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Par Eli’coopter,

Au lendemain de la fuite de Ben Ali, une question tourmente la twittosphère: Vient-on d’assiter à la première “Twitter revolution”?

Or, alors que chacun commence à dégainer ses meilleurs arguments, ne devrait-on pas déjà s’accorder sur ce concept: Que doit-on entendre par Twitter Revolution? Autrement dit, quels sont les critères objectifs qui permettaient de labelliser une révolution comme telle?
Pour répondre à cette question, il m’a semblé intéressant de partir du point suivant: en quoi Twitter (et peut-être plus largement les réseaux sociaux) peuvent-ils se révéler déterminants, sinon utiles, dans l’accomplissement d’une révolution sur le terrain? J’ai ainsi retenu 3 critères:

1- Twitter pour créer ou catalyser les raisons et/ou le sentiment de révolte

Twitter a-t-il eté le véhicule d’un activisme venu de l’étranger; a t-il permis aux tunisiens de prendre conscience d’une réalité qu’il leur était jusqu’à là (partiellement) cachée et de nature à “inoculer” les raisons de leur soulèvement?

C’est la thèse du media utilisé comme “cheval de troie” democratique pour faire vaciller un régime autoritaire (re)développée ces derniers jours par exemple par Marc Lynch (@abuaadvark) dans son post “Tunisia and the new media arab space“. Si on a des raisons de penser qu’Internet, ou la TV Satellite possédent de nombreux atouts pour jouer un tel rôle, en l’espèce, s’agissant de Twitter et de la Tunisie, le fait marquant est précisément qu’il n’y a pas trace d’un quelconque Twitter-activisme en amont des évènements du 17 décembre et de l’immolation de Mohamed Bouazi.
Au contraire, tout montre que Twitter s’est mis en branle en réaction et de manière significative seulement 10 jours après ces premiers évènements avec l’apparition notamment du hashtag #Sidibouzid (Cf. figure 1).

De plus, l’analyse sémantique (Cf. widget en bas du post) des tweets associés au trypique (Tunisie + Tunisia + Tunez) entre le 17 décembre et le 3 janvier ne permet nullement de conclure que Twitter ait pu servir de support à un quelconque activisme politique.

C’est du moins c’est que révèle Tw-hitsmosgraph, un outil qui permet :

  • De faire l’analyse sémantique des tweets associés à un pays donné, en enregistrant tous les mots dont la récurrence est supérieure à 5 sur une periode de 30 minutes, et ce, quelque soit le nombre de tweets par minute.
  • De déclancher une alerte (sous forme de status Facebook ou Twitter) dès que les mots clefs trouvés ont une dimension politique.

Or, le Tw-hitsmoigraph ne s’est déclanché que 5 fois entre le 17 décembre et le 3 janvier, soit moins de fois que pour des pays comme le Burundi, le Kirghizstan ou Chypre, où l’actualité ne m’a pas semblé particulièrement brûlante!

Autre fait, si comme l’observe Yasmine Ryan, (@yasmineryan), journaliste à Aljazeera, des hacktivistes tunisiens, aidés du Collectif Anonymous ont bien mené une “CyberWar farouche” à l’encontre du Gouvernement Tunisien, il est permis de dire, sans préjuger de l’efficacité de leurs actions online, que leur stratégie de communication sur Twitter fut relativement discrète.

Ainsi, le hashtag #optunisia pour Opération Tunisia, menée par le collectif Anonymous, n’apparait que le 3 janvier et reste à un niveau d’activité inférieur à 0,1 tweet par minute tout au long de la période étudiée, à la seule petite exception du… 15 janvier! (Cf. toute petite vague rouge dans le coin inférieur droit du graphique)

Enfin, qu’en est-il du ¨rôle de Wikileaks et plus précisément, de la publication des cables diplomatiques américains au sujet de la corruption du clan Ben Ali ? Certes, à l’instar de Gregory White, ou encore Elizabeth Dickinson (@Dickinsonbeth) en notera une coïncidence troublante entre ces révélations parues le 7 décembre et le début des révoltes, mais peut-on sur cette simple observation dire que Wikileaks a joué un rôle de “déclencheur” ou de “catalyseur” comme y invite ces deux auteurs? et si oui, de quelle manière?
Parce qu’à vrai dire ces cables révèlent aussi que dès Juin 2008 une majorité croissante du peuple tunisien est consciente du degré de corruption du regime et nourrit un sentiment d’exaspération. D’ailleurs la Tunisie n’a t-elle pas connue des premières troubles dès 2008 à l’exemple du bassin minier de Gafsa? Si donc les révélations de Wikileaks ont pu jouer un rôle ce n’est pas tant en dévoilant ce que de nombreux tunisiens savaient déjà, qu’en mettant en lumière le soutien peut-être relatif de l’administration Américaine à l’égard du régime Ben Ali.
Les tunisiens y ont-ils vu un blanc-seing? Ces révélations les ont-ils confortés au point d’oser partir affronter les tirs à balles réelles du pouvoir? Eux-seuls ont la réponse mais là encore quand on fait l’analyse des mots clefs les plus récurrents associés au tryptique (Tunisia/Tunisie/Tunez) sur Twitter, le mot “Wikileaks” n’a aucune présence significative, sauf à compter du déclenchement d’Optunisia le 3 janvier.

Or, si Wikileaks avait eu un quelconque impact dans la catalysation du mouvement n’aurait-on pas du, en premier lieu, en retouver des traces dans le temple du Wikileakisme qu’est Twitter et dans la bouche des tous premiers activistes tunisiens?

Mon avis: Impact de Twitter sur ce critère: 0/5 (nul)

2- Twitter comme moyen d’organisation de la révolte

Twitter a t-il servi un noyau dur d’opposants pour recruter des troupes et coordonner leurs actions?

C’est par exemple la thèse principale d’Andrew Sullivan (@dailydish) dans son article “Could Tunisia be the next Twitter revolution?“. Sur ce point, Twitter mais plus surement Facebook ont sans doute joués un rôle. Encore ne faudrait-il pas surestimer celui de Twitter.

La révolution tunisenne est restée localisée – jusqu’à maintenant pour le moins – et n’a pas fondamentalement nécéssité de moyens technologiques capables de coordonner des actions par exemple trans-nationales. Dans ce cas, pourquoi mettre en valeur le rôle joué par Twitter plutôt que le téléphone portable ou les réunions de familles auxquels un nombre autrement plus important de tunisiens ont assurément participé? Quelle a été la plus-value stratégique apportée par Twitter et plus largement des réseaux sociaux?

Nous sommes quand même très loin des stratégies developpées par exemple lors de la campagne presidentielle d’Obama, où on a pu observer comment les reseaux sociaux avaient contribués

  1. à mobiliser un noyau durs de Sympathisants,
  2. à les profiler sociologiquement et géographiquement
  3. à croiser les profils des sympatisants et des indecis sur des bases de données
  4. à coordonner des actions de terrain notamment des opérations de “porte à porte” extrêmement ciblées, où les sympathisants étaient missionnés pour convaincre les indécis de leur quartier et ayant le même profil sociologique (catégorie ethnique, religion, age, métier…)

(Pour plus d’info à ce sujet Lire le rapport de fondation Terra Nova)

Evidemment rien de tel n’a été organisé en Tunisie, pour la simple raison qu’avant de planifier une quelconque stratégie d’envergure, il aurait fallu qu’il existe une opposition tunisienne plus structurée en matière de stratégie web… et que le régime de Ben Ali ne soit pas une dictature!

Autrement dit, comme l’argumente longuement Evgeny Morosov (@evgenymorosov) dans son livre the Net desilusion les réseaux sociaux sont tout autant un outils de mobilisation à la disposition des opposants politiques ou des activistes que des instruments de surveillance pour les pouvoirs sécuritaires en place… Voilà de quoi en inviter beaucoup à la prudence… Comme le rappel Jillian C York (@jilliancyock) de nombreux comptes Facebook et Gmail tunisiens ont été hackés.

On ne sera donc pas étonné de constater que l’analyse sémantique nous demontre que si Twitter a joué un rôle organisationnel significatif c’est dans les 3 jours précédents le départ de Ben Ali, ou effectivement on retrouve mention d’appels à manifestation… mais en France!

Maintenant dire, qu’il n’y ait pas eu de stratégie ne signifie pas, pour autant que Twitter n’a joué aucun rôle. Comme le rappelle Fabrice Epelboin (@epelboin), Twitter a juste permis de faire ce qui spontanément il permet de faire le mieux: A savoir permettre à quelques activistes ou téméraires d’échanger, une impression, des états d’âmes, un encouragement, et à de nombreux autres de voir qu’il ne sont pas seuls, ce qui n’est certainement pas la moindre des vertus pour consolider une mobilisation collective dans un contexte où la peur et l’abattement avaient sans doute mille raisons de l’emporter. Loin de moi de négliger cet aspect. Mais pour autant je reste convaincu, comme beaucoup d’autres si j’en crois ce que je lis, que le rôle de Twitter n’a pas été ici décisif.

Mon avis: Impact de Twitter sur ce critère: 2/5 (faible)

3- Twitter comme moyen de révélation et pression

Twitter a-t-il permis aux tunisiens de faire connaître à l’exterieur la réalité de leur regime, à interpeller l’opinion internationale et en particulier les gouvernements occidentaux pour exercer en retour une pression telle qu’elle contribue à la démission de Ben Ali?

Sur ce point en effet, l’analyse sémantique des tweets nous permet de retrouver trace à partir du 3 janvier d’un début de stratégie qui a consisté à impliquer l’opinion internationale. on retrouve ainsi la présence de hashtags notamment #France, #arab, #Egypt, et d’autres empruntés à la révolution Verte iranienne comme #neda, et #iranelection.

Néanmoins, si volonté il y bien eu, a-t-elle portée ses fruits?

Chacun aura noté, l’extrème lenteur des médias et des politiques occidentaux à relayer le mouvement tunisien et faut-il le rappeler, le 13 janvier, soit seulement 3 jours avant la chute du regime, Michèle Alliot-Marie proposait encore le savoir-faire de la France pour aider le président Ben Ali à gérer la situation!
Si au final, Twitter a contribué à mobiliser la communauté française et en premier lieu celle d’origine Tunisienne, dire que cette mobilisation a permis d’infléchir la position du gouvernement serait vraiment exagéré.

Certe on a pu sentir telle inflexion dans les propos de François Fillon, de Cathrine Ashton, ou de l’administration américaine le lendemain et sans doute est -il permis de penser que la diffusion, via les réseaux sociaux, de photos et des vidéos d’une extrême brutalité ne sont sans doute pas étranger à ce changement de ton.

Pour autant, force est de constater que malgré la montéee en puissance de Twitter et malgré le relai des medias lors de ces tous derniers jours, les chancelleries internationales sont restés bien loin des condamnations fermes, unanimes, répétées qu’elles sont capable de proférer à l’encontre d’autres régimes (nonobstant le fait qu’elle n’ont que rarement pour effet de mener à une révolution !…regardez Gbagbo). En tout état de cause, l’idée que le départ de Ben Ali résulte d’un début de micro-pression (comme on dirait micro-blogging) exércée par la communauté internationale 2 jours plus tôt (!) apparaît franchement optimiste pour ne pas dire fantaisiste. Sinon, comment expliquer qu’Ahmadinejad soit toujours en poste?

Mon avis: Impact de Twitter sur ce critère 1/5 (minime)

4- Twitter comme moyen de retransmission

Sur l’ensemble de ces critères, même si le rôle joué par Twitter n’est pas nul, ma conviction est qu’il est resté trop faible pour se permettre de qualifier la revolution Tunisienne de “Twitter revolution”.
Le seul fait nouveau en réalité, c’est qu’une partie de la planète, à commencer par moi, a pu vivre en temps réel, tranquillement assis sur son fonteuil, une révolution en regardant non pas la TV mais Twitter. “Twitter Revolution”, le concept est sexy, mais n’est-ce pas comme le dit Luke Allnutt (@lukeallnutt) avant tout révélateur d’une indéfectible projection occidentale sur les évènements du monde?

More than that, Twitter revolution narratives are popular because rather than being about Tunisia, they are often really about ourselves. When we glorify the role of social media we are partly glorifying ourselves. Some of us are not only praising the tools we know and love and use every day, but also the tools we build and have stakes in. To proclaim a Twitter revolution is almost a form of intellectual colonialism, stealthy and mildly delusional: We project our world, our values, and concerns onto theirs and we shouldn’t.”

Enfin, si Twitter a semblé jouer un rôle important dans la retransmission des événements n’est-ce pas surtout au regard de la défaillance des medias traditionnels?
Car malgré l’immense respect que j’ai pour ce qu’a résussi à accomplir le peuple tunisien, et les twitterers qui ont rejoins leur cause, il convient de dire que l’engouement des twitterers pour la révolution Tunisienne est resté, somme toute, trés modeste.
Ainsi, au plus fort de la crise, le trypique Tunisie+Tunisia+tunez n’a atteint que 100 tweets par minutes. On m’objectera que ce trypique ne permet pas de mesurer le nombre de tweets réels parlant des événements tunisiens. C’est tout à fait vrai, mais cela reste un indicateur, et en comparaison le dypique (equateur + ecuador) dépassait lui les 400 tweets/minutes lors de la tentative de coup d’etat en Equateur du 30 septembre dernier… Qui s’en souvient?
Autre indicateur intéressant, le mot Tunisie (en français), est resté égal à Tunisia (en anglais) et superieur à Tunez (en espagnol) avec constance jusqu’aux 2 derniers jours, les courbes des différents mots clefs épousant par ailleurs exactement le même tracé. Ceci nous permet de conclure 2

  • Les twitterers impliqués appartenait globalement aux mêmes fuseaux horaires. En réalité, la révolution tunisiennes a été essentiellement suivie, commentée et retweetée en Europe et au Moyen-orient.
  • Les événements ont sans doute fait le plein des voix francophones intéréssées par l’actualité internationale, celles-ci restant, n’en doutant pas, bien modestes à l’echelle de Twitter. Mais, les grandes communautés de Twitterers hispanophones et anglophones d’Amerique du Nord et du Sud, ainsi que celles des pays asiatiques anglophones sont elles, en proportion, restées trés en marge de l’actualité Tunisienne. (je ne possède pas de données concernant les autres communautés linguistiques notamment japonaise, russe, etc…)

Et à cela il y a me semble-t-il une explication qui va au delà des facteurs géographiques ou historiques: la trés faible et pour le moins tardive implication les medias US et UK qui, sur Twitter, sont eux, les véritables catalyseurs, et c’est un fait constant, des discussions touchant à l’actualité internationale.
Ne conveindrait-il pas alors plutôt d’appeler la révolution Tunisienne, la révolution des oubliés médiatiques?
Mais suis-je bête, assuremmment, ce ne serait pas trés vendeur…

Revivez quels ont été les mots clefs les plus recurrents associés au trypique (tunisia+tunisie+tunez) tels que mesurés par tw-hitmograph depuis le 17 décembre ou accéder directement à la table de données pour retrouver les liens vers toutes les alertes diffusées par tw-hitsmograph

Astuces pour visualiser:
Pour couleur: changer le paramètre “couleur identique” par “Number”!
Maintenant positionnez vous sur une date particulière à l’aide du curseur defilant en bas. lâchez et cliquez sur les ballons pour voir apparaître les mots clefs. L’axe Horizontal mesure le nombre de tweets par minute.