Le site officiel du gouvernement, la totalité des sites web des ministères, mais aussi le site de la banque Zitouna : depuis lundi 3 janvier, de nombreux portails officiels sont indisponibles.

D’autres sites ont été “défacés”, c’est à dire que leur page d’accueil a été remplacée par un message du collectif Anonymous, qui s’est notamment fait connaître par son “opération Riposte”, contre les opposants à WikiLeaks.

Dans une lettre ouverte, le groupe informel assure désormais mener une “opération Tunisie”. “Le gouvernement tunisien, dirigé par le président Ben Ali, a montré un niveau de censure outrageant, bloquant non seulement des sites de blogeurs dissidents, mais aussi des sites comme Flickr, ou toute source d’information mentionnant WikiLeaks”, fait valoir Anonymous. Les pannes perdurent mercredi, mais Tunisie Numérique assure que “les sites ont été mis hors ligne par le gouvernement depuis hier matin afin de rétablir leurs contenus”.

Depuis le début de l’année, les escarmouches se multiplient entre les cyber-dissidents et ce qu’ils surnomment “Ammar”, l’appareil de censure tunisien. L’histoire de Mohamed Bouazizi, un jeune vendeur de fruits et légumes qui s’est immolé le 17 décembre à Sidi Bouzid, ville du centre-ouest de la Tunisie, a suscité l’indignation de la blogosphère et des internautes. Ce diplômé au chômage s’était aspergé d’essence devant la préfecture, après s’être fait confisquer la marchandise qu’il vendait dans la rue par la police municipale parce qu’il n’avait pas les autorisations nécessaires. Il est mort de ses blessures mardi 4 janvier.

En protestation contre le sort de ce chômeur, des marches et manifestations – non autorisées – ont eu lieu à partir de fin décembre dans plusieurs villes du pays. Des banques et des bâtiments publics ont été incendiés, et un jeune homme a été tué par un tir de la police à Menzel Bouzaïene, le 22 décembre. Ces manifestations s’organisent principalement via le réseau social Facebook, sur lequel les appels à manifester sont transmis par messages privés ou en utilisant des messages codés, afin d’échapper à la surveillance de la police.

BLOCAGE DE L’ACCÈS SÉCURISÉ À FACEBOOK

Depuis, les autorités ont décidé de bloquer l’accès à Facebook via le protocole https, un accès sécurisé au site qui empêche la majorité des logiciels espions de recueillir des informations sur une connexion, comme par exemple un mot de passe. Une décision vivement critiquée par l’organisation de défense de la liberté de la presse Reporters sans frontières et par les militants des droits de l’homme en Tunisie.

Ces derniers accusent la police de se livrer à une campagne de piratage des comptes Facebook d’opposants, en se procurant leur mot de passe pour pouvoir désactiver leur compte. D’après le site Assabilonline, plus de 100 pages personnelles et des groupes critiques envers le pouvoir, ou relatant les manifestations, ont été désactivées soudainement, dont la page Facebook du site Débat Tunisie. Le groupe Facebook en langue arabe “M. Le Président, les Tunisiens s’immolent par le feu”, comptait plus de 12 000 membres avant d’être désactivé.

Facebook est très largement utilisé en Tunisie, où le réseau revendique 2 millions d’utilisateurs sur une population de 10 millions d’habitants. Perçu comme l’un des rares espaces de liberté d’expression dans un pays qui censure très largement Internet, avec un système de filtrage qui bloque par intermittence les sites d’information et les sites de partage de vidéos comme Youtube ou Dailymotion, le réseau social est dans le collimateur du régime. En 2008, les autorités avaient tenté de bloquer complètement Facebook, avant de faire marche arrière sur intervention du président Ben Ali.

CENSURE GLOBALE DU WEB

Classée parmi les “ennemis d’Internet” par Reporters sans frontières, la Tunisie pratique un filtrage global d’Internet au niveau des fournisseurs d’accès, tous contrôlés par le pouvoir. Outre une “liste noire” de sites, régulièrement modifiée, les fournisseurs d’accès doivent également censurer certains mots-clefs. Officiellement, la censure ne concerne que le terrorisme et la pornographie, mais de nombreux journalistes et les militants des droits de l’homme se plaignent d’une mise sous surveillance de leur connexion Internet et de leur boîte e-mail, quand il ne s’agit pas de piratage pur et simple de leur site ou de leur page Facebook.

Les autorités s’intéressent de près aux proxies” (outils permettant de masquer l’origine de sa connexion, très utilisés pour contourner les blocages), note aussi Reporters sans frontières. Sans attendre de nouvelles mesures, les activistes tunisiens ont commencé le développement de nouveaux moyens pour contourner la censure.

Le Monde.fr