On dit qu'en Tunisie les balles fusent. Et c'est pour de vrai ...

Qui des Tunisiens ne tient pas à ce que les élections se déroulent le 23 octobre ?

Pour le premier ministre du gouvernement provisoire les coupables sont tout désignés. Il s’agit, d’après Beji Caïd Essebsi, des organisateurs, participants, sympathisants ou toute personne ayant approché le Sit In Kasba 3, avorté dans l’oeuf un vendredi 15 juillet. Et pour ne pas les nommer, il déclare qu’il s’agirait de “sensibilités”, “mouvances” et “courants” politiques, qui d’après lui sont proches des partis d’extrême droite et ou d’extrême gauche, sous le mobile qu’ils ne sont pas prêts pour les élections du 23 octobre. Il pousse même jusqu’à accuser nommément les courants islamistes et ceux d’extrême gauche, responsables d’après lui des troubles déclenchés un peu partout dans le pays le soir même, et qui ont culminé à Sidi Bouzid la soirée du 17 au 18 juillet, par la mort de Thabet Hajaloui, un gosse de 14 ans tué par un “ricochet” de balle par les forces de l’ordre ou l’armée à Sidi Bouzid.

La mort de cet enfant, non seulement je la regrette, mais je la trouve inacceptable et injustifiable, quelques soient les motifs et les circonstances qui en soient la cause. Et je passe outres le fait que Beji Caid Essebsi dans son discours, ait montré toute sa compassion et sa solidarité envers les agents de l’ordre blessés lors des incidents de Menzel Bourguiba, et ait sciemment occulté la mort de Thabet, le fils d’un professeur de maths de Sidi Bouzid, comme s’il s’agissait d’un fait négligeable.

Mais ce que je déplore ici surtout, c’est l’autisme politique, l’irresponsabilité et le cynisme du discours de Beji Caïd Essebsi, qui ne font que mettre encore plus les feux aux poudres, et nous promettre à tous des “Vacances explosives”.

Tout d’abord, revenons à l’élément déclencheur. Même s’il est vrai que le Sit In Kasba 3 n’a pas eu le succès populaire estompé, et que “l’écrasante majorité” (dixit Sebsi) l’ait boudé, il reste quand même une forme d’expression des droits démocratiques, qui à aucun moment n’a appelé au report des élections ou au renversement du pouvoir. Ces revendications étaient plutôt pacifiques et surtout orientées vers l’application de l’amnistie générale, l’arrêt de la torture, l’indépendance de la justice … Bien que les organisateurs appartiennent à certaines mouvances politiques, il y avait aussi parmi eux des indépendants, qui étaient là pour soutenir des revendications tout à fait populaires et légitimes. La réponse du pouvoir a été la bastonnade, le gazage et la répression tous azimuts, y compris des journalistes, des représentants de la Société Civile ou de simples curieux. Les prétextes invoqués sont des classiques du genre, allant de la préservation des intérêts des commerçants de la Médina, aux jets de pierre lancés par les manifestants. Or, cette répression s’est déclenchée automatiquement, dès les premières heures du Sit In, sans qu’il n’y ait eu à aucun moment recours à des négociations sérieuses, pour entre autres un éventuel changement du lieu du Sit In, ou pour faire évacuer les participants sans violence.

Toute action appelant une réaction, et la violence engendrant la violence, ce qui s’en suivit le soir même est du déjà vu, et certains n’attendent que ce genre d’occasions pour faire bouger leurs pions de l’ombre. Révolte dans les quartiers “chauds” de Tunis et dans plusieurs villes du pays, accompagnée de violences, vols, saccages et incendies d’institutions publiques et privées et de locaux des forces de l’ordre.
C’est là où intervient de nouveau l’autisme politique du premier ministre. Il continue à accuser et à cibler les mêmes partis, tout en tirant un trait sur la mutinerie simultanée des prisons, le financement des casseurs par les ex RCDistes et les acolytes de la mafia des familles et financière, les snipers etc… Sans se soucier le moins du monde de ceux qui orchestrent toute cette déstabilisation tapis dans l’ombre et à l’affut de la moindre occasion.

L’irresponsabilité, à trois mois des élections, c’est de ne pas désigner ni poursuivre les vrais responsables de ces actes graves, qui sont derrière l’insécurité dans laquelle vivent pratiquement la majorité des Tunisiens, et qui continuent à sévir et à tirer les ficelles. Il suffit que l’on réponde sérieusement à la question, qui des Tunisiens ne tient pas à ce que les élections se déroulent le 23 octobre, pour que la réponse nous saute aux yeux. Ce sont tous ceux qui ont perdu leurs avantages et leurs intérêts depuis le 14 janvier 2011. Et ceux-là sont toujours en place, et ils redoutent le passage par les élections à un pouvoir légitime et populaire, car ils devront répondre de leurs actes.

Avec son cynisme désormais légendaire, Beji Caïd Essebsi continue à vouloir détourner notre attention des vrais responsables. Et voilà qu’il fait de la surenchère de la peur, en nous parlant d’armes volées des locaux des forces de l’ordre, et en classant le paysage politique Tunisien en écrasante majorité centriste représentée par lui même et son gouvernement vs. des minorités mal intentionnées de l’extrême gauche et de l’extrême droite. Ce raisonnement binaire, du Bien contre le Mal est le même qui a conduit Bush et les Etats Unis à envahir l’Irak et à le démembrer, plus proche de nous en Tunisie, cela nous promet des vacances explosives … à moins que le premier ministre n’ait un autre agenda plus en adéquation avec la réalité et à l’écoute du peuple.

C’est ce que j’ose encore espérer pour mon Pays et mes compatriotes !