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Ecrit et publié sur Nawaat par :
Hannibal LeCarthaginois
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La délégation française conduite par Marie-Georges Buffet en Tunisie a fini sa visite. Les propos de Borhane Bsaies publiés dans le journal tunisien As-Sabah du 28/11/2008 sont absolument révoltant. Quoi qu’il puisse penser de la gauche occidentale, du PCF, des Verts ou de la mission civilisatrice de la colonisation, ça n’engage que lui. C’est un sujet qui peut être discuté plus tard. Mais, tout de même signalons au passage que ni sa formation chez les islamistes ni celle procurée au sein de l’Union de la Jeunesse communiste de Tunisie l’ont aidées à avoir une bonne maîtrise de son sujet. Titulaire d’une maîtrise en sociologie, il aurait dû au moins, savoir faire la différence entre communisme, stalinisme, colonialisme et capitalisme. Visiblement ces concepts se mélangeant dans sa tête lui offrent une approche floue de ce sujet.

Les critiques de Bsaies ne visent que défendre Ben Ali. S’imposant comme l’avocat du diable cet ex militant étudiant converti en mercenaire dévoile, ou plutôt prétend dévoiler, « l’autre dimension » de la délégation. N’ayant point d’argument pour défendre son président, il préfère contre-attaquer et soustraire toute légitimité d’action de cette délégation. D’un verbe élégant Bsaies déplace le sujet. Dans son article il n’est plus question de la politique de Ben Ali mais, il s’agit de la légitimité de la délégation. Toute proportion gardée j’aurais pu le comparer à un Radek ou à un Glushsman mais ça sera trop injuste à leurs égards.

Il est légitime de remettre en question cette visite ou la composition de cette délégation.
Il est plus que légitime de se poser des questions sur la gauche tunisienne. Il est d’ailleurs un bon indicateur de la profondeur de la crise qu’a subit et continue à subir la gauche en Tunisie.

La seule évidence qui n’est point discutable, c’est qu’il est impossible de défendre l’indéfendable. Si Ben Ali savait écrire il n’aurait pas su aussi bien se défendre. Heureusement pour lui que Bsaies sait bien faire le sale boulot.
La réponse à cet article ne mérite pas davantage de commentaire. Cependant, toute l’importance que dévoile cette opportunité est de contribuer à étudier le vrai problème : Celui de la gauche tunisienne. Le sujet de la querelle, à savoir le soutien de M.-G. Buffet et sa bande, n’est en effet qu’un détonateur.

Je me permettrais d’ores et déjà de m’adresser à la gauche tunisienne dans un discours qui se veut critique et constructif.

Critique de la gauche tunisienne

Que peut-on espérer de cette délégation ? Quelques belles déclarations, des promesses et une bouffée de médiatisation ! Et après ? Oh pardon ! j’ai oublié le plus important : l’idée de génie de faire pression sur Monsieur Sarkozy pour que celui-ci fasse pression sur Monsieur Ben Ali !!! N’oublions surtout pas que Monsieur Sarkozy, le président de la France, est le dernier rempart de la liberté et des droits de l’Homme. Ca va au-delà de la stupidité et ça en devient ridicule : Sarkozy défendant les ouvriers et les chômeurs du bassin minier de Gafsa ! Vous y croyez vous ? Personnellement ça me fait bien rire.

Depuis que Ben Brik s’est laissé emporter lors de sa grève de faim par une vague de solidarité et de médiatisation, notamment française, la gauche (ou plutôt l’opposition) tunisienne n’a cessé de réclamer toujours un peu plus. C’est son droit, certes. C’est aussi une obligation que les traditions de la lutte des classes imposent pour nos camarades français. Mais, de là à aller demander soutien, solidarité et médiatisation à tout bout de champs en frappant aux portes de l’Elysées, Quai d’Orsay et autres parlementaires européens…Alors ! pourquoi pas le Medef tant que vous y êtes ? Par ailleurs, certains ont même sollicité la réaction de Rama Yade. Honteux !!!

La signification intrinsèque de la visite de cette délégation n’est point reprochable si ce n’est que c’est un scénario déjà vu. Il est d’ailleurs le seul en perspective. L’histoire a démontré son inefficacité. Que va-t-on promettre alors aux familles des prisonniers du bassin minier de Gafsa ? Les différentes parties de cette initiative connaissent pertinemment les limites de leur action. Et c’est d’ailleurs en connaissance de cause qu’ils l’ont entamée. Chacun y trouvera son compte ; les prisonniers du bassin minier de Gafsa et leurs familles, pas trop sûr. A fortiori ils seront le dernier élément à être pris en considération dans cette équation.

Oui à la solidarité. Il faut sortir cette région de son isolement. Les citoyens du bassin minier de Gafsa victimes de la torture et du totalitarisme de Ben Ali ne doivent pas se sentir seuls. Je suis d’accord. Mais tout cela ne devrait-il pas être complémentaire d’une dynamique militante interne ? Une dynamique à laquelle la gauche tunisienne est complètement à l’écart. Sortir la région de son isolement et ouvrir la porte à la solidarité internationale (pour ne pas dire française) c’est formidable. Faudrait-il d’abord ouvrir la porte de la solidarité nationale ? Sortir le bassin minier de son isolement interne c’est la mission de la gauche tunisienne. Quelque soit l’ampleur du soutien international il ne remplacera jamais la tâche à laquelle a failli la gauche tunisienne depuis déjà bien longtemps.

Je ne me propose guère d’analyser ici et maintenant les pathologies constituantes ou éphémères de la gauche tunisienne. Néanmoins, il est clair que Bourguibisme et Stalinisme pèsent encore lourd au point de paralyser la gauche et de la dissocier de ses tâches historiques. Sinon, comment peut-on expliquer qu’un tel mouvement n’ait pas eu les échos qu’il méritait à l’échelle nationale. Ce qui s’est passé dans le bassin minier de Gafsa ne peut être réduit à son caractère régional. Il révèle 21 ans, voir plus, de dictature, de corruption et de souffrance. « 21 ans voir plus » parce que Ben Ali n’est pas le début du problème, il est sa continuité mais en pire.

Comme cela a toujours été le cas en Tunisie la gauche a été surprise par le mouvement des masses. Encore une fois, cherchant leurs propres intérêts avant toutes autres choses, les dirigeants de la gauche tunisoise, pardon, tunisienne poussent délibérément le mouvement vers l’impasse. Crier sur tous les toits preuve à l’appui que Ben Ali est un dictateur n’est un secret pour personne. Tout le monde le sait, tout le monde le dit et il n y’a plus de gloire révolutionnaire à le redire. Peut-on passer à autre chose d’un peu plus constructive ?

La bande mi-catho mi-stal de M.-G. Buffet, aussi honorable et sincère qu’elle soit ne peut constituer une alternative pour les problèmes de la Tunisie. L’ultime solution est celle que les dirigeants de la gauche tunisiennes boudent : les Masses.

Je garde encore d’agréables souvenirs de mes années lycées. A cette époque, il suffisait qu’un établissement scolaire fasse la grêve pour que les autres suivent. Dans des dizaines de kilométres à la ronde nous étions grévistes juste par solidarité afin de dispercer les effectifs des BOP (Brigades d’Ordres publiques). Par solidarité, on se partageait leurs coups de matraques. C’est ainsi que j’ai appris, comme tant d’autres, que le soutien n’est pas un show mais une action militante. Comme tant d’autres j’ai cru au Rêve. Et, nous avons été trahi…

Le problème de la gauche tunisienne est, hélas, ses propres dirigeants.

Des centaines de milliers de tunisiens ont tant voulu exprimer leur soutien à l’héroïsme des travailleurs et des chômeurs du bassin minier de Gafsa mais n’ont pas osé le faire. Par crainte de la dictature policière de Ben Ali ? Certainement. Parce qu’ils n’avaient pas confiance dans les dirigeants politiques de la gauche tunisienne ? Sans aucun doute. La peur de la dictature policière de Ben Ali n’a pas empêché le bassin minier de se révolter. Les trahisons successives des dirigeants de notre chère gauche ont été le vrai obstacle qui n’a pas permis l’expansion du mouvement ou même son encadrement. Nous avons vu par contre, des tentative acharnées de récupération tous azimut.

Si nos chères dirigeants de gauche n’avaient pas tout fait pour vider la gauche de tout son sens, on aurait pu assister à un tournant dans l’histoire sociale et politique de la Tunisie. La centrale syndicale l’UGTT, elle-même devenue instrument contre révolutionnaire, n’a pu jouer son rôle de soutien national au mouvement de protestation. Non seulement l’action politique est mise en cause par les militants tunisiens mais aussi syndicale. Dans ces conditions, Ben Ali continuera à faire ce qui lui semble bon sans être inquiété. Dans ces mêmes conditions les islamistes raflent la mise et gagnent du terrain.

Le problème de la gauche tunisienne est plus grave que la volonté de ses dirigeants d’occuper le devant de la scène politique (française bien sûr). Ce qui est plus grave – que tout le mal qu’ils se donnent pour les 20 secondes au JT de France2 ou pour décrocher un Rendez-Vous avec tel ou tel responsable du Parlement européen afin de lui parler de l’article 2 – est le vide idéologique dont ils souffrent. Quel projet portent-ils et quelles réponses sont-ils capables de fournir aux masses ? Ce vide, Me Nasraoui et Me Trifi ainsi que tous les autres, ne peuvent le combler par M.-G. Buffet et sa bande.

Il est temps que la gauche tunisienne fasse son autocritique. Si les dirigeants de la gauche tunisienne restent incapables d’aborder les masses, de construire avec elle un projet et une alternative. La gauche tunisienne demeurera un Etat-Major sans troupe.

Hannibal LeCarthaginois
Hannibal.lecarthaginois@gmail.com