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Le Premier ministre tunisien Mohamed Ghannouchi lors d'une intervention devant la presse, le 12 janvier 2011 à Tunis Hassene Dridi/AP/SIPA

Par Mohamed Ben M’Barek
Économiste.

Si mauvais que soit un gouvernement, il y a quelque chose de pire, c’est la suppression du gouvernement.” Hippolyte Taine

Sur le plan économique, je ne retiendrais qu’un problème tant les autres me paraissent relativement secondaires. Pour quand une bonne Gouvernance de la Tunisie inscrite dans la durée?

Le temps nécessaire pour préparer un gouvernement provisoire doté d’une légitimité populaire capable de prendre en main le pays, est à mon sens, à peu près égal au temps nécessaire au gouvernement provisoire actuel pour préparer des élections avec un gouvernement non provisoire en bout de chemin. C’est pour cela que je pense qu’il faut soutenir ce gouvernement provisoire dans son existence tant que ses actions vont dans un sens positif. C’est une question de délais car le plus important, à mon avis, est de sortir du provisoire et du chaos le plus rapidement possible.

Regarde où l’ennemi t’attaque : c’est souvent son propre point faible.” Bernard Werber

Et, j’ajouterais, le tien aussi.

Le gouvernement provisoire, faute de légitimité populaire, dispose au moins d’une légitimité légale. La révolution n’a été le résultat de l’action d’aucun groupuscule. Personne ne se targuer d’une plus grande légitimité. L’union de groupuscules illégitimes ne peut constituer un groupe légitime dans un contexte où la majorité des tunisiens ne se reconnait dans aucun Parti et qu’aucun d’entre eux n’a participé, probablement de sa vie, dans une élection non frauduleuse. Je préfère en outre un gouvernement provisoire constitué de partants qu’un gouvernement provisoire constitué de personnes qui risquerait de vouloir s’accrocher au pouvoir.

Les objectifs que tu te fixes t’aident à surmonter des problèmes provisoires. Hannah More

Quels sont les objectifs de ce gouvernement provisoire ?

Constitutionnellement, le rôle du gouvernement provisoire est de préparer des élections démocratiques et de faire tourner le pays jusque là.

Mais, j’ai bien peur que ce gouvernement provisoire n’entreprenne des actions et des mesures qui sortent du cadre de son mandat. Même si cela partait d’une bonne intention, cela risque de s’avérer d’une très grande dangerosité.

A court terme, le plus grand danger pour la Tunisie et son économie est justement le caractère provisoire de ce gouvernement.

Mis à part que c’est, pour tout ce qui porte une mention étatique, une incitation très forte à privilégier le très court terme sur le moyen et long terme, mis à part le fait qu’un horizon très réduit freine tout projet d’investissement interne ou étranger, le caractère provisoire et faiblement légitime de ce gouvernement se transmettra automatiquement à toutes ses décisions, mesures, lois et réformes qu’elles soit économiques, sociales ou politiques.

Un chameau, c’est un cheval dessiné par une commission d’experts.” Francis Blanche

Mais même s’ils arrivent à dessiner un cheval, toutes les commissions et autres conseils de la révolution désignés, ainsi que leurs conclusions, ne peuvent se débarrasser de cette chape d’illégitimité que leur transmettra le gouvernement qui les a désignés.

Même si le gouvernement provisoire était, ainsi que toutes émanations, constitué de démocrates convaincus, il est, ainsi que toutes ses émanations, non démocratique.

Le Président provisoire a beau promettre de consulter toutes les parties avant de faire jouer l’article 28. Quelle est sa légitimité cumulée avec ces autres parties ?

Le futur gouvernement, issu des urnes, appuyé par un parlement issu des urnes, n’aura aucune difficulté à remplacer tout ce qu’il voudra de tout ce que fera un gouvernement provisoire illégitime avec l’article 28, voté par un parlement illégitime et une assemblée des conseillers illégitime.

Ce gouvernement, et ce n’est pas sa faute, n’est capable de s’engager de façon crédible sur rien. Même pas sur le fait qu’il y aura une démocratie l’année prochaine. Il n’est un interlocuteur crédible pour personne, ni en Tunisie, ni à l’étranger pour tout ce qui relève du moyen et long terme.

Le gouvernement provisoire ne doit pas oublier qu’il est provisoire.
Ce n’est qu’un mandataire légal de notre économie. Il ne doit pas s’en croire l’administrateur.

Je n’insisterais pas davantage sur l’importance de la notion d’engagement ou « Commitment » en économie.

Si on regarde les décisions du Gouvernement provisoire au travers du prisme du degré d’irréversibilité, seules les privilèges accordés à une minorité, désapprouvés par une majorité risquent de rester. Plus généralement, ce gouvernement provisoire ne peut aspirer à la postérité économique que là où il fait fonctionner « l’effet cliquet ».

Que la stratégie soit belle est un fait, mais n’oubliez pas de regarder le résultat” Winston Churchill

Comment ce gouvernement peut t-il espérer élaborer une politique, aussi belle fusse t-elle, dans quoi que ce soit, alors que non seulement il ne sera pas là pour en voir le résultat et en assumer la responsabilité, mais aussi qu’il ne sera même pas là pour l’appliquer?

Le provisoire, s’il dure, sera une catastrophe économique.

Tant que nous serons en situation provisoire, les acteurs économiques resteront en stand-by et la machine ne redémarrera pas. Pour le bien de la Tunisie, le gouvernement provisoire doit organiser des élections le plus vite possible et partir. Si on attend que tous les partis se déclarent prêts, cela risque d’être trop tard.

Gouvernement Provisoire, quels sont tes objectifs ? Quel est ton planning ? Merci de nous les rappeler. Ceci est le B-A-BA du management et de la gouvernance.

Pour gouverner, il faut un gouvernement.” Raymond Barre

Le principal problème Économique de la Tunisie est politique. Trouver un gouvernement non provisoire, démocratique et en état de marche.

Je salue ce second gouvernement provisoire pour son action pendant ces trois semaines. Il a calmé le pays, désactivé le RCD, son parlement, ses conseillers. C’est bien.

Il a entrepris d’essayer de sauver ce qui peut être sauvé de la saison touristique. Cela est aussi très bien et entre dans le cadre des taches courantes.

Il commence à faire un tour de table avec des démocraties occidentales pour mobiliser des fonds en vue de consolider le processus de passage à la démocratie. Au-delà de l’aspect financier, cette « intrusion » des démocraties confirmées en tant qu’observateurs et mécènes de la démocratie est un garde fou loin d’être inutile et un effet cliquet positif.

Ce gouvernement provisoire, qui, faut t-il le rappeler, n’a pas eu le temps de se préparer à cette mission et est constitué de membres qui n’ont pas l’habitude de travailler ensemble, a, en trois semaines, agit de façon qui me surprend agréablement, malgré des errements et erreurs en partie rattrapables qui me paraissent tout à fait excusables dans ce contexte.

Mais faute de communication gouvernementale, je ne peux m’empêcher d’exprimer des craintes.

Sur le plan économique, encore pire que le provisoire qui dure, ce serait de se retrouver avec un gouvernement dans l’incapacité de gouverner économiquement le pays, soit parce qu’il ne s’y est pas préparé, soit parce qu’il n’en a pas les compétences, ou encore pire, parce qu’on se retrouverait dans une sorte de chaos politique, issu d’un parlement incapable de jouer le jeu de la démocratie mais capable de faire chuter régulièrement le gouvernement.

Dans les crises politiques, le plus difficile pour un honnête homme n’est pas de faire son devoir, mais de le connaître.” Louis de Bonald.

Un article indique clairement que, pour les experts économiques étrangers, le problème économique essentiel de notre Tunisie est de nature politique et est lié au flou le plus total quant à sa gouvernance future. C’est un regard externe, neutre, économiquement compétent, dont nous devons tenir compte et qu’il nous est difficile d’avoir dans ces moments.

Actuellement le débat, si l’on estime qu’il y en a un, se fait autour d’une table avec 10 millions de participants. Rien ne peut en peut sortir. Il est urgent de donner la main aux partis pour s’exprimer, pour qu’ils se prononcent sur leur vision de notre avenir (y compris sur le débat régime parlementaire ou présidentiel) afin que nous puissions voter en connaissance de cause et sortir le plus vite possible et de la meilleure des manières de cette phase transitoire.

Le meilleur moyen de faire avorter la révolution, c’est de trop demander.” Mirabeau

J’appelle le gouvernement provisoire à constater qu’il a les mains et les pieds liés pour tout ce qui est en dehors de la gestion des affaires courantes, du maintien de l’ordre, de garantir le respect des lois et la préparation des élections. Je l’invite à tout faire pour transmettre le relais au gouvernement définitif, le plus rapidement possible, dans les meilleures conditions, sans s’y substituer, tout en essayant, si possible, de lui laisser le maximum d’effets cliquets (décisions difficilement réversibles) positifs, non idéologiques, et uniquement en matière de démocratie(*).

J’appelle le gouvernement provisoire, en tant que seul groupe d’individus intelligents disposant de moyens et n’agissant pas dans l’ombre, à orienter le débat sur la gouvernance future du pays, sur les élections, leurs énormes enjeux et sur la nécessité vitale d’avoir un gouvernement en état de marche à leur issus. Je l’appelle à faire de la pédagogie sur le fonctionnement de la démocratie, sur les partis, à sensibiliser les tunisiens sur la nécessite de s’engager politiquement. Je l’appelle à organiser des débats et séminaires sur le rôle de l’état, la droite, la gauche, les risques démagogiques, le rôle du citoyen dans une démocratie. Je l’appelle à faire poser les questions sans donner de réponses.

J’appelle le gouvernement à ne pas faire de lois et de réformes en dehors de celles qui concerne les élections. Non seulement cela ne servira à rien, mais aussi cela nous détournera du problème essentiel. Cela focalisera notre attention sur l’actualité et détournera notre regard du futur, des élections et de ce qui en suivra. Cela permettre aux partis de continuer dans une logique d’opposition et freinera leur mutation en partis capables d’exercer le pouvoir. C’est à eux de faire des propositions et non pas à un gouvernement partant. J’appelle le gouvernement provisoire à ne plus discuter avec les syndicats et à les orienter vers les partis.

J’appelle les partis à faire leur travail de partis.

Aujourd’hui, la censure a changé de visage. Ce n’est plus le manque qui agit mais l’abondance.” Bernard Werber

Bref, d’un point de vue purement économique, j’appelle le gouvernement provisoire à faire uniquement de l’intérim et à préparer la gouvernance future du pays, j’appelle les partis à se préparer à en être les administrateurs et j’appelle les Tunisiens à jouer leur rôle d’actionnaires.

Paradoxalement, le gouvernement probablement le plus impuissant de notre histoire, a la possibilité d’orienter la Tunisie dans l’une de ces deux voies :

1- “L’expérience ne nous offre au premier coup d’œil qu’un chaos suivi d’un autre chaos.” John Stuart Mill

2- “Du chaos naît une étoile.” Charlie Chaplin dit Charlot

(*) Exemple d’effet cliquet positif en matière démocratique : Un référendum, parallèlement aux élections ou avant, validant une déclaration de la révolution, style 1er amendement de la constitution américaine dont le texte est :

« Le Congrès ne fera aucune loi qui touche l’établissement ou interdise le libre exercice d’une religion, ni qui restreigne la liberté de la parole ou de la presse, ou le droit qu’a le peuple de s’assembler paisiblement et d’adresser des pétitions au gouvernement pour la réparation des torts dont il a à se plaindre. »

Vous trouverez ici une analyse sur ce texte :

Cette déclaration, ne devrait pas diviser les tunisiens avec des sujets comme la laïcité ou la peine de mort. Si elle est validé par la forme législative la plus forte en matière de légitimité, le référendum, ce serait un excellent garde fou et laisserait une petite trace dans notre histoire et un message politique positif à tous, y compris à nos futurs petits enfants à l’école.

Cette proposition, c’est aussi de l’économie : Tunisian committment pour la démocratie.