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Ambulance en Tunisie

Par Dr Badr Miled,

Commençons directement par la fin. Ma réponse définitive est oui.

Allons après à l’origine: L’hôpital Tunisien. Structure normalement formatrice des générations futures de médecins, souffrant depuis des années d’inégalités affreuse entre les grandes villes (Tunis, Sousse, Sfax et Monastir) et les autres. Inégalité qu’a essayé de combler le ministère depuis deux ans en obligeant les nouveaux assistants hospitalo-universitaires à passer une année à l’intérieur sans se soucier de leur offrir les conditions de transport nécessaire dans une situation qui coïncide pour une majorité d’entre eux avec un besoin familial d’être auprès de leurs jeunes familles, sans leur donner tous les moyens logistiques nécessaires à la bonne pratique de leur travail sur place et bien sur sans faire rentrer tout ceci dans un programme de développement régional global des villes intérieures. Résultat: après une année, le jeune assistant hospitalo-universitaire régresse au niveau des connaissances, a cette étrange impression d’avoir été puni pendant 12 mois, se retrouve ruiné financièrement par les déplacements et les besoins de son deuxième foyer.

Dans les grandes villes, les choses se passerait elles d’une meilleure façon?

Pas vraiment, au sommet de la pyramide, un chef de Service “à vie”, présentant souvent un excès d’autoritarisme comme c’est toujours le cas dans un tel régime, vit de fins de mois difficiles avec un salaire “à des années lumières” de son degrés de formation. Toujours pour combler, le ministère nous a inventé un concept haut en couleur: l’APC (activité privée complémentaire). Cette invention n’a pas été bien saisie par les confrères qui, pour une grande partie d’entre eux, passe deux après-midi par semaine à l’hôpital et le reste de la semaine dans le privé au lieu de l’inverse.

Comme c’est toujours le cas dans un tel régime, les excès du chef contaminent tous les étages de la pyramide. Et aujourd’hui, il n’est pas rare de trouver des résidents en fin de formation dans les cliniques privées. Le para-médical, affaibli par des salaires qu’on va juste qualifier d’insuffisants, n’échappe pas à la règle. Ils marquent leur présence dans le service publique avant de prendre la direction des cliniques pour arrondir les fins de mois.

Un tel système n’est pas sans conséquence sur la seule chose qui est restée valable au fil des années et qui commence à présenter quelques signes de faiblesse: la qualité de la formation.

imagine-t-on que dans des services hospitalo-universitaires complètement désertés, les médecins en formation armés de la plus grande patience et d’une soif d’apprentissage hors norme, mais livrés à eux même pourrait acquérir les connaissances et l’expérience nécessaires à leur travail. J’en doute.

Que penser devant une volonté tunisienne de ne plus envoyer les médecins tunisiens pour parfaire leur formation en Europe, qui surajouté à une volonté européenne de privilégier les européens, bloque complètement cette manne d’apprentissage et financière. Vous imaginez que ma réponse est une incompréhension voire une suspicion.

Vient alors le tour de la médecine privée. Affaiblie par la concurrence parfois déloyale des médecins hospitalier et devant un marché tunisien très restreint, les libyens constituaient l’essentiel des revenus des médecins de libre pratique, en tout cas dans les grandes villes. Ce marché précaire comme le démontre sa disparition depuis les évènements récents en Tunisie puis en Lybie, ne peut pas être une solution définitive.

Tout ceci est un peu caricatural, j’en conviens: Il reste encore des bouc émissaires dans chaque hôpital tunisien, qui armés d’un sens inouï du don du soi, comblent les lacunes.

Il reste encore des chefs de service, insensibles à la tentation matérielle, gèrent très bien leur service.

Il reste encore des médecins en formation qui à force de volonté, arrivent à extirper le maximum de connaissance de leurs ainés et à sortir leur épingle du jeu…..

Cependant, plusieurs interrogations me traversent l’esprit : Comment expliquer qu’un assistant hospitalo-universitaire tenu à rester 8 heures par jour dans son service, d’assurer l’encadrement des jeunes médecins, d’assurer des gardes, à donner des cours dans les facultés de médecine et dans les écoles de santé, gagne à peine quelques dizaines de dinars de plus qu’un assistant universitaire d’un autre domaine qui fait entre 8 et 12 heures de cours par semaine.

Comment expliquer le salaire du para-médical ? Comment exiger des jeunes médecins des gardes sans repos compensateur le lendemain Comment mettre en place l’APC sans système efficace de surveillance pour éviter les excès Comment exiger des jeunes pères et mères de famille de travailler loin de leur proche sans aucun développement du transport et sans aucune compensation matérielle

Le chemin est long et très long. Bonne chance à ceux qui prennent et qui vont prendre les choses en main. La santé n’est qu’une partie d’un système macabre mis en place par l’ancien dictateur. La fatalité est un des caractères des gens qui font cette profession. Mais je trouve que l’heure est venue de rompre le silence.