Ce n’est plus un secret pour personne que la fuite illicite de capitaux est un sport national dans notre pays. Ce phénomène ne date pas d’aujourd’hui et l’évasion de capitaux se pratique à tous les niveaux de la société. Mais elle atteint au sommet du pouvoir des proportions inquiétantes.

Depuis 1987, et l’avènement du nouveau régime, l’entourage du président Ben Ali s’est petit à petit accaparé les affaires les plus juteuses du pays ainsi que les principaux échanges internationaux. Ce qui les place d’office à la tête de cette entreprise de spoliation nationale.

Les indiscrétions ne manquent pas sur les méthodes de transformation des biens mal acquis en argent liquide transféré par diverses moyens dans des paradis fiscaux ou dans les banques de certains pays “amis”. Mais au-delà des spéculations et des ouï-dire, les chiffres sont la pour parler.

Une étude indépendante menée pour le compte du Global Financial Integrity (GFI), par une équipe de chercheurs dirigée par deux économistes et soutenue par la Banque Mondiale, a révélé un trou de près de 18 milliards de dollars échappés au circuit officiel en Tunisie. Soit près de 27 milliards de nos dinars. Une somme qui couvrirait la totalité de la dette extérieure du pays !

Les chercheurs se sont essentiellement basés sur l’analyse de notre balance des paiements. Les échanges commerciaux effectués par la Tunisie avec tous les pays du monde durant la période allant de 1970 à 2008 ont été passés au peigne fin. Ils ont alors été comparés avec les statistiques annoncées par nos partenaires commerciaux en déduisant les frais d’assurance et du fret. Ils se sont arrêtés ainsi sur les contradictions relevées à partir des statistiques des deux côtés. Les chercheurs ont aussi enquêté sur les subventions, les donations, et les prêts qui ont été injectés dans le pays en analysant la traçabilité de leurs emplois.

Sur ces 17.7 milliards plus précisément, les auteurs du rapport ont pu recenser plus de 15 milliards volatilisés, dont près de 12,5 milliards de dollars entre 1987 et 2008. Le reste n’a pas pu être réparti selon les même méthodes compte-tenu de la complexité des transactions. Ce chiffre faramineux nous vaut une peu glorieuse dixième place dans le Top 15 africain. Soit plus de 1600$ par tête de pipe. On est même quatrième si on prend en compte ce critère.

En se penchant sur le détail des chiffres année par année, nous pouvons par exemple relever qu’en 1987, l’année du coup d’État médical du général Ben Ali, 676 millions de dollars ont frauduleusement quitté le pays. Une intensification sensible de l’évasion s’est opérée à partir de 1999, l’année de sa 2ème réélection. En effet ,entre 1999 et 2008 plus de 10 milliards de dollars se sont ainsi évaporées. Le record a été battu en 2002 avec 2,475 milliards.

Bien évidement, des hauts fonctionnaires, des hommes d’affaires ou des simples particuliers ont pu également se constituer une petite cagnotte à l’étranger mais cela est sans commune mesure de ce qui peut se faire aux plus hauts cercles du pouvoir.

On se souvient encore de la demeure achetée par Sakhr El Matri à 2.5 Millions de dollars canadiens. Dans un pays où le tunisien lamda n’a le droit qu’à peine l’équivalent de 4000$ en devise étrangère par an, et où la possession de comptes en devises à l’étranger est sévèrement contrôlée, il y a matière à se demander quant à la “légalité” de cette transaction.

Mais, là encore, on est loin du compte. Cette étude, comme on l’a dit plus haut, ne prend en considération que les fuites de capitaux liées aux investissements, comme les transferts clandestins de bénéfices et les détournements des fonds publics ainsi que les échanges internationaux de marchandises par le biais des rétro-commissions. Elle ne prend pas en compte les fuites des produits de l’économie souterraine comme la contrebande et les trafics de tout genre.

Une économie qui représenterait pas moins de 1.5% du PIB selon une estimation faite par un ancien ministre des finances à la retraite. L’équivalent de 1.25 milliard de dollars pour l’année 2009. Or, encore une fois, ce n’est plus un secret pour personne que depuis une quinzaine d’année, l’essentiel du trafic en Tunisie est exclusivement dans les mains de l’entourage du président et son épouse.

Ce fléau qu’est l’évasion illicite des capitaux, a des conséquences désastreuses sur le développement économique et social du pays. Ces milliards qui ont quitté frauduleusement le pays, c’est autant d’écoles et d’universités, de routes et de projets industriels qui ne verront pas le jour. Sans compter l’augmentation du taux d’endettement et l’accroissement du poids de la dette sur les finances publiques. Lutter contre ce phénomène nécessite une intégrité à toutes épreuves des différents services de l’État et à leur tête la Présidence de la République. Chose qui nous fait, malheureusement, encore défaut en Tunisie.

Malek
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