Par khaled Ridha,

Je lis et j’entends souvent que la révolution piétine à cause su « système Ben Ali » ce qui à mon sens n’est pas tout à fait exact. Peut-être cela est-il dû au fait que la révolution a été l’œuvre d’une jeunesse qui n’a connu que l’ère du dictateur déchu.

En vérité, la révolution tunisienne a en face d’elle le système-Destour. Je m’explique :

Dès l’époque coloniale, le parti Destour a tenu à contrôler les organisations de masse. Sa première tentative a été de mettre la main sur la CGTT après la disparition de son fondateur Mohamed Ali el Hammi. (Son successeur Belgacem el Gnaoui a tout simplement été radié de l’histoire nationale comme de celle de l’UGTT d’ailleurs !)

Au lendemain de l’indépendance, et après la mort de Hached, le Destour a réussi à inféoder l’UGTT sous prétexte d’Union nationale. Le secrétaire général Ahmed Ben Salah est devenu super-ministre avant d’être limogé et déféré devant les tribunaux !

Après avoir interdit tous les partis politiques et mis sous tutelle toutes les organisations nationales, le Destour, avec son quadrillage du territoire à travers ses cellules, a mis fin à toute autonomie.

La résistance est venue de l’UGET en 1972 qui a été la première à se rebeller contre la mainmise du parti-Etat sur la société. Son slogan est on ne peut plus explicite : pour une UGET libre, démocratique et représentative.

Le prix a été des années de lutte puisque l’UGET a été dissoute et des centaines d’arrestations avec la torture à la clef.

Quelques années plus tard, ce mouvement a eu des répercussions incontestables sur l’UGTT qui à son tour affirmait son autonomie à l’égard du parti-Etat et fonctionnait selon des règles démocratiques. L’UGTT par le nombre de ses adhérents (500 000 en 1978), son implantation sur tout le territoire et la qualité des universitaires affiliés est venue à concurrencer l’hégémonie du partiEtat. (Habib Achour n’hésitait pas à déclarer publiquement qu’il était entouré de conseillers plus compétents que les ministres du gouvernement Nouira)

Le prix a été une répression sanglante le 26 janvier 1978 (plus de 400 morts) et l’arrestation des dirigeants syndicaux (dont Kouki décédé sous la torture). Ben Ali était impliqué dans ce massacre.

La dissolution de l’UGET, les arrestations et emprisonnements des leaders étudiants et syndicalistes, le coup de force contre l’UGTT n’ont pas entamé la volonté des tunisiens à réclamer plus de démocratie.

Pour relâcher la pression populaire, le parti-Etat consentit à reconnaître certains partis d’opposition et à organiser des élections libres. En 1981, le peuple a voté majoritairement pour l’opposition et les résultats furent falsifiés afin que le Destour conserve ses privilèges et sa domination.

En 1984, l’augmentation du prix des denrées alimentaires génère une révolte qui secoue tout le pays. Le gouvernement fait machine arrière : le comédien Bourguiba qui a présidé la réunion du gouvernement prenant cette décision a fait croire au peuple qu’il n’était pas au courant !

Les revendications populaires, les remous à l’Université et au Syndicat, la montée de la contestation islamiste ont mis au grand jour la faillite du parti-Etat. L’atmosphère de fin de règne a aiguisé les appétits des différents clans au pouvoir. Tout était prêt pour la grande implosion.

Mais Zorro est arrivé. En 1987, Ben Ali renverse le vieux dictateur et s’autoproclame président. Il change le nom du parti-Etat en gardant le qualificatif Destour. Le premier congrès est sous le signe – on ne peut plus explicite- du « Salut » (MOUA’TAMAR AL INQUADH ).

Le système est sauvé. Mais Ben Ali va le pousser à ses limites. Les milices et les mouchards sont une création destourienne bien ancienne. L’arrestation et la torture des opposants également. Le contrôle total des médias et de la culture aussi.

Ben Ali va étendre l’appareil répressif, accroître ses pouvoirs et le contrôler de manière directe. Si à l’époque de Bourguiba, la répression est doublée d’un discours paternaliste et populiste, avec Ben Ali elle sera nue et sans masque.

Si le népotisme était une réalité sous Bourguiba, avec Ben Ali il va prendre des proportions alarmantes. Le Clan du dictateur et de son épouse va mettre la main sur tout ce qui est juteux.

Le gâteau n’est plus partagé avec les autres serviteurs. Ils n’ont qu’à ramasser les miettes.

Si la corruption était timide sous Bourguiba, avec Ben Ali elle devient institution. Elle n’est plus l’apanage des agents de l’Etat (police, douanes, fonctionnaires), elle touche aussi le secteur privé (par exemple les assurances).

Par conséquent, le régime de Ben Ali n’est que la continuation et l’extension d’un système qui a pour base la structure et la culture d’un parti-Etat : le Destour.

Quelques caractéristiques du système-Destour :

Le système « Destour » ne tolère pas le pluralisme d’opinions et la liberté d’expression et d’organisation. Au sein même de ce parti, il n’est pas admis d’avoir une opinion contraire à celle du chef. C’est ainsi que « les libéraux » groupés autour de Ahmed Mestiri ont été exclus du parti en 1971 et que lors du congrès de 1978 la majorité du comité central formée de technocrates amenés par Nouira fut écartée sur décision de Bourguiba après une alerte donnée par Sayah au profit des « anciens militants » dont Zarg al Ayoun, l’assassin de Salah ben Youssef.

Le système Destour est fondé sur l’allégeance personnelle au dirigeant, les combines et les coups bas contre les concurrents éventuels, l’arrivisme, l’opportunisme et la platitude.

Ce système par sa mainmise sur l’Etat a gangréné l’appareil censé servir tous les tunisiens. Basé sur le clientélisme et la corruption, il ne laisse pas de place pour la compétence et l’intégrité. Tous doivent être salis par une quelconque affaire afin d’être mieux contrôlés. L’attitude servile à l’égard du chef est le prix à payer pour gravir les échelons (pour les carriéristes) ou assouvir sa cupidité ( pour les « ambitieux »).

Les rumeurs, les colportages et la délation sont les mœurs de cette pieuvre qui a en horreur l’intégrité, la compétence et l’altruisme.

Conclusion : c’est ce système qui entrave la marche vers la démocratie, la route est donc longue.