Les articles publiés dans cette rubrique ne reflètent pas nécessairement les opinions de Nawaat.

D’abord une remarque de forme : ne brouillons pas les cartes, les révoltes tunisiennes n‘ont aucun lien avec ce que les médias nomment révolution. Toujours pressés de nommer et fixer les événements en cours, les médias traditionnels participent largement à leur sclérose et leur non-compréhension Ces révoltes n’ont été portées par aucune idée politique claire si ce n’est l’éviction de Ben Ali et la volonté de clamer haut et fort que les Tunisiens n’ont plus peur. Pourquoi se précipiter pour nommer ce que nous n’entrevoyons qu’à peine ? « Révolution du jasmin » est une expression maladroite que Ben Ali utilisait lui-même pour qualifier son coup d’Etat. Aujourd’hui le jasmin est maculé de sang et a perdu toute senteur. Les révoltes et manifestations se poursuivent, parons-nous donc de patience et tenons-nous en aux faits. Les Tunisiens ont bien attendu 23 ans.

Pour le fond, il faut parfois prendre le risque de prédire l‘avenir pour s‘en prémunir. Deux écueils trahiront le mouvement de révolte : la pérennité des institutions et une laïcisation à marche forcée.

Il faut comprendre que la période s’étendant de 1956 à 2010 a vu deux tyrans monopoliser le pouvoir en la vidant de toute contestation, et éradiquant toute forme de pensée politique. Le résultat est tragique. Les Tunisiens ne savent plus à quel saint se vouer. Le parti communiste d’Hamami ne trouve écho qu’à l’université. Quant au parti islamiste, il n’est devenu que l’ombre de lui-même : tous ces cadres sont exilés ou sont morts dans les geôles de Ben Ali ; en Europe, ils se sont intégrés et se sont peu préoccupés de l’après-Ben Ali. Rappeler ces fantômes est un leurre. Ils étaient déjà présent en 1987 sans produire de résultat notable.

La thèse que je voudrais défendre est la suivante : le gouvernement d’union nationale qui vient d’être nommé doit, avant de se dissoudre, organiser dans 60 jours des élections législatives. Les nouveaux députés, émanant de la société civile, auront pour tâche principale la rédaction d’une nouvelle constitution instaurant les bases d’un régime parlementaire. Les révoltes tunisiennes doivent donc d’abord accoucher d’une assemblée constituante qui ne disparaîtra qu’après avoir donné à la Tunisie un Parlement qui aura l’initiative des lois et contrôlera le pouvoir exécutif.

Dans le même temps, il faut dissoudre le RCD ainsi que les partis et les institutions ayant collaboré et participé aux malheurs du peuple tunisien, sans oublier la création d’une commission d’enquête pour réfléchir à la liquidation de l’héritage politique de Ben Ali.

Même s’il n’a pas été arrêté à Varennes, Ben Ali doit impérativement revenir dans son pays et attendre que le Parlement, émanation du peuple, décide de son sort. Les choses avancent donc en Tunisie mais, de grâce, ne les précipitons pas par nos mots.

Mehdi Zorgati