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Dr Lamjed Bensedrine

Sans être grave, la situation reste préoccupante dans notre pays. Nous assistons à un ralentissement du processus révolutionnaire et à une réorganisation des forces antirévolutionnaires, qui après la période de choc et de repli, reprennent l’initiative (malgré la dissolution du RCD) et multiplient les actes de violence, réorganisent leurs rangs, et continuent à exercer des actions de déstabilisation sur tous les fronts (maintient de cadres douteux aux commandes du ministères de l’intérieur et des postes clés de l’administration de l’état, maintient en état de liberté de dangereux hauts responsables de l’ancien régime, multiplication des actes de violence par les milices, mains mise sur plusieurs médias ; désinformation ; exacerbation de la peur, particulièrement sur le plan économique, pour faire le lit des ingérences étrangères, sous
couvert d’« aides »,…).

A l’exception du ministre de l’intérieur, dont la bonne foi est incontestable, mais qui ne dispose ni d’expérience, ni d’une équipe solide pour mener à bien l’épuration de son ministère, l’ensemble du gouvernement s’oriente vers un état de fait accompli d’un processus visant le maintient de l’oligarchie au pouvoir, avec ses traditionnels appuis étrangers. La stratégie (qui semble leur avoir été soufflée par les chancelleries étrangères, qui n’ont aucun intérêt à un changement radical) se résume à un processus visant la mise en place d’un régime présidentiel, qui consacrera le souhait des puissances néo-coloniales d’un état « stable » ; moyennant quelques aménagements démocratiques, par une révision (à minima) de la constitution, et l’émergence d’une personnalité issue de l’opposition, qui servirait de paravent à l’ancien régime. Ce processus a été concocté sur la base de l’article 57 de la constitution, qui appelle aux élections présidentielles, et dont le caractère caduque est attesté par tous les spécialistes de droit constitutionnel (teintant d’illégitimité le pouvoir actuel)!

Le fait de privilégier les élections présidentielles (court-circuitant le processus inverse qui émergerait de la base populaire), dans un délai excédant 6 mois, leur offre toute la latitude pour disperser les rangs, détourner les revendications fondamentales vers des questions subalternes de salaires ou d’emploi, et disposer d’un temps suffisant pour organiser leurs alliances, tout en faisant disparaitre des documents compromettants qui pourraient les éliminer du jeu politique, et menacer l’oligarchie financière, économique et médiatique, de poursuite judiciaire.

L’heure n’est pas à la stigmatisation des leaders de l’opposition ou de l’UGTT, responsables du retard préjudiciable à la mise en place du « Conseil National de Préservation de la Révolution », présidée par Mr Ahmed Mestiri, et dont le poids autant que la légitimité (toutes les régions étant représentés par désignation consensuelle, aux coté des représentants de partis et ONG crédibles) auraient permis d’offrir une alternative incontestable au gouvernement actuel. Il est aujourd’hui impératif de réaliser une mutation radicale du mouvement populaire revendicatif et d’opposition au gouvernement, vers un mouvement qui reprenne l’initiative de l’action, qui conduira enfin à la reprise du pouvoir par le peuple.

La mise en place dans les plus brefs délais du « Conseil National de Préservation de la Révolution » constitue la base indispensable, pour les deux voies qui s’offrent à nous :

– La première consiste en la définition d’une feuille de route parle «Conseil National de Préservation de la Révolution», feuille de route à laquelle devra se soumettre le gouvernement actuel ; avec la tâche prioritaire d’organiser les élections de l’assemblée constituante, dans un délai n’excédant pas deux à trois mois. Cette assemblée issue du peuple, pourra former un vrai gouvernement populaire qui agira sous son autorité et s’attellera à l’édification de l’état souverain et indépendant, par la mise en place d’une nouvelle constitution soumise à référendum, après concertation et large débat public, qui ouvrira la voie aux élections municipales et présidentielles.

De part le réservoir humain dont il disposerait (formé par une jeunesse admirable de pertinence et de générosité, issue de toutes les régions, y compris en exil), le conseil national aura la latitude (en attendant les élections législatives) de mettre en place des comités révolutionnaires de veille, au sein de tous les ministères de souveraineté (surtout l’intérieur et la justice) pour assurer la réussite de cette période transitoire en matière de sécurité, indispensable à la reprise de l’activité économique.

Ces comités au sein de chaque ministère, relayeront les informations qui doivent être livrées au peuple, pour d’éventuelles tâches d’utilité public, ou mobilisations jugées nécessaires, tout en veillant à la préservation du patrimoine de documents administratifs (dont bon nombre ont déjà été éliminés). Ils doivent, en outre, veiller à la concrétisation des poursuites judiciaires de tous ceux qui peuvent porter atteinte à la révolution (à commencer par une réaction énergique visant à mettre hors d’état de nuire Leila Ben Ali, Md Ali Ganzoui… et tous ceux qui continuent à porter atteinte à la révolution)

– La deuxième alternative consiste à obliger le président provisoire à déléguer ses pouvoirs au « Conseil National de Préservation de la Révolution » qui se constituerait en assemblée constituante provisoire. Il prendrait possession de l’assemblée nationale après dissolution des deux chambres. Cette assemblée désignera en séance plénière, un gouvernement d’union nationale, assurerait un total contrôle sur celui-ci et démarrerait le processus d’élaboration de la nouvelle constitution, en ayant la latitude d’un délai plus long pour les élections législatives, suivie des municipales puis, éventuellement, des présidentielles. Ces deux voies sont subordonnées au niveau de cohésion des syndicats, de l’opposition et des associations, dans la mise en place du « Conseil National de Préservation de la Révolution », dont la détermination ne pourra être agissante, qu’au prix d’une forte représentation des régions démunies, qui ont conduit la révolution tunisienne.

Quant à l’appel lancé pour la chute du gouvernement actuel, sans que les forces révolutionnaires ne soient organisées et unifiées à l’échelle tant régionale que nationale, ce serait exposer le pays à une dérive qui ne servirait que l’intérêt de ceux qui, dans l’ombre, se préparent à un coup d’état, dès que la situation sera favorable (désordre persistant et fragilisation de l’état). J’appelle tous les jeunes à s’organiser, où qu’ils se trouvent, pour faire converger tous les efforts vers l’édification du « Conseil National de Préservation de la Révolution», qui ne peut voir le jour dans la dispersion des bonnes volontés, ou dans les calculs partisans, contre lesquels il faut lutter.

Le 17/02/2011