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RCD-Montreal

RCD-MontrealSi le dictateur est tombé et avec lui ses symboles et sa famille de mafieux, le système dictatorial que je compare au concept de Rizhome développé par Deleuze, demeure. Un rizhome, contrairement à la racine, présente plusieurs petits centres qui ont tendance à se reconstituer une fois la tête coupée. Ces décentralisation et reconstitution sont le lot de la cellule du RCD à Montréal aujourd’hui.

Tout d’abord, j’aimerais préciser que le parti-État sévissait dans les universités canadiennes à travers les associations des étudiants tunisiens. Ces dernières s’inscrivaient comme associations culturelles, bénéficiaient des privilèges des universités et profitaient ainsi de leur plate-forme pour créer une banque de données localisée des étudiants tunisiens, parallèlement à celle de la mission universitaire tunisienne. Ces associations « culturelles » faisaient de la politique et recevaient régulièrement des cadres du ministère de l’Intérieur. Leurs tâches, dissimulées derrière les activités socio-culturelles lesquelles se limitaient à aller à Niagara Falls et à organiser un méchoui durant l’Aïd, consistaient à fliquer les Tunisiens, avoir leurs emails, surveiller les récalcitrants et recruter parmi les nouveaux qui veulent obtenir une bourse d’exemption.

Après ce préambule, je voudrais parler du recyclage de ces associations maintenant que leur chef a été déchu. Je vous raconte les faits et vous laisse juger.

Deux semaines avant la chute du dictateur, un groupe de Tunisiens libres a formé un collectif de solidarité avec les Tunisiens de Sidi Bouzid et Kasserine (Je précise que je ne fais pas partie du comité organisateur et que le collectif n’y est pour rien dans ce post). Ils ont organisé quelques rassemblements devant le consulat tunisien de Montréal. S’ils étaient une dizaine la première fois, leur nombre a vite augmenté et est passé à une quarantaine, lors du deuxième rassemblement et une centaine lors du troisième. Au pic de la révolte en Tunisie, le comité a décidé d’organiser une réunion au local d’Alternatives Québec. Une centaine de personnes était présente et le mot d’ordre a été lancé : Il était question d’organiser une manifestation gigantesque dans les rues de Montréal pour dénoncer le massacre commis par le dictateur et ses sbires. Entre-temps, la veille de la manifestation, le dictateur est tombé, ce qui a fini par donner du courage à la majorité tunisienne silencieuse de Montréal qui est venue en nombre. La manifestation qui comptait plus de cinq mille personnes (sept mille est le nombre des Tunisiens de Montréal) a été un franc succès et le collectif a donc décidé d’organiser des réunions d’échange entre Tunisiens pour discuter des modalités de l’aide, du gel des biens du clan mafieux au Canada, etc.

Toutefois, une personne que je ne nommerai pas et qui était présente lors de la première réunion a profité du mailing-list du collectif pour envoyer une invitation organisée par « Ma Tunisie », un groupe que personne ne connaît et qui vient tout juste d’être créé après le 14 janvier. Les organisateurs du collectif se sont excusés de cette maladresse dans l’envoi des mails en cc et non en cci et ont précisé en toute bonne foi, malgré cet incident, que le collectif n’a pas le monopole des activités tunisiennes et que toute autre initiative est encouragée. L’association « Ma Tunisie » invitait donc les Tunisiens à une rencontre dimanche dernier à l’espace famille, une salle que le consulat loue dans un immeuble cossu et qu’il réserve aux Tunisiens qui font allégeance au parti-État.

J’ouvre une parenthèse ici pour dire que d’autres Tunisiens ont demandé la salle après le 14 janvier, bien sûr, en pensant que le favoritisme est révolu, mais la surprise était grande face au refus des responsables du consulat.
Je suis allé sur place pour la première fois dans cet espace qui désormais appartient à tous les Tunisiens de Montréal. La salle dont les murs sont mauves était comble et les gens debout. Quelques têtes connues des sbires de Ben Ali se relayaient au micro. Puis, est monté sur scène un jeune étudiant pour parler de l’association des étudiants tunisiens à Sherbrooke, une petite ville à 150km de Montréal. Il a commencé par dire que l’association n’est pas politique, qu’ils ne font pas de politique, mais seulement du culturel et que selon les règlements de l’université, pour avoir le permis d’association, il faut montrer patte blanche et se garder de faire de la politique. Il a répété cela plusieurs fois. Après, il a commencé par présenter sur Powerpoint des photos, lesquelles d’après lui représentent une manifestation de solidarité avec le peuple tunisien. Sur la première photo, on voit du noir, quelques lumières, deux personnes à peine visibles avec un drapeau tunisien et c’est écrit en gros sur la photo : « La vidéo de Radio Canada ». Il a ensuite passé d’autres slides où l’on voit écrit : « Faites passé le message sur les événement en Tunisie ». Décidément, ils ont tout fait à la hâte. Petite précision s’impose ici. Ce sont les cancres qui adhèrent à ces associations et qui militent au sein d’elles par pur opportunisme afin d’avoir des bourses, d’où les prouesses grammaticales de la phrase citée. Il a ensuite changé de slide et mis le nom de Bouazizi sur un fond musical en souhaitant que vive la révolution tunisienne. À ce moment-là, les âmes sensibles ne pouvaient que l’interrompre sur fond du fameux “DIGAGE“, devenu désormais slogan national. Aussitôt fait, les sbires de la structure rizhomatique se sont jetés sur les âmes sensibles pour les bousculer et leur reprocher leur manque de civisme tout en demandant instinctivement les noms de ces brebis galleuses – instinct de flic – avant de se ressaisir et de s’éclipser comme un menteur qui venait de commettre un lapsus l’inculpant.

Voilà donc les faits, je vous laisse seuls juges de ce recyclage rizhomatique ou du retournement historique des suppôts de la dictature à des partisans acharnés de la révolution. Ce changement en soi ne poserait pas problème s’il se limitait au retournement de veste devenu sport national. Mais ce qui est grave, c’est que ces mêmes personnes, celles qui ont envoyé au trou un certain Haroun Mbarek et qui ont harcelé plusieurs autres personnes, ont gardé le même modus operandi (récupération, mensonges, intimidation, etc.), les mêmes privilèges et les mêmes passe-droits du consulat. La Révolution ne fait que commencer.

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