La Mairie de Paris, qui jusque là soutenait les migrants tunisiens, a décidé d’encourager leur retour au Pays. Les premières expulsions du dispositif d’hébergement d’urgence sont annoncées, et l’argent, qui aurait du/pu subvenir aux besoins alimentaires, est aujourd’hui utilisé pour acheter leur décision de “retour volontaire”.

Il pleut sur Paris en ce matin du 3 aout, des gouttes aussi fines que le tissu bon marché qui recouvre les épaules de H. La capitale se réveille à peine, les rues sont vides, et seuls les agents de la municipalité qui balaient les trottoirs usés par la nuit, s’activent, sous l’œil de quelques passants qui semblent les plaindre. M. et A., au contraire, les regardent avec envie. Ils auraient tout donné pour être à leur place, et avoir un emploi digne.

M est fatigué, il n’a pas encore dormi. Il est usé, mais heureux, car cette nuit, il a travaillé. Allongé depuis 22h sur un carton devant la préfecture de Créteil, il est parvenu, aux aurores, à vendre la place, qu’il a durement acquise dans la file d’attente. Ses traits sont tirés, mais il a pu acheter un paquet de cigarette et un croissant afin de pouvoir tenir durant cette journée de jeun. Ce soir il sera chez lui, avec les siens qu’il avait pris soin de rassurer malgré les difficultés, et il appréhende. Il va devoir leur dire que « non, finalement, tout n’allait pas bien » et que c’est pour cela qu’il est rentré.

Les 14 tunisiens se retrouvent devant les portes encore closes d’une fameuse association qui fête cette année ces 40 ans. Certains tirent une petite valise acheté au marché de Barbes, d’autres n’ont pour seul bagage qu’un sachet en plastique où l’on peut voir un paquet de brioches industrielles, une bouteille de shampoing entamée, et un T-shirt roulé en boule…unique trésor ramené fièrement de cet Eldorado de misère, avec les souvenirs amers d’un accueil inhumain.

Les 2 minibus prennent le chemin de Roissy dans un silence oppressant. La route est longue. En passant devant le stade de France, les têtes se tournent, les yeux pétillent…peut-être pour la première fois. Puis c’est le terminal 3, froid, métallique. Le comptoir d’enregistrement où on les appelle, un à un, comme l’on appellerait des prisonniers pour une remise en liberté.

K. sort soudain un petit sachet en plastique à travers lequel on pouvait voir des bijoux et regarde fièrement un de ses amis en lui disant :
« Regarde, ma mère va être heureuse, même si je n’ai pas pu manger tous les jours, je n’ai pas vendu ses bijoux, je vais pouvoir les lui rendre et même lui acheter une nouvelle bague avec les 700euros que l’on va nous donner »

A. lui, plie méticuleusement une feuille de papier A4 sur lesquelles se trouvent les comptes 2010 du R.C.D. à Paris, unique souvenir de ses nuits au 36 rue Botzaris, et unique preuve de son courage d’avoir rendu au peuple ce qui lui appartenait, à savoir des locaux publiques spoliés par Ben Ali et les siens.

L’heure tourne, la douane, la salle d’embarquement, puis c’est la distribution des enveloppes. Ils font la queue, tête basse, comme ils le faisaient lors des distributions de repas gratuit dans les différents squares. Ils étaient tous venus pour travailler, on les paie aujourd’hui pour « dégager ». Triste ironie du sort pour les enfants de la « révolution de la dignité ». L’embarquement est immédiat, aucun d’eux ne se retourne. Les agents de sécurité les surveillent, ceux de l’O.F.I.I. les chaperonnent.

Inquiets de retrouver un pays toujours aussi injuste avec les leurs, et craignant que les douanes Tunisiennes, à leur arrivée, ne les enrôle de force dans l’armée, ils partent la boule au ventre, sachant que leur rêve européen, tout comme le fût celui d’une Tunisie meilleure, n’était qu’un leurre.

Dans leur poche se trouve cependant une enveloppe contenant les 700e donnés par la Mairie de Paris, sans doute la valeur à laquelle on a estimé leur dignité.