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Par Atef Gadhoumi.

La naissance, dans des circonstances exceptionnelles, d’un syndicat des forces de l’ordre intérieures n’est ni un fait anodin ni fortuit. Une naissance conçue, certes, dans la “douleur” et dans un climat des plus tendus mais délibérément consciente car bâtie en guise de réponse résolue à cette relation, si conflictuelle et si suspicieuse depuis toujours, qu’entretenaient les services de sécurité avec les citoyens.

Par cet acte, le corps de la police a joué la carte de l’apaisement, de la réconciliation voire de la fraternisation avec le peuple dont il, ne le rappelle-t-il pas souvent, est issu … Rappelez-vous ces scènes “émouvantes”, ces bains de foule et ces pleurs mêlés de cris désespérés scandés par les agents de l’ordre indignés :”Innocents !! Innocents du sang des martyrs!!”… L’effet de ce contact humain inédit avec la population est immédiat. Il est à la fois touchant et troublant. Mais, quant à sa pérennité, le doute se manifeste inéluctablement. La brèche est-elle colmatée? Le pacte de confiance peut-il être honoré ? La page est-elle tournée? Pas aussi simple et surtout pas aussi sûr … au vu des faits avérés qui se sont succédés au fil des jours.

Nul ne peut contester que le dossier de l’appareil policier tunisien est compliqué et tentaculaire. L’omerta, cette loi de silence, est de vigueur dans cet Etat dans l’Etat… L’assainissement de ce milieu n’est pas une partie de plaisir. Le sort réservé à Mr Farhat Rajhi, l’ex ministre de l’intérieur, en est la parfaite illustration !!! Aussi exigeante soit-elle, cette mission de longue haleine est indispensable car c’est la condition sine qua non de la réussite de la révolution.

Venons-en aux faits et attardons-nous sur les prises de position du nouveau syndicat indépendant des forces de l’ordre intérieures. Outre le fait du caractère revendicatif d’un tel organisme, le syndicat de la police, en phase de gestation, a outrepassé ce mandat et a fixé comme objectifs, à en croire les propos de ces porte-parole MM. Imed Besrour et Khaled Berrahal, la participation à la naissance du policier républicain qui ne défend pas ses intérêts personnels, mais l’intérêt des citoyens.

Cette position, Ô combien louable, se veut inaugurer une ère nouvelle synonyme du respect du citoyen et de la primauté de la loi. Mais serait-elle concrétisée?? A vous de juger.

Acte 1: Assaut ou rumeur ?

Immense, fut notre indignation en apprenant par le biais des médias cette information d’un autre âge et digne des grandes fictions hollywoodiennes. Il s’agit de l’irruption de cinquante agents de sécurité dans le tribunal de première instance de Sousse et la libération de leur collègue de la salle de détention !!!

Aussitôt, le Ministère de l’intérieur émet, dans un communiqué daté du 16 avril 2011, un démenti catégorique et qualifie cette information de rumeur infondée. Mais, voilà que le lendemain, l’Association des magistrats tunisiens (AMT) appelle ” à l’ouverture d’une enquête administrative et judiciaire sur les circonstances “des incidents graves” qui ont eu lieu fin mars au tribunal de première instance de Sousse.”. Ces faits, ajoute le communiqué de l’AMT ont “réellement eu lieu contrairement aux affirmations contenues dans le communiqué du ministère de l’Intérieur en date du 15 avril 2011”.

Devant cette polémique, le syndicat des forces de l’ordre intérieures s’est figé dans le silence. Aucun commentaire de sa part et pourtant ce qui s’est passé est en contradiction flagrante avec l’ébauche d’une police républicaine qu’il revendique “corps et âme”!!

Acte 2: Un Etat dans l’Etat

Hautement inquiétants, les propos tenus par Mr Farhat Rajhi dans son interview avec le quotidien Essabah parue en date du 16/04/2011. Il confirme que les actes de violence, de torture et d’arrestations illégales, commis par les forces de l’ordre, n’ont pas cessé. Pis encore, il avoue, impuissant, que “L’appareil policier échappe à la volonté de l’État… comme si ce corps d’État bénéficiait d’une immunité dont on ignore ses origines.” !!

Ce même constat, horrifiant, est partagé par Me Radhia Nasraoui , présidente de l’Organisation contre la torture en Tunisie (OCTT), qui confirme dans une interview donnée au journal “La Croix” que « Les tortures continuent dans les postes de police et dans les prisons tunisiennes.”. Et, elle ajoute que son organisation:” reçoit toujours les plaintes de nombreuses victimes. Ce sont surtout les jeunes qui sont ciblés. Par exemple, mercredi 13 avril, nous avons plaidé la cause de plusieurs jeunes arrêtés lors d’un sit-in. Ils assuraient avoir été torturés et l’ont prouvé en montrant au juge leurs blessures au crâne et aux jambes.”

Là aussi, silence radio du côté de l’organe syndical des forces de l’ordre intérieures devant ces exactions flagrantes. Se sent-il non concerné par ce type de comportements indéfendables et condamnables ??

Acte 3: Ne touche pas à mon collègue !!

Suite à la conférence de presse tenue par M. Taoufik Bouderbala, président de la Commission nationale d’investigation sur les violations et les abus, le syndicat des forces de l’ordre intérieures est passé, tambour battant, à l’attaque. Il dénonce la campagne diffamatoire contre les services de sécurité et rejette de voir certaines parties prendre les forces de la sécurité intérieure comme “un bouc émissaire” pour atteindre des objectifs politiques étroits, qui n’ont aucun rapport avec l’intérêt général du peuple tunisien.

Dans un communiqué daté du 13 avril 2011, on peut lire notamment que l’assemblée constitutive provisoire du syndicat des forces de l’ordre intérieures:” commence à déceler les prémices d’une campagne ciblant les services de sécurité à travers la propagation d’informations dépourvues de toute crédibilité, avec des allusions accusatoires imputant les actes de violence, de meurtre, de terrorisation, de vol et de pillage aux forces de l’ordre”.

Et on ne se contente pas de dénoncer, le syndicat entend “engager un mouvement de protestation, en incitant tous les agents de sécurité intérieure à porter un brassard rouge, à partir du mardi 19 avril 2011, avec possibilité d’une escalade de la protestation, à travers d’autres formes, qui seront déterminées ultérieurement, en cas de poursuite de la campagne diffamatoire et si le ministère de l’Intérieur ne prend pas les mesures qui s’imposent “. Un préavis de grève déguisé ou un chantage lourd de conséquences!!??

Et depuis, le ton monte crescendo et la protestation prend des formes variées allant du port du brassard rouge à la manifestation pacifique ou houleuse telle signalée à Sidi Bouzid le 20 avril. Quant aux revendications, elles tournent autour de ” l’amélioration des conditions sociales et professionnelles et la révision des promotions, en plus de la libération des collègues emprisonnés”.

On est loin, très loin des belles promesses. Le rôle de ce syndicat en tant que porte-étendard d’une police républicaine est fortement hypothéqué. La peur du retour des vieux réflexes sécuritaires hante nos concitoyens. L’éclatement de la vérité, seule, pourrait contribuer à franchir cette étape transitoire, à rendre une justice, ni expéditive, ni laxiste mais une justice tout court…