De Kebili à Mornaguia (première partie)

Moudhafer Labidi, lors des manifestations à Redeyef

Bazma est un coin désertique à Kebili où a été édifiée la prison. Je fais partie des prisonniers qui l’ont inaugurée fin juillet 2009 car les capacités de l’Etat étaient insuffisantes et il fallut construire des prisons pour le peuple. Un peu avant le mois de Ramadan j’ai eu de vives discussions avec l’administration de la prison pour être transféré à la prison de Mornaguia, pour des raisons familiales. La première de ces raisons c’est que mon père était emprisonné à Mornaguia et la seconde, que ma mère résidait dans la capitale et que la loi sur les prisons le permettait de façon inconditionnelle. Et pourtant on m’a opposé un refus total, jusqu’à ce que ma famille me rende visite le premier jour du mois de Ramadan. Je n’en pouvais plus d’attendre. J’avais eu une altercation, verbale, avec l’administration de la prison qui s’était soldée par une raclée comme à l’accoutumée et dix jours de cachot, le siloun ; alors j’avais commencé une grève de la faim à cause de la dureté des traitements et de l’injustice qui n’est pas étonnante venant des animaux sauvages des prisons de la chère Tunisie.

Ma sanction, comme ma grève, ont duré 6 jours. Le directeur m’a rendu visite au cachot et m’a informé qu’il avait compati à ma situation et qu’il allait me sortir de là. En réalité ma santé s’était dégradée et l’infirmier qui venait me voir l’informait quotidiennement. De plus ma famille allait venir et le directeur n’aurait pas eu de motif pour refuser de m’extraire pour la visite. Lors de mon retour dans la cellule où les prisonniers étaient impatients de me voir car ils avaient suivi les péripéties de la discussion et des violences qui s’en étaient suivies, perpétrées par les gardiens, tous m’ont demandé comment j’allais, et m’ont dit que j’étais un homme…

Le jour suivant, un samedi, j’attendais le parloir avec impatience quand un agent m’a informé que ma famille était arrivée. Je suis sorti rapidement pour me rendre au « balouar » comme l’appellent les prisonniers, accompagné par un gardien. J’ai trouvé mon frère, mon oncle et une tante qui m’attendaient. Nous nous sourions à travers la vitre j’ai pris l’interphone et j’ai informé mon oncle avec maints détails de l’incident et il a remarqué que mon œil était enflé et bleu. Je lui ai dit qu’une visite des avocats était nécessaire et qu’il fallait porter plainte contre les tortionnaires. La communication a été coupée sur le champ. L’un d’eux s’est approché et m’a dit de ne pas aborder ce sujet car ils écoutaient notre conversation et que ma visite serait terminée si je continuais, mais j’ai poursuivi mon information.

De retour dans la cellule, à la tombée de la nuit, j’étais plongé dans une réflexion sur un dépôt de plainte auprès de l’administration générale et dans bien des questions : est-ce que justice me serait rendue, est-ce que je me berçais d’illusions ? Il était quasiment cinq heures du matin et c’est alors qu’un agent est entré et m’a dit de faire mes bagages car j’allais être transféré dans une autre prison, mais où cette fois-ci ? J’ai rassemblé mes affaires en me demandant où j’allais être transféré, l’essentiel étant de quitter ce lieu et ces bêtes humaines. Après les formalités, j’ai été mis à bord d’un maudit fourgon pénitentiaire avec des prisonniers de droit commun, menotté. Après quelques secondes, le moteur du fourgon maudit a tourné et il est parti pour sa destination.

Le 14 mai 2010,
(traduction ni revue ni corrigée par l’auteur de la version en arabe, LT)