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Par Hedi Attia,

Parmi les nombreux aspects de la nouvelle Tunisie dont on discute aujourd’hui, est venu récemment le sujet sur la séparation entre la religion et l’Etat.

Les discussions sur la laïcité ont donné lieu à des débats passionnés (pour être gentil), parfois houleux, jusqu’à en arriver aux mains (agression des manifestants laïcs à Sousse).

Malheureusement, le niveau ne vole pas très haut. Au lieu de discussions sereines, on assiste seulement à des accusations balancées aux laïcs qui sont soit athées, communistes, islamophobes, pro-occidentaux et bien sûr franc-maçon (je dois dire que j’ai une préférence pour cette dernière accusation).

D’abord, il y a ceux qui essayent d’éviter le débat « ce n’est pas le moment » « on va se diviser évitons d’en parler ». A l’heure où l’élection d’une assemblée constituante approche pour écrire une nouvelle constitution, je crois au contraire que le débat de la modification du premier article sur la constitution mérite d’être posé et qu’il a toute sa place actuellement. Je ne vois pas d’autre moment plus adéquat que maintenant. Quant à la division, elle est l’essence même de la démocratie, les avis différents, les débats font partie intégrante de la démocratie. Il n’y a donc pas de raison d’en avoir peur, l’avis unique existe seulement en dictature. Le débat doit donc avoir lieu au même titre que pour les questions de l’éducation, du système économique, du développement etc.

A propos de la laïcité, elle est à la fois diabolisée par ses adversaires et idéalisée par plusieurs de ses partisans. Personnellement je me considère comme étant un laïc dans le sens où je souhaite une société où toutes les religions et toutes les tendances puissent vivre librement sans que personne n’impose à l’autre son point de vue ou sa manière de vivre. Une société tolérante en somme où les différentes sensibilités sont respectées, rien de plus compliqué.

Je dois dire que certaines personnes contre la laïcité ont de vrais arguments, comme par exemple le fait que l’Etat n’aura plus de droit de regard sur ce qui se passe dans les mosquées si la laïcité s’applique, et là peuvent venir des lieux de cultes financés par nos « amis » saoudiens avec tous les discours ahurissants qu’on peut y trouver. L’éducation privée coranique qui serait favorisée par la suppression de l’éducation islamique à l’école publique peut aussi se développer avec des enseignements très « particuliers » sans que l’Etat ne puisse rien y faire. On me dit aussi : la Tunisie et les tunisiens ont toujours été tolérants sans avoir besoin de modifier l’article premier de la constitution, c’est inscrit dans notre culture et notre histoire, une certaine forme de la laïcité peut donc s’exercer par les citoyens eux-mêmes sans avoir besoin de lois, le combat est à mener à ce niveau là, en sensibilisant et en éduquant les citoyens. Des points de vue logiques et rationnels, qui me font réfléchir moi pourtant farouche partisan de la laïcité au départ.

Malheureusement arguments qui se font rare. Pour l’heure on assiste à un débat fait de guerres de vidéos sur facebook où les diabolisations sont courantes. Les laïcs seraient de dangereux émissaires envoyés dans le cadre d’un obscur complot occidentalo-judéo-maçonnique pour éloigner les tunisiens de leur foi musulmane. A la limite on pourrait en rire. Mais cela va trop loin lorsqu’on voit des menaces de violence à travers des videos ou certains administrateurs de pages (on admirera le courage de ces personnes anonymes qui menacent d’agressions physiques l’association des femmes démocrates, bravo !), de voir les manifestants laïques agressés à Sousse. De quel droit ces personnes osent-elles vouloir étouffer la parole de citoyens qui veulent faire entendre leur voix ? De quel droit remettent-ils en cause ainsi la liberté d’expression acquise par ce pays au prix cher ? Tout démocrate réel condamnera ces actes. « Il est interdit d’interdire » pour reprendre un slogan de Mai 68. D’ailleurs ces gens là feraient bien d’y réfléchir car ils se discréditent avant tout eux-mêmes en se comportant avec cet extrémisme.

Au final je dirai que le débat sur la laïcité doit tourner autour de ces questions :

La laïcité est-elle indispensable à notre société pour vivre en paix et être tolérant ?

A-t-on besoin de la laïcité pour que la liberté de culte puisse s’exercer librement ?

Faut-il que l’Etat « garde la main » sur les affaires religieuses pour éviter tout débordement ou doit-il plutôt laisser la liberté totale aux croyants de s’organiser comme ils veulent ?

La laïcité peut-elle faire barrage à l’extrémisme religieux ou au contraire le favoriser involontairement ?

C’est sur ces bases qu’un débat démocratique doit avoir lieu, car ce qui se passe actuellement est indigne de la révolution tunisienne : agressions, anathèmes, insultes, menaces, diabolisation… Une attitude en opposition totale avec ce qu’a fait le peuple tunisien un jour de 14 Janvier.