La Cour européenne des Droits de l'Homme

Trial-ch.org – 15.12.2010

Genève, 15 décembre 2010. Le Tribunal fédéral, la plus haute instance judiciaire suisse, avait rejeté en 2007 la demande d’une victime tunisienne de torture réfugiée en Suisse de pouvoir attaquer en dommages et intérêts la Tunisie et un ancien ministre de l’Intérieur. La Cour européenne des droits de l’homme laisse maintenant entendre qu’il y a matière à débattre.

En avril 1992, alors qu’il vivait en Italie, M. Abdennacer Naït-Liman est arrêté et remis aux autorités tunisiennes. Durant quarante jours il est arbitrairement détenu et soumis à diverses tortures : privé de sommeil, il est roué de coups et accroché à une barre de fer disposée entre deux tables, durant toute sa détention. M. Naït-Liman a vécu cet enfer dans les locaux mêmes du Ministère de l’Intérieur de la République de Tunisie. 

En avril 1992, alors qu’il vivait en Italie, M. Abdennacer Naït-Liman est arrêté et remis aux autorités tunisiennes. Durant quarante jours il est arbitrairement détenu et soumis à diverses tortures : privé de sommeil, il est roué de coups et accroché à une barre de fer disposée entre deux tables, durant toute sa détention. M. Naït-Liman a vécu cet enfer dans les locaux mêmes du Ministère de l’Intérieur de la République de Tunisie. 

Asile en Suisse

En 1995, M. Abdennacer Naït-Liman obtient l’asile en Suisse, en raison des tortures qui lui ont été infligées durant ces quarante jours. Depuis, il a obtenu la nationalité suisse.

En février 2001, profitant de la présence de l’ancien ministre de l’intérieur M. Abdallah Kallel sur le territoire genevois, M. Naït-Liman a déposé une plainte pénale contre ce dernier pour lésions corporelles graves. Le plaignant lui reprochait d’avoir ordonné les tortures physiques et psychologiques qu’il a subies directement dans les locaux du Ministère de l’intérieur. L’ancien ministre était toutefois parvenu à quitter la Suisse juste avant que la justice genevoise ne s’intéresse à son cas.

En juillet 2004, soutenu par TRIAL (association suisse contre l’impunité), M. Naït-Liman a introduit à Genève une action en justice visant à obtenir de M. Kallel et de la Tunisie la réparation du dommage  subi en raison des tortures infligées. Défendu par Me François Membrez, vice-président de TRIAL, M. Naït-Liman se trouvait en effet dans l’impossibilité de retourner dans son pays sous peines de graves risques pour son intégrité. Le seul lieu où il pouvait faire valoir ses droits est Genève, où il est domicilié depuis des années. 

Valablement convoqués, les défendeurs ont refusé de prendre part à la procédure. Le Tribunal de première instance, puis la Cour de justice en appel, ont cependant déclaré la demande irrecevable, soit en raison de l’immunité dont jouirait M. Kallel et la Tunisie en raison d’actes de fonction (sic), soit au motif de l’absence d’un lien suffisant avec Genève. 

M. Naït-Liman a alors saisi le Tribunal fédéral d’un recours visant à faire reconnaître qu’il existe un «for de nécessité» à Genève, tel que prévu par l’article 3 de la loi fédérale sur le droit international privé. Selon cette disposition, il doit en effet être possible d’agir en Suisse lorsqu’une «procédure à l’étranger se révèle impossible ou qu’on ne peut raisonnablement exiger qu’elle y soit introduite», les autorités judiciaires «du lieu avec lequel la cause présente un lien suffisant» étant alors compétentes.

Par arrêt du 22 mai 2007, le Tribunal fédéral a rejeté le recours en raison de l’insuffisance de ce lien, laissant ouverte la question de savoir si l’immunité d’un ancien ministre de l’intérieur pourrait également faire obstacle à l’affaire.

Le 20 novembre 2007, une requête a été introduite contre la Suisse pour violation de l’article 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH), lequel garantit notamment le droit d’accéder à un tribunal pour y faire valoir ses droits de caractère civil. Le requérant argumentait qu’en matière de torture en particulier, le droit international milite pour que les victimes de ce fléau puissent obtenir réparation de la part de leur bourreau, et que la justice suisse était la seule à pouvoir connaître du litige.

La Cour européenne des droits de l’homme vient tout juste de communiquer le dossier aux autorités suisses, leur demandant de livrer leur version des faits sur cette affaire. Dans la pratique, rares sont les dossiers qui sont «communiqués» aux Gouvernements ayant ratifié la CEDH. Cette étape de la procédure laisse à penser que l’affaire devrait être déclarée recevable et que la Cour sera amenée à dire si la Suisse a ou non violé un droit fondamental en fermant ses tribunaux à une victime de torture.

Pour Me François Membrez, «le fait que la Cour européenne aille de l’avant est un signal fort qu’en matière de torture la justice ne peut plus s’embarrasser des immunités. La torture est un crime international, et chaque Etat doit contribuer à y mettre un terme, y compris par la voie civile». TRIAL, dont la mission est de mettre le droit au service des victimes des crimes les plus graves, s’est déclarée satisfaite par ces derniers développements. Pour Philip Grant, son directeur, «cette affaire est potentiellement porteuse de grands espoirs pour les victimes de torture. La Cour européenne doit maintenant dire que le droit international est avec elles, contre les bourreaux». 

La question posée à la Suisse par la Cour de Strasbourg est la suivante: «En refusant d’examiner la demande en réparation du préjudice moral subi du fait d’actes de torture, dirigée contre A.K, ancien ministre de l’Intérieur de la République de Tunisie, au motif que ce dernier bénéficiait de l’immunité de juridiction et que les juridictions nationales étaient incompétentes ratione loci, ces dernières ont-elles violé le droit du requérant d’avoir accès à un tribunal au sens de l’art, 6 § 1 de la Convention?».

La Suisse dispose désormais d’un délai au 21 mars 2011 pour répondre à cette question. Aucune date n’est fixée pour le jugement de la Cour.

Pour plus d’infos

L’affaire Naït-Liman sur le site de TRIAL

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