Comme plusieurs compatriotes vivant à l’étranger, je vis depuis une semaine une certaine frustration du fait que je ne suis pas présent dans mon pays pour participer et contribuer à cette révolution du peuple tunisien. Comme tous, j’aimerais, particulièrement en ces jours de deuil national, m’incliner devant tous nos compatriotes qui ont sacrifié leur vie pour cette noble cause.

Dans cet article, j’aimerais m’exprimer, pour la première fois, sur ce qui se passe actuellement dans notre pays. Mon objectif est d’énumérer quelques idées et observations, et de les partager :

1- Court terme: Distinguer le pouvoir décisionnel des compétences

Il me semble que l’un des problèmes politiques que l’on vit actuellement est le conflit qui existe entre une grande majorité du peuple, qui désire que le gouvernement de transition soit totalement débarrassé des anciennes figures, des anciens du parti au pouvoir, des anciens collaborateurs, etc., et une minorité, pas seulement composée d’anciens du parti, mais composée également d’intellectuels et d’opposants, qui pense que pour cette phase transitoire, il est préférable de garder une partie de l’ancienne équipe pour assurer un fonctionnement normal, et dans la continuité, du pays (évitant ainsi de mauvaises surprises).

Si on creuse un peu plus, on pourrait envisager (je ne peux désormais utiliser l’affirmatif, car nous sommes désormais un peuple libre et je ne peux me permettre de parler au nom de tous et de deviner ce que chacun d’entre nous pense sur le sujet) que le problème principal provient du fait que le peuple a certaines craintes au sujet de ce gouvernement transitoire composé d’anciens. Notamment, qu’il ne fasse pas les choses dans le bon sens! Le peuple ne remet donc pas forcément en cause les compétences de ces personnes (anciens du régime) et de leurs connaissances précises des différents dossiers dans les différents ministères, mais craint que le résultat de cette phase transitoire accouche d’une souris! Il redoute par-dessus tout qu’on lui vole sa Révolution!

À mon avis, il faudrait distinguer le pouvoir décisionnel des compétences: on accepterait certes que certains anciens soient impliqués au plus haut niveau, afin de faire bénéficier le pays de leurs compétences, mais on refuse qu’ils aient un quelconque pouvoir décisionnel sur l’avenir du pays: avenir à court (élections), à moyen et à long terme.

Comment atteindre un tel objectif? Il faudrait que les ministres choisis, et qui ont les vrais pouvoirs décisionnels, n’aient effectivement aucun lien avec l’ancien RÉGIME; il faut éloigner au maximum ce qu’on appelle le «conflit d’intérêts». Autrement dit, ce n’est aps la qualité des personnes que l’on remet en doute, mais plutôt le fait qu,il soient en conflit d’intérêts relativement à leur situation passée et à ce que vais actuellement le pays, donc le présent. On peut néanmoins envisager que les ministres choisis soient conseillés par des anciens! Ces derniers n’auraient donc aucun pouvoir décisionnel sur notre avenir, et à travers leurs conseils et leurs participations à cet effort transitoire, ils auront une occasion de se «racheter» (si rachat est nécessaire) devant le peuple; ils auront une occasion de contribuer, comme tous, à cet effort collectif.

Par ailleurs, c’est dans un deuxième temps, plus précisément au cours de la première présidence issue d’élections libres que je verrais, sans aucune crainte, le «retour» dans la vie politique tunisienne, désormais démocratique, des anciens du parti et du régime: ils pourront s’associer (de nouveau) à leur guise et entreprendre le programme politique qu’ils veulent. Dans ce nouvel espace libre, dont la liberté est assurée, que le meilleur gagne!

2- Court terme: «Décentraliser» la révolution

Je pense qu’à l’instar de ce qui s’est passé dans certaines administrations, et là je fais seulement référence aux cas où tout s’est fait en calme, en ordre mais avec détermination, il faut que le nettoyage de toutes les administrations soit réalisé par les bases qui les composent: autrement dit, chaque administration devrait procéder, localement, à sa révolution pour l’épurer de l’intérieur et aussi pour en sortir un représentant fiable et éligible pour la guider: donc, chaque administration (je parle de la base, de tous les employés qui la composent) devrait faire l’effort, via le syndicat ou autre, afin de proposer au pays, au peuple, un de ses représentants les plus intègres et les plus apte à diriger ce ministère. Dit autrement, ce sera le peuple, et de manière décentralisée, qui proposera les ministres qui devront composer le gouvernement de transition. Et encore une fois, pour montrer que le peuple comprend parfaitement l’aspect compétences, maîtrise des sujets en cours, etc., on peut envisager de faire accompagner les ministres détenant les postes clés, les personnes faisant partie de l’ancien régime (anciens ministres).

Ce raisonnement devrait être appliqué au premier ministre. M. Ghannouchi devrait seconder, par ces compétences et son savoir, un premier ministre qui devrait être proposé par tous les ministres, lesquels ont été proposés par tous les fonctionnaires des différentes administrations. Au pire, si le gouvernement est seulement composé de membres (ministres) qui n’ont aucun rapport avec l’ancien régime, et si ces derniers sont en accord avec ce qui suit, on pourrait même envisager que M. Ghannouchi garde son poste.

Rq: Je pense que M. Ghannouchi a raté l’occasion qui leur a été offerte par cette révolution populaire (avait-il vraiment le choix? l’avenir nous le dira). Malgré sa réputation d’homme intègre, certains doutes demeurent quand on pense au choix des membres du gouvernement transitoire qu’il a proposé à la population, choix qui a rapidement été suivi par des démissions (de plusieurs ministres)! En fait, tous les revirements du premier ministre étaient dus à la pression populaire. Autrement dit, sans cette pression, ce premier ministre aurait peut-être été actuellement président, l’ancien président (dictateur) aurait été légalement éligible à diriger le pays de nouveau, le gouvernement serait composé essentiellement d’anciens du régime, etc. Donc, on voit que la voie suivie aurait été très éloignée de la volonté populaire.

Ce que doit comprendre une fois pour toutes (on n’a pas de temps à perdre messieurs) M. Ghannouchi ainsi que les anciens du régime est que le peuple veut profiter de cette révolution pour régler, UNE FOIS POUR TOUTES, les principaux problèmes liés à la démocratie, à la liberté d’expression, etc. Je m’explique: J’imagine, comme certains de mes compatriotes, que le fait d’avoir réussi à chasser du pouvoir, et du PAYS, l’ancien président, et surtout les principaux membres de la famille qui l’entourait, est en soi un résultat extraordinaire pour le peuple et pour le pays! Mais ce que les anciens doivent comprendre est que le peuple n’a pas envie de laisser à plus tard (faire, à chaque 2 ans, une nouvelle révolution!) la résolution des autres problèmes, principalement l’éradication du système dictatorial après avoir éradiqué le dictateur. IL VEUT que cela se fasse tout de suite, car en dépend l’avenir à moyen et long terme du pays.

Pour terminer cette section, messieurs les anciens (du régime), le peuple ne veut pas que ce soit vous qui ailliez comme responsabilité de faire le nécessaire pour cheminer le pays vers une vraie démocratie et de vraies élections; C’EST LE PEUPLE et les gens ISSUS DU PEUPLE qui veulent AVOIR CETTE RESPONSABILITÉ: COMPRENEZ BIEN QUE C’EST NOTRE VICTOIRE ET NON LA VÔTRE! SURTOUT PAS LA VÔTRE! Et estimez-vous heureux que le peuple soit aussi indulgent, au cours de cette dernière semaine, en vous observant faire des combines ici et là! Soyez prudent, car c’est de votre future réputation, et donc de votre futur tout court, qu’il s’agit; loin de moi l’idée de faire référence à votre «futur physique»; je parle plutôt de votre future participation au destin du pays et de votre futur dans notre grande Histoire du pays. C’est donc une occasion à ne pas rater!

3- Moyen terme: De vraies élections LIBRES ouvertes à TOUS («TOUS» réfère au fait que n’importe quel citoyen tunisien peut se présenter)

Je ne suis pas spécialiste des affaires juridiques liées à la constitution, mais d’après ce que j’ai lu, il faudrait la changer pour que les prochaines élections soient ouvertes à TOUS. C’est une urgence et ÇA DOIT ÊTRE FAIT (je parle au nom du peuple cette fois-ci); donc, dans un premier temps, il faudrait nous assurer qu’il n’y ait aucun obstacle juridique pour qu’un citoyen tunisien ne puisse se présenter à la présidence: je pense notamment à M. Marzouki.
Dans un deuxième temps, et une fois le nouveau président élu démocratiquement et libre, nous pourrions penser à réformer la constitution à partir d’une longue consultation populaire.

4- Moyen et long terme: Système démocratique tunisien

Quand je dis «système démocratique tunisien», c’est en référence au fait que je pense très sincèrement que la TUNISIE et SON GRAND peuple sont capables de définir un système démocratique original, idéalement plus démocratique que ce qu’on connait; après tout, on parle des autres comme des démocraties vieillissantes! De mon point de vue, elles le sont (vieillissantes) car elles ne sont plus en phase, ou adaptées, à la modernité (médiatisation à outrance (encore une fois, l’image tend à l’emporter sur le reste), nouveaux médiums de communication, etc.). Bien sûr, je ne m’attarderai pas sur ce sujet, car je ne suis pas un spécialiste. Mais je pense que le prochain gouvernement élu démocratiquement aura la charge de créer une commission populaire, avec à sa tête les intellectuels du pays et les spécialistes du domaine, pour définir notre système démocratique. Il faudra étudier les principaux systèmes (américains, français, etc.), les évaluer et en créer un que nous jugeons le plus idéal pour nous. Par exemple, le système américain est caractérisé par différents centres de pouvoirs indépendants et autonomes qui peuvent entrer en conflit et qui peuvent surtout s’autosurveiller: je pense notamment à l’indépendance des médias et à leurs pouvoirs; aux pouvoirs réels du sénat et du parlement; etc. C’est donc un système décentralisé: le président ne possède pas tous les pouvoirs, loin de là. Le système français est différent et a ses propres particularités.

5- Soyons responsables!

C’est un moment historique que nous vivons. Il est nécessaire que nous soyons tous responsables dans nos actions. Il faut que l’on fasse individuellement (oubliez vos parents et amis et pensez à vous-même, comme un citoyen participatif de notre patrie) notre propre autocritique sur nos manières de penser, nos complexes vis-à-vis des autres (l’étranger), etc. Cette révolution, pour qu’elle soit totale et accomplie, doit être menée par des citoyens qui font table rase du passé et qui pensent désormais qu’à l’avenir: 21e siècle, etc. Il est intéressant de constater que la jeunesse tunisienne, malgré qu’elle ait vu le jour dans un régime dictatorial et répressif, a démontré qu’elle a déjà les pieds dans cet avenir: elle l’a démontré à travers sa maîtrise technique des outils modernes de communication (Internet, etc.), maîtrise qui lui a permis de résister puis de contribuer à faire tomber le dictateur et sa 404! Elle l’a démontré à travers ses idées originales, sur tous les plans! Elle l’exprime à travers les moyens modernes d’expressions; je pense, entre autres, à l’utilisation du rap :); elle le démontre surtout à travers sa démarche civilisée dans le règlement des affaires. En résumé, le problème ne se situe pas au niveau de la jeunesse (je ne dis pas que la jeunesse tunisienne n’a aucun défaut et qu’il ne faut pas revoir certains aspects de son éducation); le problème se situe au niveau de l’ancienne nouvelle génération (35-45 ans), dont je fais partie :(, et les plus vieux. Cette révolution nous a démontré qu’il y a un décalage entre cette jeunesse montante et la génération qui gère actuellement le pays. Sur ce sujet, je pense que le prochain gouvernement, démocratiquement élu, devra commencer à assurer la relève pour rapidement lui donner le relais. Autrement dit, face à ce décalage, et à cette accélération de l’histoire, il faudrait que nous nous inclinions devant cette jeunesse (je parle de sacrifier partiellement notre tour pour nous concentrer exclusivement sur la manière la plus efficace de donner le relais à cette jeunesse qui, j’en suis certain, connait beaucoup mieux que nous de quoi demain et l’avenir auront l’air).

Quand je dis «soyons responsables», je veux aussi mentionner le fait que la démocratie est quelque chose que l’on doit entretenir tout le temps; on ne peut jamais dire que c’est gagné. Aussi, la démocratie implique que nous soyons responsables dans son implémentation, notamment à travers les élections. Il faut donc que nous nous informions sérieusement et comme il se doit sur les différents candidats, que nous nous documentions, etc. C’est seulement à travers un tel effort que nous pourrions garantir une démocratie en santé. Personnellement, j’ai commencé à me documenter sur M. Marzouki car c’est un des seuls, crédible à mes yeux, qui a annoncé sa candidature. Il n’est pas trop difficile de se documenter de nos jours: tous les interviews sont disponibles en ligne; les livres sont disponibles; etc. Par la suite, je vais faire le même effort pour les autres candidats. Si je vous dis tout ça, c’est parce que j’ai entendu dire que tel candidat potentiel n’avait pas le look du métier (président), n’avait pas assez de charisme, etc. Je ne pense pas que ce soit responsable (c’est mon avis et je ne l’impose pas) de procéder ainsi pour évaluer nos candidats. Croyez-moi, vivant en Amérique du Nord, je peux vous assurer que dans les démocraties qui y existent, le look et l’allure d’un candidat l’emportent parfois, si ce n’est souvent, sur le reste. C’est d’ailleurs dans cet esprit que je mentionnais précédemment qu’il faudrait concocter notre propre système démocratique. Je pense qu’effectivement avec un peuple aussi jeune, instruit et intelligent, nous avons la possibilité de faire mieux que les autres. Donc personnellement, je miserai mon choix principalement sur les compétences du candidat. Je dirai même plus: actuellement, et en me référant à ce que l’on a vécu sous l’ancien régime, ce qu’il nous faut est un «patron» (patron dans le sens où ce sera lui qui aura la tâche de guider le gouvernement) qui a comme principale caractéristique d’être le plus honnête et le plus intègre possible. Hamdillah, dans notre société, et grâce au ArabTelBook, il est possible de déterminer ce type d’information ou de caractéristique pour n’importe quel candidat potentiel.

Conclusion

Voilà! En résumé, j’aimerais encore une fois insister auprès des anciens pour qu’ils comprennent très clairement que cette révolution, c’est celle du peuple et que c’est lui qui veut désormais prendre le contrôle de la destinée du pays. Donc M. Ghannouchi et autres, avec tout le respect que l’on doit aux personnes qui travaillent pour le pays et, je ne l’oublie pas, aux personnes plus âgées que nous, vous n’êtes qu’au service du pays et du peuple; c’est une nouvelle notion à avoir toujours à l’esprit: nous ne sommes qu’au service du pays et du peuple! Si ce dernier veut orienter le pays dans une direction précise, comme par exemple se débarrasser des anciens dans le gouvernement de transition, on ne peut aller à l’encontre de sa volonté; on ne peut prétendre avoir plus de sagesse; on ne peut prétendre être plus au fait des intérêts du pays. On ne peut que s’incliner et être à son service!

Je viens de me rendre compte que j’ai oublié de mentionner l’armée dans cet article … je m’en veux un peu, et sur le coup, je me dis que c’est probablement dû au fait que la direction qui compose cette armée a été très discrète jusque-là. Alors, permettez-moi, chers membres de l’armée, de vous remercier de tout mon cœur pour la position que vous avez eue lors de cette révolution: vous avez à la fois évité plus de morts, en faisant comprendre à l’ancien dictateur qu’«il était fini»! Vous avez par la suite pris la décision d’être à l’écart du politique (l’Histoire nous précisera jusqu’à quel point) et de concentrer vos efforts sur la protection du citoyen et la sécurité dans son ensemble. Et j’ose espérer qu’après avoir obtenu cette sécurité, vous allez vous assurer que cette révolution soit entretenue comme il se doit et soit défendue comme l’on défendrait l’honneur dans l’armée. Je pense aussi que dans la Tunisie de demain, et dans la future démocratie tunisienne, l’armée aura une place prépondérante dans le cœur des citoyens et dans le système démocratique. Même si le service militaire devenait facultatif, je vous préviens que vous allez recevoir quasiment tous les enfants de ce pays; les parents savent désormais quel rôle central joue l’armée pour la défense d’un pays et d’une démocratie, et quel rôle joue un peuple, composé d’individus ayant effectué leur service militaire, dans la protection de chaque maison, de chaque quartier et de chaque grain de sable de ce pays. L’armée aura désormais pour tâche, et aura l’honneur, de protéger la constitution et la démocratie.

Vive la révolution! Qu’elle demeure vive! Vive le peuple tunisien! Et vive la Tunisie.

B. Ktari