Mouvement de soutien à Nantes aux populations du bassin minier de Redeyef en Tunisie.

Agé de trente et un ans, dont plus de huit ans passés en France, Hafnaoui Chraïti, de nationalité tunisienne, a été interpellé sans papiers par la police le 30 novembre 2008 à Nantes et conduit au centre de rétention administrative (CRA) de Rennes. Il a formé un recours contre sa reconduite à la frontière mais le tribunal administratif de Rennes a confirmé son renvoi. Il s’est soustrait à la mesure d’éloignement (en principe un délit pénalement sanctionné). Le Juge des Libertés et de la détention (JLD) du Tribunal de Grande Instance a prononcé son maintien au CRA pour 15 jours le 17 décembre. Sur suggestion des autorités, il a déposé une demande d’asile, actuellement à l’étude à l’Office Français pour la Protection des Réfugiés et Apatrides (OFPRA). En effet, Hafnaoui Chraïti a participé activement à Nantes au mouvement de soutien aux populations du bassin minier de Redeyef en Tunisie, dont il est lui-même originaire. Il revient ici sur ces mobilisations et sur ses craintes en cas de renvoi en Tunisie.

* Hafnaoui Chraïti, vous êtes arrivé en France très jeune….

J’avais 23 ans, j’avais de la famille en France et je suis venu pour chercher du travail.

* Beaucoup de Tunisiens de Redeyef sont installés dans la région nantaise. Cette immigration a-t-elle une histoire, une origine particulière ?

On a rejoint de la famille, cela dure depuis les années 60, on est environ 3000 personnes de Redeyef en comptant ceux qui sont nés ici.
On travaille dans le bâtiment, dans l’étanchéité, dans la peinture.

* Les liens avec la Tunisie sont restés très forts ?

La plupart des gens rentrent régulièrement.

* Comment a démarré la mobilisation à Nantes ?

On a commencé après les émeutes du début de janvier, et puis il y a eu des morts. On a fait un communiqué. Au début les gens ont commencé par une association : on a mis une tente en face de la préfecture, comme les gens de Rédeyef qui ont monté des tentes dans les rues, les femmes des mineurs.

La grève de la faim a duré de mai jusqu’à fin juin, mais c’était une grève tournante. J’ai fait partie des grévistes. Les associations françaises sont venues nous soutenir ainsi que la Ligue des Droits de l’Homme en Tunisie. Ouest France, Océan Presse ont relaté notre mobilisation.

Un cousin s’est fait ramasser quand il est rentré en Tunisie, Sghaier Belkhiri. Du 2 août à fin septembre il a été emprisonné. On a organisé des manifestations, collecté de l’argent qu’ on l’a envoyé au bled. Et là-bas, les personnes qui ont reçu l’argent ont eu des problèmes. Elles ont été arrêtées, maltraitées. L’état tunisien avait des renseignement par des indicateurs à Nantes.

On était solidaires des revendications à Rédeyef et on voulait aussi protester contre la répression, les deux à la fois car c’est toute une ville qui a été assiégée. Les gens ont été tabassés torturés, sans compter le procès où des gens ont été condamnés à 10 ans de prison ferme.

* Quel a été votre rôle personnel dans ces mobilisations ?

J’étais membre de l’association de soutien à Nantes pour les gens de Redeyef, donc les autorités tunisiennes connaissent forcément mes activités.

* Sghaïer Belkhiri a été arrêté lors de son retour en Tunisie. Est-ce que cette arrestation a créé de la peur chez les Tunisiens de Redeyef ou les a-t-ils incités à lutter encore davantage ?

Tant qu’on est en France, on peut lutter, mais la moitié de ceux qui auraient dû rentrer en vacances ne sont pas partis cette année et sont toujours bloqués ici. C’est aussi pour cela que je me suis enfermé dans les toilettes du CRA quand on m’a dit que j’allais être embarqué en Tunisie.

* Tous les jours des sans papiers sont renvoyés de France, quelle que soit leur nationalité. Depuis votre mobilisation, les sans papiers de Redeyef renvoyés en Tunisie sont particulièrement exposés à des représailles. Avez-vous eu des nouvelles de Brahim Ben Amor, également originaire de Redeyef, renvoyé au début du mois de décembre ?

Il n’y a aucune nouvelle de lui, d’après ce qu’on dit.

* Ce n’est pas la première fois que vous êtes arrêté sans papiers et pourtant la dernière fois, alors que vous n’aviez pas de passeport tunisien, le consul de Tunisie ne vous a pas délivré de sauf-conduit. Et vous avez pu sortir du centre de rétention de Nantes. Cette fois-ci, comment cela s’est-il passé pour vous ?

J’ai été arrêté sans papiers à la fin 2007 et on m’a emmené à Vincennes où j’ai vu le consul de Tunisie et bien, le consul ne m’avait pas reconnu et ne m’a pas donné le laissez-passer. Cette fois-ci, cette année, la police française a envoyé le dossier au Consulat à Paris, et le consul a délivré le laisser passer en quelques jours. Il a fait ça aussi avec Brahim Ben Amor, et avec un autre de Redeyef, qui a été expulsé il y a une semaine. Or d’autres lui ont été présentés et il ne les a pas identifiés.

* On peut dire qu’il s’agit d’une menace à peine voilée ?

Voilà.

* Que craignez-vous en cas de retour en Tunisie ?

Je risque la prison. Il y a plusieurs personnes qui ont été condamnées dans ma famille : Ghanem Chraïti, mon cousin, condamné à 6 ans de prison le 11 décembre. Son père, un infirmier, a subi des perquisitions tous les jours chez lui. Et la police l’a empêché d’aller travailler. Cela a duré presque six mois. Il était bloqué par la police : ils l’emmènent au poste où il reste quelques jours et il subit des mauvais traitements. Toute sa famille a été détruite. Le frère de monsieur Nacer Belkhiri, membre avec moi dans l’association, a été arrêté, c’est Sghaïer Belkhiri, dont j’ai déjà parlé; un membre de l’association à Nantes, Mohammed Halaïmi, ses deux frères ont été condamnés, Haroun et Tarek, Haroun à six ans et Tarek à 10 ans le 11 décembre dernier. Ainsi beaucoup de membres de familles de mon association ont été arrêtés et maltraités. C’est le même sort qui m’attend.

* Vous avez été placé sous procédure prioritaire, c’est-à-dire que l’OFPRA devrait vous répondre dans les jours à venir. En cas de réponse négative, c’est-à-dire de renvoi, aux craintes de persécutions s’ajouterait, dans votre cas particulier, une atteinte à votre vie privée et familiale..

J’ai ma femme qui est enceinte de plus de huit mois. Elle va accoucher dans les jours à venir. Elle est française et mon enfant sera français. Je voudrais assister à la naissance de mon premier enfant.

Propos recueillis par Luiza Toscane le 25 décembre 2008

Monsieur Hafnaoui Chraïti est joignable à la cabine du CRA au 02 99 35 28 97 et après 20 heures au 02 99 35 64 60.