Les articles publiés dans cette rubrique ne reflètent pas nécessairement les opinions de Nawaat.

En Janvier 1988, Om Zied, dans un article entré dans l’histoire, disait en détournant les mots d’Ibn Khaldun que “le tunisien applaudissait par nature”. Peut-être que si on devait décrire le tunisien en ce moment, on serait tenté de dire qu’il est paranoïaque par nature.

Morts, blessés, vrai-faux kidnappping, faux-vrai meurtres, théories du complots… un mélange d’infos et d’intox se bouscule sur le web depuis quelques semaines et trouve échos chez les tunisiens.

Le contexte actuel y est pour quelque chose (changement de régime, instabilité, insécurité…) mais est-ce que les raisons ne sont pas plus profondes?

“On nous ment, on ne nous dit pas tout” ou l’absence de crédibilité des médias.

Les tunisiens ont une attitude claire vis-à-vis les médias: peu de respect et aucune crédibilité accordée.

La chape de plomb qui a pesé depuis 23 ans sur les médias tunisiens, ne leur permettant à aucun moment de faire correctement leur travail d’analyse et d’information et les obligeant à verser quotidiennement dans la désinformation et la propagande, a fini par leur donner l’image d’éternels manipulateurs.

Même si certains médias s’en sortent plus ou moins correctement à l’instar de Mosaïque FM (infos sportives et culturelles pertinentes) et HannibalTV (en versant dans un populisme que visiblement rien ne peut arrêter), ça se limite à certaines thématiques. Le crédit qu’on leur accord n’allait pas plus loin que ça!

Le manque de crédibilité est arrivé au point que les tunisiens doutent ouvertement même des prévisions météorologiques.

Même l’arrivée de ShemsFm et ExpressFM ont eues du mal à changer ce doute constant.

Le départ de Ben Ali a permis de voir les médias tunisiens sous un autre jour : toujours aussi confus certes mais plus libres et entreprenant.

Seulement, le manque d’informations dont disposaient les médias durant la période écoulée a fait qu’il y a eu des ratés et une certaine cacophonie.

Forcément, la peur de voir la désinformation organisée reprendre ses droits à laquelle on ajoute un zeste de théorie du complot, aboutissent à la naissance des prémices d’une paranoïa générale.

Au même moment, apparaissaient les Citoyens Journalistes de tout bords. Même si les journalistes leur contesteront ce patronyme (à juste titre d’ailleurs) il n’en reste pas moins, que le manque de foi des tunisiens en leurs médias les a poussé à chercher l’information ailleurs.

In Facebook we trust…même si c’est à moitié!

2 millions de tunisiens, soit 20 % de la population tunisienne, possèdent un compte Facebook. Ça en fait un média puissant, surtout qu’il diffuse 24h/24
Les tunisiens sont allé chercher l’information sur internet tout en sachant que la source n’était jamais clairement identifiée.

Quelques fois, c’était Aljazerra ..qui elle-même avait repris des “infos” sur facebook. D’autres fois aucune source mentionnée, juste “un haut responsable”, “une personne sur place”.

A partir du moment que les médias n’ont plus aucune crédibilité et que AlJazeera va chercher ses news sur le net en les mettant au conditionnel, le tunisien se sent presque obligé de s’informer sur Facebook et Twitter.

Même si tout le monde semble se méfier de ces informations qui tombent visiblement de nulle part ou de “sources sûres”, il n’en est pas moins qu’ils la partagent!

La preuve, une capture d’écran assez surréaliste!

1/ L’abondance d’information est une situation nouvelle pour le tunisien. Alors que d’habitude, on avait une news intéressante par semaine, pendant deux semaines, il en tombait une par minute.
A partir de là, et malgré le passage d’un état de rareté à un état d’abondance, le réflexe est demeuré le même: Partager, parce que c’est intéressant! Multipliez ça par 2 millions, et une rumeur deviendra une vérité absolue.

2/ Internet est le premier espace de “conversation nombriliste” : On aime bien discuter avec les gens mais on aime bien aussi avoir le dessus en sortant l’info le premier dans son cercle d’influence (à comprendre ses amis sur facebook) Donc, quand on tombe sur une histoire même à moitié plausible, ça flatte de voir une discussion se déclencher sur son mur.

Tout ça finira par se calmer si…

> Les médias commencent à jouer leur rôle en informant le plus rapidement possible et en apportant un œil critique à l’information.

> Le gouvernement organise sa communication via des points de presse quotidiens.

Crédit photo: eddiemalone sur Flickr et Ideagrove

Mehdi Lamloum
Pink Lemon