Le rapport nouveau est arrivé. Tel aurait pu être le cri de ralliement des journalistes tunisiens le 3 mai dernier, tant ils attendaient la naissance du premier rapport du Syndicat National des Journalistes Tunisiens (SNJT), fraîchement installé sur les traces de l’ Association des Journalistes Tunisiens (AJT) dissoute avec le congrès du 13 janvier dernier…

Hormis les différents « communiqués » lancés par le jeune Syndicat et dont certains, tel celui annonçant la fusion (!) avec un syndicat frère de la mouche du coche, étaient de véritables tests de la cohésion syndicale et de sa politique revendicative, le rapport sur la liberté de la presse était un examen de passage vers la notabilité au sein de la société civile du pays, société civile qui ne souffrait pas par le passé – à juste titre d’ailleurs – beaucoup des positions de la défunte AJT…

A titre personnel, quelle déception à la lecture de ce rapport tant attendu !
Une personne censée n’affirmerait pas, et les auteurs du rapport ne disent pas le contraire, que Dame Presse Tunisienne est une malade imaginaire de trop de liberté comme le soutenaient certains intervenants d’un débat sur la question organisé la veille du 3 mai par notre nationale T7. Mais si notre télévision, par son débat, a eu – comme de bien entendu – le mérite de ne pas décevoir ceux qui prétendent qu’on l’a empierrée, le rapport du SNJT s’est avéré plus proche des palabres du Café de la Gare que du rapport sur la liberté de la presse dans notre pays, tellement il enfonce les clous du convenu et les vis du déjà dit…
9.000 mots en langue arabe dispatchés sur 35 pages format standard à raison de 300 mots environ par page, le tout ventilé sur 12 chapitres, c’est suffisant pour faire éclater la vérité… Seulement, la vérité n’est pas dans la quantité…

D’abord la méthodologie, car son absence est indicatrice d’une conception des choses du métier. Une table de matières ne portant pas de pagination, c’est un bon départ pour du cafouillis. On ne peut pas s’abriter devant le manque de temps… Un stylo feutre avant la photocopie aurait pu faire l’affaire au pied levé…
Ensuite, passée l’introduction, tout ce qui s’en suivra (c’est-à-dire 11 chapitres) se suit à la queue leu leu… sans séparations, ni numérotation, ni même des filets entre les titres de la presse publique et ceux de la presse privée… Par ailleurs, un chapitre aussi important que celui des atteintes à la presse est situé en milieu de page (p31) sans mise en valeur… Que dire des recommandations qui sont l’écume du rapport… Ces dernières sont à cheval entre le bas de la page 37 et le haut de la page 38 collées aux noms des six consœurs/confrères qui ont pris la peine d’établir ce rapport…
Etant dans le monde du packaging, et la presse d’aujourd’hui ne fait pas exception, la forme est aussi un esprit…
Cet esprit de vite fait, mal fait règne aussi et surtout sur le contenu comme si le sextuor du Bureau exécutif du Syndicat s’était emberlificoté les pieds dans la charge et, n’en pouvant plus, a décidé de s’en tenir au minimum correct : les poncifs des grognards.

Le partage adopté entre presse publique et presse privée peut paraître opératoire mais en réalité il squeeze le rapport car un partage entre presse écrite, parlée et audiovisuelle, avec en sous-section le partage public-privé aurait eu le mérite de la lisibilité, qui est la valeur cardinale de la communication… Par ailleurs, passé le cadre politique général qui a été réduit au seul évènement de la naissance du Syndicat, alors que notre pays a vécu moult évènements susceptibles de figurer dans cette partie déterminante de la vision des choses, nous nous trouvons devant une leçon de chose des platitudes… comme les lignes générales de la presse tunisienne (p6 sq) ou encore le propos comparatif avec la presse maghrébine (p7 sq). S’il n’y avait pas la législation, on se serait cru face à un diseur de mauvaises aventures…

Voyons l’évaluation de la TAP, de l’audiovisuel, on est en droit de demander des preuves sur ce qui est avancé… Un rapport ne vaut pas par ses intentions. Il est comme un scanner et le rapport du SNJT est une suite creuse de généralités. On n’apprend rien sur la séparation entre la Radio et la Télé, sur le budget de la nouvelle T21 lancée sur satellite sans filet de production, sur l’organisation du travail des journalistes, sur l’absence de direction des programmes et de direction de programmation ou la quasi absence de programmes en direct, sur beaucoup de questions légitimes que se posent les journalistes de ces maisons et qui n’intéressent pas seulement et uniquement la progression dans l’échelle salariale… Quand on écrit que la chaîne al-Hiwar attire les téléspectateurs tunisiens, je ne sais la source sur laquelle le sextuor s’est basé pour l’affirmer… Lire le paragraphe emprunté au rapport des collègues de La Presse ou les lignes pingres réservées à Mosaique, Jawhara, Hannibal TV (en oubliant, choses inacceptable dans un rapport, Hannibal Moyen Orient, Zeitouna FM et les radios régionales), c’est d’une pauvreté effrayante… Même à propos des journaux des partis politiques, le rapport n’a même pas pris la peine de signaler les partis éditeurs, alors allez expliquer ce satisfecit accordé à al-Churuq d’entre tous les médias écrits, allez expliquer cette phraséologie concernant al-Sarih ou al-Hadath (en oubliant son nouveau titre Li-Kully al-Nass), al-Moulahidh (en oubliant L’Observateur) etc. tout ceci sans preuve comme le nombre de tirages, celui des ventes ou même l’enveloppe publicitaire, les taux de pénétration pour les télé et les radio avec le palmarès des « meilleures » émissions, l’ATCE etc. Tous ces chiffres et toutes ces preuves existent ailleurs que dans le rapport du SNJT… Mais il fallait prendre la peine d’aller les chercher, de travailler en équipe d’observation… Le sextuor du Syndicat a préféré travailler seul et en catimini… Même quand des collègues lui ont adressé un rapport sur la presse électronique, le sextuor a préféré tout bonnement l’oublier.

Résultat : un éclat aveuglant de platitudes. Tout le monde peut prétendre que la liberté de la presse est bafouée dans notre pays… mais le propre d’un rapport annuel d’un Syndicat des Journalistes c’est d’en donner les preuves. Celui du SNJT fut un ballon de baudruche.

Khémaïs Khayati

Cet article a été publié dans le magazine Réalités n°1167 du 8 mai 2008