Il semble inutile de revenir sur le déroulement troublant des événements de laboratoire qui ont précédé la fuite de Tunisie, humiliante pour nous tous, du Président tunisien ce 14 janvier 2011. La « révolution grandeur nature » en Egypte a levé toute ambiguïté sur les desseins et l’opportunisme prémédité de la main invisible qui a coaché, en direct et en temps réel sur les télévisions du monde, l’organisation du départ du Général Moubarak du Caire. Aujourd’hui, un mois après La fuite, la révolte, tant rêvée et tant attendue du peuple tunisien est en train de tourner en révolution d’opérette ! Les embusqués, les ministres, les députés, les sénateurs, les journalistes, les laudateurs, les indifférents et profiteurs de tous bords du régime RCD-Ben Ali-et-sa-famille s’érigent en révolutionnaires et se proclament les meilleurs défenseurs des intérêts de « la révolution de la dignité » ! Ils sont en passe de reprendre le cours de notre destin là où ils ont estimé qu’il n’était pas contraire à leurs intérêts personnels et illégitimes. En même temps, les « jeunes » qui ont fait la «révolution » auraient choisi le sillage des boat-people pour défendre leur « révolution » et affirmer leur volonté de vivre dans la dignité ! Quant aux Facebookers, ils ont, semble-t-il, déserté la vie réelle pour mieux se replonger dans leur no life. Drôle de Tunisie ! Drôles de nous !

Deux décennies de RCD-Ben Ali-et-sa-famille sont lourdes à porter, à digérer, à éliminer, à déconstruire !

Plus d’un mois après cette fin ubuesque, le « gouvernement de transition » réprime, piétine, tergiverse, louvoie et organise une situation délétère et anxiogène, pour s’opposer à la volonté d’émancipation exprimée par l’écrasante majorité de la population tunisienne. Sinon, comment interpréter l’évacuation 7novembriste de la place de la Kasbah ! Comment interpréter les nominations des « nouveaux » Walis ! Comment interpréter ces départs massifs d’émigrants vers une Europe qui instrumentalise, en cette période de crise économique et de doute existentiel, la peur de « l’immigration musulmane » ! Comment interpréter l’annonce d’un incendie criminel imaginaire contre la « Ghriba » ! Comment interpréter l’organisation de ces manifestations anti-juifs-tunisiens au centre de l’actuelle capitale tunisienne ! Pourquoi laisser assassiner un moine de Mornag ! Pourquoi laisser faire ces actes contre ces maisons pourtant de tolérance ! Est-ce une volonté d’instiller l’angoisse et la peur, conjuguée à une volonté d’internationaliser la situation de crise pour faire accepter le statu quo ? Est-ce une incapacité à restaurer la stabilité et à assurer une transition démocratique crédible ? Dans tous les cas de figure, l’actuelle Autorité a échoué dans sa mission première : instaurer les conditions de la confiance, impératif primordial à toute adhésion populaire et à une véritable sortie de l’humiliation et du totalitarisme. Du totalitarisme politique et de celui du système économique mafieux ! Ce « Gouvernement » doit reconnaître qu’il en est génétiquement incapable ! Le chef de l’armée qui s’est publiquement proclamé garant de la victoire de la « révolution de la dignité » doit reconnaître que son choix est inéluctablement stérile.

Ne nous leurrons pas. Le règne de la nébuleuse RCD-Ben Ali-et-sa famille n’a duré que deux décennies parce que nous avons eu la chance d’avoir été soumis par la mafia la plus bête du monde ! Avec un semblant de tact et une voracité moins vigoureuse, le règne de cette mafia aurait perduré plusieurs années encore. Malgré le courage et la résistance d’une frange de la population tunisienne.

La colère de notre peuple a été concentrée et dirigée contre le clan Ben Ali-et-sa-famille. Ce clan a été évincé. Pas la nébuleuse RCD. A vouloir rechercher à tout prix une sortie sans douleur, nous risquons de nous faire voler notre renaissance. Le parti Institutionnaliste et ses avatars au Mexique dominent le pays à cause des mêmes erreurs depuis quasiment un siècle ! Les conséquences de cette situation dans le pays d’Emiliano Zapata et du Subcomandante Marcos sont éloquentes.

Il n’y a pas de sortie du totalitarisme pour le Nord et une sortie du totalitarisme pour le Sud ! Il y a la stratégie du guépard et la stratégie de la Prusse réunifiée. La première consiste au final à ce que rien ne change et la seconde à changer tout, méticuleusement et rationnellement. En douceur quand il le faut. En profondeur et en tranchant dans le vif quand il le faut et là où il le faut.

L’agenda populaire, les urgences du moment sont la sortie de l’humiliation, la sortie du totalitarisme politique et la sortie du système économique mafieux. Les élections ne constituent une urgence que pour ceux qui travaillent pour préserver le statu quo ou pour ceux qui rêvent de porter le foulard orange au cou. Qu’ils prennent garde ! Le jeu du foulard peut s’avérer mortel politiquement et celui du statu quo peut conduire à la bérézina !

Opération médias ouverts ! A visage découvert !

La sortie de deux décennies d’humiliation doit passer par une libération sans conditions de la parole et de l’écrit. Les lois sur la liberté d’expression doivent être immédiatement suspendues et les médias déclarés ouverts. Médias ouverts, à visage découvert. Tout à l’opposé des pseudonymes et visages floutés du web ! Avec une posture de dénonciation, nullement de délation.

Seuls, ceux qui n’ont pas vécu ces deux décennies infâmes de l’autre rive de l’Etat-RCD-Ben Ali-etsa-famille ne comprendraient pas le besoin de revanche symbolique qu’éprouve une large partie de la population tunisienne et son besoin de raconter les humiliations, les tortures, les spoliations, les diffamations, les mensonges, les bassesses, les lâchetés, la justice partiale et falsifiée ou la perte et la disparition de proches. Ne pas rendre possible cette thérapie collective risque de livrer la société à l’explosion des maladies mentales, de la délinquance et de la criminalité. C’est ce type de thérapie qui permettra à notre peuple de renouer avec sa force intérieure, de redécouvrir la puissance de l’éthique dans le maintien de la cohésion sociale. Ce type de thérapie peut nous ouvrir le chemin d’une résilience collective, condition nécessaire à la construction d’une société équilibrée, productive et solidaire. Nous éviterons ainsi les revanches démesurées, les lynchages, les délations et une dégradation morale plus sévère. Nous retrouverons ainsi les chemins de la vérité, de la clémence et de la réconciliation.

La sortie du totalitarisme politique

Les Autorités actuelles ne représentent que la nébuleuse RCD qui tente de sauver une large partie de ses intérêts mal acquis. Elles doivent finir par reconnaître leur défaite et accepter d’être

dissoutes si elles veulent sauver leurs intérêts légalement et légitimement conquis. Elles devraient faire preuve d’un « fairplay » utilitariste.

Les forces de la résistance et du changement, toutes, quelles que soient leurs couleurs politiques et idéologiques, les patriotes, doivent s’unir, s’engager ensemble et poursuivre le processus de destitution et de déconstruction de la forteresse Etat-RCD. Ce processus a été stoppé par le transfert chaotique du pouvoir entre les hommes du RCD qui tentent la stratégie du guépard. En 1987, le leitmotiv des hommes du PSD était « Ne bousculez pas Ben Ali ! Il manque de confiance en soi ! Rassurez-le ! ». Pour le rassurer, nous l’avons bien rassuré ! C’était l’argument brandi pour éviter de devoir, alors, prendre immédiatement les mesures qui auraient interdit de poursuivre comme au 6 novembre 1987. L’opposition joua le jeu et fit malheureusement preuve de « fairplay » ! Les arguments de « vide institutionnel » ou « de risques d’instabilité politique et d’insécurité » doivent être, aujourd’hui, combattus et balayés. Gardons bien en mémoire nos fautes, nos atermoiements, nos divisions et nos lâchetés ! La révolte populaire doit être relayée, avant qu’il ne soit trop tard, par les forces de la résistance et du changement. Ces forces pourraient s’organiser dans une « Destituante ». Un sas qui permettra de désarmer et de neutraliser les forces contre-révolutionnaires, une chambre de stérilisation qui participera à éliminer les germes du statu quo. Les femmes et les hommes de la résistance et du changement, élus par la répression subie, les emprisonnements, leurs exils, leurs actions, leur détermination et leur constance, leur patriotisme, doivent imaginer et élaborer ensemble cette « Destituante » ; c’est-à-dire un ensemble d’Institutions-miroirs, asymétriques aux Institutions stratégiques de l’Etat-RCD à fin d’arraisonner ces dernières, de les phagocyter, de décomposer leurs sources de pouvoir, de s’y substituer et d’éviter ainsi tout risque de vide institutionnel. Elles devront créer progressivement un no man’s land politique entre les hommes et les femmes les plus impliqués dans l’Etat-RCD et les institutions de la nouvelle République. Le parti du Destour, s’il existe encore, doit détruire la camisole-RCD. S’il a encore une légitimité, il doit la reconquérir, se renouveler et se reconstruire loin du pouvoir, dans l’opposition. Il doit passer par le tamis d’une longue traversée du désert en guise de cure de désintoxication de ses addictions totalitaires. Il participera par cette abstinence politique responsable au processus de reconstruction du pays !

Une fois que cette « Destituante » aura achevé de neutraliser la nébuleuse Etat-RCD, elle devra embrayer rapidement sur une Constituante. La Constituante, formée d’un ensemble d’institutions fondatrices d’un ordre nouveau, se chargera d’établir les Institutions d’un nouveau Régime politique, d’une Nouvelle République. D’une République modeste, à l’image du pays. Une République modeste, mais avec la volonté de devenir souveraine !

Notre pays est une nation modeste. Modeste du point de vue de sa géographie, de sa démographie, de son poids politique, de ses ressources économiques ou scientifiques et culturelles. Notre pays est foncièrement pacifique.

L’esprit qui prévaudra sur l’ensemble des institutions de la Constituante devrait refléter cette réalité et indiquer les grands choix d’avenir.

Notre pays a souffert de fictions délirantes des « combattants suprêmes » et des « artisans d’une date » ! Ces hommes providentiels se sont taillé des statues hyper-dimensionnées. Ils se sont réservé un statut de Président d’hyper-puissance. Ils se sont fait ériger une présidence hypertélique qui a conduit notre pays à des impasses évolutionnaires. Ce Palais de Carthage, générateur de folies des grandeurs et de Présidents à vie doit disparaître. L’annonce de la nécessité de la délocalisation du siège de la présidence vers un lieu plus modeste, plus proche des réalités de notre pays, plus préservateur de la santé mentale des hommes ou des femmes à qui le peuple ou ses représentants confieront la charge de représenter les Tunisiens et la Tunisie, cette annonce de volonté de délocalisation constituera le signal clair de l’engagement du pays dans une autre phase de son histoire. Le Palais de Carthage pourra être transformé en un centre de recherches et d’accueil des plus méritants de nos étudiants et des plus éminents chercheurs du monde dans les disciplines les plus variées. Cette annonce signifiera que le pays tout entier est conscient du désastre qui frappe la qualité de notre enseignement et de la misère de notre recherche et de notre production scientifiques. L’annonce du projet de délocalisation devrait lancer une vaste réflexion et une concertation populaire sur la pertinence d’une éventuelle délocalisation de la capitale vers le centre du pays. Un tel projet de réaménagement du territoire pourrait susciter un vaste débat autour d’une nouvelle géopolitique intérieure, plus adaptée aux exigences d’un développement durable et aux impératifs de la régionalisation et de la mondialisation.

Notre pays a souffert de l’absence de développement équilibré et notre peuple du manque aigu de justice sociale, du refus d’un partage équitable des fruits de la croissance économique de ces quatre dernières décennies. Les quinze ans qui ont suivi notre indépendance sont à part, quelles que soient les erreurs, les maladresses ou les fautes commises par les uns ou les autres ! L’histoire de cette période doit être dé-falsifiée officiellement ! Un développement économique équilibré et durable ne pourra se construire sans un Etat keynésien, interventionniste et régulateur. Les plans d’ajustements structurels imposés par le FMI doivent être annulés dans leur réalité et leurs conséquences. Sur ce point, la BIRD a déjà fait son mea culpa dès … 1997 ! La reconquête des leviers économiques essentiels de la puissance publique pourrait débuter par, d’abord, la mise sous tutelle publique des biens en Tunisie du clan Ben Ali-et-sa-famille (la restitution des biens de ce clan transférés à l’étranger prendra, elle, plus de temps). L’Etat, représenté par un gouvernement légal et légitime, pourra recouvrer dans une phase ultérieure les parts du capital des entreprises détenues par les membres de ce clan, selon des procédures normées de renationalisations ou de nationalisations. En récupérant ses biens, ses entreprises, les services publics dont il avait été spolié, l’Etat retrouvera en même temps, ses instruments de gouvernement et d’orientation des activités économiques. Une politique économique cohérente, créatrice d’emplois et de richesses, tournée vers les régions oubliées pourrait être mise en place grâce aux moyens financiers retrouvés et à une véritable politique de collecte des impôts.

Beaucoup de nos concitoyens ont souffert d’une Administration judiciaire aux ordres, gardienne des intérêts du RCD-Ben Ali-et-sa-famille. Que ceux des magistrats qui ont su garder leur dignité et intégrité le confirment ! Une déclaration d’indépendance de la Justice, ici et maintenant, pourrait instituer symboliquement le premier pilier d’une Destituante et d’un futur régime fondé sur la séparation et l’équilibre des différents pouvoirs. Cette proclamation constituera une condition supplémentaire pour l’instauration de la confiance.

Soyons honnêtes et objectifs ! Sur le plan diplomatique aujourd’hui, notre pays est relativement insignifiant, politiquement et militairement. Sous le règne de Bourguiba, puis sous celui de Ben Ali, la souveraineté potentielle du pays a été progressivement tronquée, en partie pour des considérations de rapports de forces internes, et en partie pour des raisons d’équilibres régionaux. L’empreinte de la France sur la Tunisie indépendante a été suffocante et humiliante, oui ! Depuis l’assassinat de Farhat Hached. La pesanteur américaine s’est confirmée durant ces évènements. La Tunisie n’est pas obligée de se soumettre à l’agenda américain ou à une doctrine Monroe élargie au monde Arabe. D’autant plus que la puissance réelle des Etats-Unis est de plus en plus tributaire de l’agenda géostratégique de la puissance chinoise.

La Tunisie pourrait opter pour un statut de neutralité, à l’image du Costa Rica. Le statut de ce pays n’a porté préjudice ni aux intérêts de ses voisins, ni à ceux des Etats-Unis. Au contraire. La diplomatie de neutralité du Costa Rica a permis de résoudre bon nombre de tensions et de conflits. Ce statut a permis au Costa Rica d’accueillir d’importantes institutions centre et sud-américaines, notamment la Cour Interaméricaine de Justice. Son président Oscar Arias a même été couronné par un Prix Nobel de la Paix.

Le sourire de Farhat ! « Il n’est rien de plus puissant que l’ITTIHAD »

« Nous voulons la liberté de nous exprimer […], nous méprisons la haine, la vengeance, l’abus d’autorité […], nous n’aimons pas les intrigues, les manœuvres sournoises, nous aimons le soleil et le grand jour, nous sommes loyaux et nous aimons la loyauté. Nous nous attaquons à l’injustice, quelle que soit la forteresse qui la protège. Nous jouons franc jeu avec notre adversaire et nous lui disons carrément pourquoi nous le combattons et il nous comprend s’il est loyal. »

Les militants de l’UGTT devraient méditer ces paroles intemporelles et universelles. Les militants de l’UGTT qui ont résisté à la dictature doivent prendre leurs responsabilités. Ils doivent opérer leur propre « Destituante » et écarter leur Direction qui a frayé jusqu’au bout avec le système EtatRCD. Aujourd’hui, l’histoire, notre peuple offrent aux authentiques militants de l’UGTT l’occasion de reconquérir leur rôle, rôle dont ils ont été spoliés par les assassins français de Farhat Hached et leurs complices tunisiens. Cet assassinat et l’affaiblissement conséquent du mouvement syndical et social tunisien ont bénéficié à un courant politique. Ce courant politique, incarné par le NéoDestour, a gouverné le pays depuis l’indépendance de manière hégémonique, avec les résultats que nous vivons aujourd’hui.

La période historique actuelle donne à l’UGTT l’occasion de rétablir les équilibres socioéconomiques et politiques dans le pays. Une UGTT purifiée des complices de l’Etat-RCD a l’occasion historique de prendre une revanche responsable. De l’UGTT doit émaner une force politique pour diriger et organiser cette période de transition démocratique et de reconstruction des pouvoirs en Tunisie. La Centrale Syndicale est la seule capable aujourd’hui d’agréger les forces du changement loin de tout sectarisme et régionalisme. Cette émanation politique de l’Union Générale des Travailleurs Tunisiens doit prendre la tête d’un Mouvement Populaire pour la Transition Démocratique.