand à la ligne politique du CPR de l’après 14 janvier. Mais les interrogations restent nombreuses. Marzouki s’étonne aujourd’hui par exemple de devoir répéter à l’infini qu’il n’a établi aucune alliance avec ennahdha. Mais en même temps un communiqué commun est cosigné par les deux parti (entre autres). Certes les points d’accord, objets du communiqué, sont légitimes (pour ne pas dire banales), mais cela sonne comme une discordance aux oreilles de l’opinion.

Loin d’Ennahdha, le CPR ne voit en le PDP qu’un continuum à peine plus démocratique de l’ancien régime. Du coté du FDTL, Ben Jaafar et Marzouki se connaissent de longue date et on dit qu’ils s’apprécient même. Mais les choix de ben Jaafar de faire appel au marketing politique, les interrogations sur ses sources de financement et sa neutralité bienveillante vis à vis de Béji Caid Sebsi ont fini par creuser un fossé entre les deux hommes.

Marzouki doit faire aussi des choix en interne. Il doit démontrer sa capacité à trancher au sein de son propre parti. Il devra choisir une ligne politique. Se contenter de se déclarer aujourd’hui non idéologique, pragmatique et pro révolutionnaire ne suffira certainement pas à créer une dynamique positive autour du parti. Aux cotés de Marzouki, deux lieutenants pourront lui être d’un grand secours. J’ai nomme Mohamed Abbou et Abelraouf Ayadi. Le premier pourrait incarner la mutation politique et pragmatique du CPR. Le second est probablement l’une des rares personnalités tunisiennes qui sont capables de produire une vraie réflexion politique.

L’équation est complexe à résoudre pour le CPR. Entre l’attrait d’un électorat libéral laïque qui croit à une république pour tous et l’appel d’une masse conservatrice “modérée” qui ne trouve que les appels d’Ennahdha pour les accueillir, la tentation du Centre pourrait se révéler trop grande. Mais au risque de perdre sur les deux fronts.

L’actualité chamboulera un peu les plans tracés pour cette “vie embryonnaire”. la ré-émergence de la nébuleuse RCD a imposé des lois sur moi aussi…mais ceci est une autre histoire qui sera traitée lors de la troisième partie.