Photo : Abdellatif Snoussi

Disons-le clairement, le Premier ministre Ghannouchi n’avait jamais fait entendre une note discordente par rapport au dictateur dont il recevait les ordres et appliquait scurupuleusement les directives et les politiques de longues années durant. Il est pour le moins curieux qu’il poursuive les contacts avec le dictateur et qu’il en parle à Aljazira comme si cela était chose encore normale.

Autre fait curieux, le gouvernement tunisien a laissé partir le dictateur au lieu de le garder à la disposition de la justice tunisienne et de s’assurer que les fonds usurpés à l’État par le dictateur dans l’exercice de ses fonctions seraient restitués au trésor public. Le moins que l’on puisse dire est que l’actuel Premier ministre ne saisit pas l’ampleur du bouleversement que le peuple tunisien est en train de réaliser. C’est toute la triste époque de la domination destourienne sur la Tunisie, depuis son indépendance, que la jeunesse tunisienne veut congédier définitivement et pour toujours.

Encore une fois, les tentatives de sauvetage du régime, faites par le dictateur lui-même puis relayées comme des mesures d’apaisement par son personnel après son départ, toutes sonnent faux, terriblement faux. Comment le peuple ne s’en méfierait pas?! Il est très curieux que certains membres de l’opposition embarquent dans le jeu des pompiers éteigneurs de feu que sont devenus les partisans de l’ancien dictateur.

Cela étonne mais ne surprend pas outre mesure.

L’Opposition est-elle entrain de combattre le régime seulement pour la gestion immédiate des affaires courantes ou bien parce qu’elle a une vision fondamentale totalement différente de la sienne. Comment accorder du crédit à ceux qui ont quotionné, soutenu et conforté le néppotisme, le pillage, l’injustice et l’étouffement des libertés civiles toutes ces années. Ils sont au moins coupables par association avec le dictateur. S’ils disent qu’ils ne savaient pas ou qu’ils ne servaient que l’État, dites leurs qu’ils se sont servis et que Oeudipe s’était crevé les yeux pour le méfait qu’il a commis sans savoir. Au moins auraient-ils dû montrer un peu de courage et de déscence en démissionnant comme l’avait fait leur ancien ambassadeur à l’UNESCO. Des hommes droits dites-vous, de ces cassiques du RCD et de la dictature?!. Il y a bien d’autres, des miliers de tunisiens, qui auraient pu se prosterner devant le dictateur, servir ses basses œuvres, pour se faire accorder des postes d’ambassadeurs, de ministres, de secrétaire d’État, des honneurs du pouvoir et de l’influence parmi ses la horde des sangsues.

Mais la posture des trois partis de l’opposition étonne parce que toute l’opposition tunisienne unie aux demandes du peuple en marche, dispose de la capacité historique d’exiger tout le gouvernement, sa direction et l’hégémonie écrasante en son sein. Au lieu de cela cette fraction de l’opposition tombe dans un reflexe pavlovien de se mettre à bouger la machoire alors qu’elle n’a rien de substentiel dans la bouche. Que faites-vous là chers amis ? Pourquoi cette légéreté ? Vous faites erreur car le peuple en marche ne sera rassuré que lorsque le changement qu’il préconise sera confié à des hommes et des femmes auxquels il sera porté à accorder sa confiance. Désormais en Tunisie, c’est le peuple qui impose les solutions et il déléguera les responsabilités contre les usurpateurs qui ont dévasté le pays. À moins que l’opposition à l’instar de de Marzouki, de Hammami, de Ghannouchi et syndicale, se mette à anticipier les besoins de la révolution, à les traduire en décisions politiques concrètes. C’est un devoir historique, la chance de cette opposition large, de sortir le meilleur d’elle-même au service d’une révolution historique comme il ne se produit que peu, de temps en temps, dans toute l’histoire de notre humanité.

Quel bonheur d’être tunisien, aujourd’hui plus qu’hier.

Mais par ailleurs la posture participative de trois partis de l’opposition n’étonne pas outre mesure. Il faut la mettre sur le compte de l’essai et erreur, trial and error, face à l’inédit.Car un peu comme l’ensemble du monde politique, la révolution tunisienne est une surprise de très grande taille à laquelle ils ne s’attendaient pas. Déjà, certains membres de notre Opposition se sont montrés ouverts et impressionnés par les propos hypocrites du dictateur à son deuxièmme discours. Ils n’ont pas encore saisi toute l’étendue du renversement de situation qui a lieu sous leurs yeux. Le peuple tunisien ne fait pourtant aucun mistère a propos du but qu’il poursuit. Il a décidé de changer de siècle et enterrer l’époque des dictatures et des présidents démiurges et dictateurs pour embrasser la liberté et la dignité ici et maintenant, sans possibilité de retour en arrière.

Ce peuple et sa jeunesse n’ont absolument pas tort puisque la bureaucratie de l’État a été infestée, voire conditionnée par les reflexes destouriens et la mentalité RCD. Cet élément constituera une entrave à tout nouveau régime qui voudrait procéder à la réforme et imposer une nouvelle perspective de développement économique et social à l’administration de l’État tunisien nouveau. Une bureaucratie basée sur le mérite, sur l’intégrité et l’efficience devient une condition de toute sortie de crise et d’un changement de cap radical par rapport au passé. La vie devra être dynamisée, nous devons engager notre jeunesse et sa matière grise abondante vers les défis de notre époque, vers l’odace, l’innovation, la recherche et le transfert du savoir pour commencer le dur travail de conquête des marchés de création massive d’emplois et de sortie de la précarité du tourisme et de la dépendance par rapport à l’aide internationale. Nous devons construire un système national d’innovation, mettre l’argent là où il servirait le mieux notre présent et le futur de notre jeunesse. Il y a tant de secteurs où tout reste encore possible, énergie, transport, biotechnologie, agriculture, médecine, construction mécanique, navale, automobile, ferrovière, etc…la liste serait trop longue. Le paradigme écologique bouleverse le monde, nous devons en profiter pour sortir du marasme social et humain dans lequel la médiocrité de la dictature a confiné notre société trop longtemps.

Il faut être conscient cependant que tout notre développement se fera en concurrence dure et impitoyable avec l’étranger qui s’est habitué à nous comme un petit débouché de consommateurs. À notre peuple de relever les défis et de montrer ses capacités d’innovateur, de bâtisseur et de conquérant. Il nous faut une bureaucratie de l’État imprégnée de la volonté d’indépendance au moins dans les secteurs dont dépend le futur de nos enfants.

L’État tunisien doit recruter son personnel en fonction de ses objectifs et des résultats à réaliser. Les cellules du RCD seront un obstacle certain sur cette voie et leurs membres des boulets d’inertie. La Tunisie a besoin des meilleurs des meilleurs parmi ses ressources humaines à qui des tâches spécifiques et des objectifs précis devront être assignés. Le pays n’a pas droit à l’erreur et les ressources à sa disposition devront être investies avec une efficience et rigueur extrèmes.

Il est donc naturel et d’une nécessité d’hygiène publique de démanteler le RCD, parti de Ben Ali et de déclarer tous ses avoirs et ses biens propriété publique de l’État tunisien. Il faut interdire le RCD parce qu’il constitue, depuis 50 ans, un État dans l’État qui menacera le futur du pays tant que ses membres auront le droit légal de s’organiser. Ben Ali n’était pas dérangé de voir le peuple vivre du tourisme, de l’artisanat et de l’exportation de nos produits agricoles devenus inaccessibles sur les lieux. La Tunisie de demain est en rupture totale avec cet esprit sans rêve ni ambition, ni culture du reste.

La révolution tunisienne n’est pas terminée tant que le peuple n’a pas défilé en liesse et dansé dans les rues de tout le pays, dans les villes et les villages, hommes et femmes, soldats, travailleurs, étudiants, jeunes et moins jeunes, côte à côte, libres de la présence du RCD et des agents de la peur qu’il a toujours mis à la disposition des despotes, de Bourguiba à Ben Ali.

La révolution est en marche et le peuple reste dans la rue à l’affut des nouvelles sur l’action révolutionnaire, les gestes à poser, ici et maintenant. Parmi ce qui a été fait, l’arrestation des anciens responsables de la repression sous Ben Ali, ministre de l’intérieur et ministre de la sécurité, tous les deux sur le point de fuir le pays. De même la création de conseils de quartiers, d’entreprises et de villes vont servir de couroies de transmission entre la base et un nouveau parlement révolutionnaire provisoire qui devrait normalement voir le jour en lieu et place de celui qui était au service de la dictature.

Pourque le peuple sera appaisé il lui faudrait s’assurer que son rôle restera au centre des transformations. Il doit lui-même jeter les bases et le fondement de la nouvelle démocratie sous laquelle il pourra se mettre à l’abris de tout retour de la dictature. Parmi les actes révolutionnaires chargés de sens et lourds de détermination de la part de la population, l’occupation des locaux d’une maison de coordination du RCD et sa déclaration espace de liberté. Il ne serait pas étonnant d’apprendre demain que dans tous les coins du pays ces locaux synonymes de repères de brigands, les maisons de coordination du RCD, seront occupés par le peuple et déclarés centre de coordination des activités populaires. L’union genérale tunisienne du travail, l’UGTT, vise dans le mil en demandant le démantèlement des cellules du RCD au sein des entreprises.

Le peuple s’est soulevé contre la dictature dans sa totalité et tout régime nouveau qui la remplacerait mais laisserait, entre lui et la population, un contentieux et un recours à la repression, ce nouveau régime se mettra lui-même au centre de la contestation, et sur la voie du rejet.

Pour finir les voix s’élèvent à l’étranger de la part de puissances étrangères reclamant le retour au calme et à la vie normale qui a tant profité à leurs intérêts par le passé. Leur hypocrisie est sans limite. Ces puissances étrangères sont inquiètes surtout pour leur crédibilité auprès de leurs alliés et protégés placés, ici et là, à la tête des États arabes. Ces puissances et leurs protégés veulent sauver les meubles et ils feront d’énormes pressions sur l’opposition et ses chefs pourque le mouvement révolutionnaire tunisien cesse ou se maintienne dans des limites non effrayantes pour leurs alliés et leurs interêts. Mais les cartes, désormais, ne sont plus entre les mains de quelques dirigeants. Le peuple tunisien est en révolution, son action est invincible, les tyrans et les lakais des puissances étrangères n’ont pas tort de s’inquiéter, la liberté des peuples est irrésistible.

Abdallah Rihani, Politologue,
Montréal, Canada
Abdallah.rihani@umontreal.ca