Par Tounsi ben Tounes,

Durant ces quelques lignes, je vais essayer de parler le plus librement possible, sans censure, pour décrire ma vision de la Tunisie d’aujourd’hui. Je vais sûrement choquer quelques uns; mais le but pour moi est d’être honnête envers moi-même tout en espérant faire réfléchir certains d’entre vous.

Je commencerais par dire que l’être humain adore les belles histoires, nous avons l’habitude d’apprécier les films où le héros arrive à la fin à vaincre les méchants. C’est en nous, malheureusement la réalité dépasse la fiction, car la réalité est dure, sans pitié et les héros n’arrivent pas toujours jusqu’à la fin de l’histoire.

Je vais commencer par dire qu’il n y a pas eu de révolution en Tunisie, c’est vrai il y a eu une révolte, il y a eu des martyrs, il y a eu des manifestations mais pas de révolution. Le 7 novembre 1987, il y a eu un coup d’état maquillé d’un groupe de personnes, à leur tête Ben Ali contre Bourguiba, celui là même qui a créé durant plusieurs années un système qui lui a permis de se maintenir à la tête de l’état pendant 23 ans. Le 14 janvier 2011, il y a eu un coup d’état maquillé du système Ben Ali contre Ben Ali et les Trabelsi.

Certains diront que c’est n’importe quoi, je leur dirais, oui vous avez probablement raison, mais essayez pour une fois de réfléchir en prenant du recul par rapport aux événements. Pour y revenir, je dirais qu’après six mois de la fuite orchestrée de Ben Ali par le système, je sais c’est dur à entendre, rien n’a changé, pire le système est en train de gagner la partie. Pourquoi ?

Pour essayer de mieux comprendre, il faut revenir quelques années en arrière en 2008, les élections présidentielles de 2009 sont dans un an, il y a le congrès du ‘’Défi’’ du RCD suite auquel un nouveau comité central du RCD est désigné, ce comité central composé de 350 personnalités les plus influentes du pays, la crème du RCD, ce comité qui regroupe le pouvoir familial, politique et économique aura pour tâche de faire le nécessaire pour planifier, organiser et réélire Ben Ali pour les élections de 2009.

Durant une année, ce comité travaillera d’arrache pied pour atteindre son objectif d’une manière satisfaisante, au détriment de toute légalité, liberté ou transparence. L’objectif fixé est d’avoir un bon score, le moins de critiques possibles, une belle image de la Tunisie, de son dictateur et de sa famille. Pour atteindre ces objectifs, les moyens mis à leurs dispositions sont illimités en terme financier et en ressources humaines.

Comme nous le savons tous, leurs mission a été réussi, ils ont atteint tous leurs objectifs d’une manière brillante, ils ont tous été félicités par Ben Ali lui-même et remerciés pour services rendus non à la nation mais à la famille. Mais comme dans le monde de la finance, les investisseurs achètent des actions par rapport à leurs bénéfices futurs et non par rapport à ce que cela leur a déjà rapporté, et dans leur tête commence à mijoter la question fondamentale de l’après Ben Ali, sachant qu’il devient âgé et que personne n’est éternel.

Et c’est là que la première fissure a vu le jour et que la division est devenue évidente. Madame devient de plus en plus forte, elle prend de l’assurance, elle s’affiche en public, organise des sommets et rêve de devenir la première femme à gouverner un pays arabe. Elle y croit et elle va tout mettre en œuvre pour y arriver, elle a vu comment ça se passe, elle a maintenant quelques années d’expériences derrière elle et elle met la machine en marche.

Sauf que plusieurs personnes influentes de ce comité central du RCD haïssent les Trabelsi et ne peuvent accepter l’idée de voir Leila à la tête de l’état.

Plusieurs points peuvent confirmer cette théorie : Aujourd’hui ceux qui sont arrêtés, sont plus des hommes de Leila que des hommes de Ben Ali ou de l’État. Si on reprend la liste des membres du comité central du RCD, 90% d’entre eux ne sont pas inquiétés, ils sont à leurs postes sinon mieux placés, à commencer par le président par intérim M. Mbazaa et les 10% restants sont arrêtés, en fuite ou vont être arrêtés parce qu’ils sont les hommes des Trabelsi.

Durant ces derniers mois, je me suis posé la question suivante, qu’elle est la différence entre El Matri, Mabrouk, Chiboub et Zarrouk ? En théorie, ils ont fait les mêmes choses, ils ont eu le pouvoir, ils ont eu la folie des grandeurs, ils se sont sentis au dessus des lois et ils ont tout raflé (Banques, assurances, télécom, grande distribution, concession voitures, immobilier, terrains, agricultures, etc.…) mais en pratique il n y a que El Matri qui est étiqueté Trabelsi et pour ça, il va boire toute la tasse tout seul.

J’ai lu sur internet un article d’une Tunisienne qui raconte avoir vu une vidéo de l’arrestation des Trabelsi à l’aéroport et elle confirme dans son article que l’arrestation a eu lieu en début d’après midi avant la fuite de Ben Ali non pas par les militaires mais par la brigade anti-terroriste. Je ne crois vraiment pas que cette personne ait inventé tous les détails qu’elle a mentionnés dans son article. Mais dans ce cas de figure, la donne change complètement et la question qui me vient à l’esprit est : y a-t-il eu chantage pour faire partir Ben Ali ? Et qui a donné l’ordre ? aujourd’hui avec les déclarations de Ali Seriati, cette théorie devient une réalité.

Pour moi la grande manipulation de l’opinion publique réside dans la dissolution du RCD, cela a été présenté comme étant une grande victoire du peuple alors que c’était la grande supercherie, le RCD est mort avant de délivrer ne serait ce qu’un semblant de vérité sur 23 années de pouvoir sans partage. Pour les anciens du RCD ça a été le moment de délivrance pour tourner la page du passé et commencer à regarder vers l’avenir, ils représentent une partie non négligeable du système qui a fait fuir Ben Ali et pour eux la dissolution du RCD est le seul moyen de se dissiper dans la nature pour renaitre sous d’autres cieux.

La seule fois où le système a réagi violemment c’était suite aux déclarations de M. Rajhi; personnellement je suis d’accord avec ses dires, pour une raison simple, c’est que comme moi les Tunisiens ont senti qu’il ne se comporte pas comme un politicien, il n’est pas fait pour la politique parce qu’il est simple et directe et qu’il a dit tout haut ce que beaucoup de gens pensent tout bas; par contre ce qui vient de la bouche de l’ancien ministre de l’intérieur peut être mal interprété et peut déstabiliser le système. Le deuxième cas est celui de Samir Fériani qui a osé défier le système et utiliser des documents officiels pour dire des vérités dérangeantes; ce que nous dit Samir Fériani est que les hauts cadres du MI qui ont géré la situation avant le 14 janvier ont été récompensés après, pourquoi ? Ont-ils aidé à la réussite de la révolution ou au coup d’état ? Je finirais par saluer le courage de Samir Fériani, je le soutiens lui et sa famille et j’espère que tous les Tunisiens resteront solidaires avec lui jusqu’à sa libération, c’est le monde à l’envers, on juge les personnes qui aiment notre pays et on laisse dans la nature ceux qui empêchent notre pays de se relever et d’avancer.

En parlant de personne laissée dans la nature, il y en a un qui m’intrigue et à qui j’aimerais poser pas mal de questions, il s’agit de Marouane Mabrouk, ce monsieur pour aider Ben Ali lui a apporté Hakim el Karoui pour lui écrire son fameux discours du 12 janvier « fhemtkom », puis le 13 janvier reçoit un appel du responsable de la sécurité de l’Elysée pour le mettre en garde contre des manigances (source mediapart); puis il s’enfuit comme les autres le 14 janvier avec sa femme Cyrine Ben Ali et au bout de quelques jours, il revient en Tunisie comme si de rien n’était. Alors la question qui se pose est avec qui a t-il négocié ? Qui a pu lui donner l’immunité et l’impunité de son retour et contre quoi ? Est-il possible de voir demain le retour de Slim Chiboub ou de Sakher el Matri ? Personnellement, je mise plus sur le retour de Chiboub en victime de Ben Ali bien sûr.

J’invite tous les Tunisiens à regarder autour d’eux, c’est incroyable comment dans les médias (journaux, télé, radio, internet) le mot changement du 7 novembre a été modifié par révolution du 14 janvier, les mêmes qui n’arrêtaient pas de nous bassiner par leur changement « Moubarak » du 7 novembre nous reviennent avec la révolution « Moubaraka » du 14 janvier. Pour le reste le discours est resté exactement le même avec beaucoup d’hypocrisie et un zeste de manque de professionnalisme.

Un autre point que j’ai voulu soulever concerne la haute instance qui protège les intérêts de la révolution, cette instance ne peut protéger les intérêts de quelque chose qui n’existe pas, il n y a pas de révolution et pour cette raison, les seuls intérêts qu’elle protège sont de ceux qui l’ont créée, et cela concerne toutes les instances.

Je voulais dire un mot aux partis politiques non contaminés, réveillez vous, aujourd’hui l’ennemi n’est pas celui à votre droite, à votre gauche ou en face, votre ennemi est le système, il a fait en sorte de vous diviser au maximum, de faire de vous des proies faciles qu’il peut manipuler à volonté, votre seule chance de survie est de vous unir, de parler de la même voix et de changer les règles du jeux, le temps joue contre vous, car plus vous vous divisez et plus le système se renforce et le moment voulu, il vous mettra tous à genoux comme dans le passé; essayez d’éviter vos anciennes erreurs, de comprendre les enjeux et de mettre vos égos de côté dans l’intérêt général.

Les quelques mois à venir vont être déterminants, les élections ne se feront que le jour où le système sera assuré de la victoire, aujourd’hui leur stratégie consiste à diviser au maximum le peuple Tunisien, ils sont sûrs qu’avec plus de cent partis politiques aucun n’aura la légitimité de leur reprendre le pouvoir, alors je vous le confirme si d’ici le 23 octobre il n y a pas eu un événement majeur pour faire basculer la balance alors ce sera la victoire du système et non pas celle de la Tunisie.

J’ai voulu aussi dire à monsieur Ahmed Mestiri suite à son article “La contre révolution se manifeste ouvertement” que je partage parfaitement son analyse et sa vision de notre situation actuelle, mon seul désaccord avec lui est que pour moi, il n y a pas de contre révolution puisqu’il n y a pas de révolution mais il y a une stratégie mise en place par le système qui est en train de prendre forme, de grandir et d’imposer ses règles. Par contre, je n’arrive pas à comprendre les motivations qui peuvent pousser un homme intelligent comme monsieur Caid Essebsi à pourrir la situation à l’âge de 85 ans.

Je pense vraiment que nous vivons un moment historique et une chance unique pour faire de notre pays un pays où il fait bon vivre. Pour cela, il nous faut déjà y croire et puis à chacun d’agir à son niveau, à tous les intellectuels, les journalistes, les avocats, les enseignants, les médecins, les ingénieurs, les étudiants, les lycéens, etc.… il nous faut rester debout et ne jamais baisser les bras comme dans le passé.

A ceux qui travaillent au ministère de l’intérieur, libérez vos consciences, soutenez votre collègue Samir Fériani et soyez comme lui, dite haut et fort la vérité pour assainir la situation et remettre la Tunisie sur les bons rails.

Ma conclusion est qu’aujourd’hui rien n’a changé et si rien ne se passe, les choses vont empirer après le 23 octobre (si la date est maintenue) pour revenir à ce qu’elle était avant le 14 janvier. Ceux qui gouvernent aujourd’hui sont ceux qui ont amené la Tunisie là où elle est aujourd’hui et ils ne sont pas près de changer, c’est pourquoi nous devons les obliger à le faire dans le respect des lois et à leur demander des comptes concernant toutes les manigances qu’ils ont faites à l’encontre de la Tunisie et son peuple.

Le pouvoir ne se donne pas, il se prend.