Zulaikha Gharbi, 44 ans, à Paris. C'est en 1996 que cette mère de cinq enfants a été arrêtée par la police tunisienne à Jendouba, et torturée pour donner des renseignements sur son mari. BRUNO FERT/PICTURETANK

Lundi 15 décembre, un diplomate tunisien, Khaled Ben Saïd, devra répondre devant la cour d’assises de Strasbourg d’actes de torture et de barbarie commis sur une ressortissante tunisienne, Zulaikha Gharbi, douze ans plus tôt, en Tunisie. Ce procès, qui ne durera qu’une journée, a un caractère historique. C’est la première fois qu’un diplomate sera jugé en France sur le principe de compétence universelle, qui permet de poursuivre les auteurs présumés de crimes graves, quel que soit le lieu où ils ont été commis.

Le 11 octobre 1996, Mme Gharbi, mère de cinq enfants, 32 ans, est interpellée à son domicile de Jendouba, petite ville au nord-ouest de Tunis. Elle est conduite dans un local de police. Là, elle est dévêtue et soumise à divers actes de torture pendant vingt-quatre heures : suspension à une barre posée entre deux tables, coups multiples sur le visage et le corps, violences sur les parties génitales, insultes…

Les policiers veulent lui soutirer des renseignements sur son mari, un islamiste membre du parti Ennahda (interdit). Mais Mouldi Gharbi, instituteur, a fui la Tunisie, via l’Algérie, trois ans plus tôt, et obtenu l’asile politique en France. Quand Zulaikha Gharbi sort, traumatisée, du commissariat de police, on lui conseille de se tenir tranquille. “Ton dossier est ouvert”, lui dit-on.

Chaque jour de l’année suivante, Mme Gharbi va vivre “dans la terreur qu’on vienne (l’)arrêter à nouveau”. En octobre 1997, elle obtient le droit de rejoindre son mari en France, au titre du regroupement familial. Quand elle se présente au commissariat de police de Jendouba pour obtenir son passeport et celui de ses enfants, elle découvre avec stupeur que son interlocuteur est l’un de ses anciens tortionnaires. “Je n’avais pas oublié son visage, dit-elle. Je ne l’oublierai jamais.” Elle apprend le nom de ce commissaire de police : Khaled Ben Saïd. “Il m’a reconnue, et je l’ai reconnu, se souvient-elle, mais j’ai préféré faire comme si de rien n’était. Il me fallait nos passeports.” Elle relève toutefois que l’homme “semble gêné”.

En mai 2001, alors que Zulaikha Gharbi a rejoint son mari et vit en région parisienne avec toute sa famille, elle est avertie que Khaled Ben Saïd a été nommé vice-consul de Tunisie à Strasbourg. Soutenue par la Fédération internationale des ligues des droits de l’homme (FIDH) et l’avocat Eric Plouvier, elle dépose une plainte. La FIDH et la Ligue française des droits de l’homme (LDH) se constituent parties civiles.

La procédure qui va suivre sera longue et ardue. Convoqué par la police puis par le juge d’instruction en charge du dossier, Khaled Ben Saïd s’enfuit en Tunisie. En juillet 2003, un mandat d’arrêt international est lancé contre lui. En vain. Après sept années d’enquête, et en dépit de tous les obstacles, l’ordonnance de mise en accusation devant la cour d’assises du Bas-Rhin est finalement rendue, le 16 février 2007.

Aux dernières nouvelles, Khaled Ben Saïd travaille à Tunis et jouit d’une entière liberté. Le procès de Strasbourg se déroulera donc, lundi, selon la procédure de “défaut criminel” ou contumace. M. Ben Saïd sera représenté par un avocat du barreau de Colmar, Me Salichon, qui n’a pas souhaité répondre à nos questions.

Les autorités tunisiennes ont démenti vigoureusement les faits reprochés à Khaled Ben Saïd. “Ces accusations sont totalement imaginaires. Elles visent à induire l’opinion publique en erreur”, a indiqué, le 15 novembre, à Tunis, un responsable tunisien, en refusant d’être cité sous son nom, avant de mettre en doute la compétence de la justice française à statuer sur la plainte.

Vêtue d’une djellaba crème, le visage ceint d’un foulard, Zulaikha Gharbi avoue timidement que le procès de Strasbourg lui “fait un peu peur”. Elle sera présente à l’audience, avec son mari. “Je ne veux pas faire de tort à mon pays, la Tunisie, souligne-t-elle, mais je dois aller jusqu’au bout. Il faut que les tortionnaires sachent qu’ils ne sont plus à l’abri”, explique-t-elle dans un français maladroit.

De son côté, le président d’honneur de la FIDH, Me Patrick Baudouin, rappelle que si la Tunisie présente des aspects positifs, en matière de droit des femmes notamment, ” elle mérite un zéro pointé en ce qui concerne les droits civils et politiques”. Or elle a ratifié la Convention internationale contre la torture en 1988. Pour cet avocat, “il est grand temps que cesse l’impunité totale dont jouissent les tortionnaires tunisiens”.

Source : Le Monde.fr