Dans quelques jours, le régime tunisien fêtera son 20ème anniversaire ! triste anniversaire d’une dictature qui bafoue les droits de l’Homme, humilie ses citoyens, fait main basse sur toutes les institutions de la République, use des manœuvres mafieuses, s’accapare les richesses du pays et nourrit une corruption chronique. Une dictature qui insiste et signe avec une arrogance et une stupidité qui fait pâlir une junte birmane, un Pinochet des années 80 ou un ignoble Somoza des 70ties.

La situation ne semble guère s’améliorer depuis des années. Certains pensent avoir tout essayé, en vain. D’autres sont désespérés et peuvent parfois basculer vers l’islamisme et/ou la violence et le terrorisme. Heureusement, plusieurs citoyens courageux militent encore de façon démocratique et ne sont pas prêts à lâcher la lutte pour la démocratie et les libertés, et ceci malgré les difficultés, les risques et les prix très forts payés. Certains ont sacrifié des décennies de leur vie en prison, d’autres restent toujours traqués, humiliés et intimidés dans leur vie privée et professionnelle.
Plusieurs citoyens se sentent abandonnés, fatalistes et leur désillusion n’en est que plus grande. Peu après le 7 Novembre 1987, leurs espoirs, ambitions, rêves et espérances se sont volatilisés d’une année en année et de jour en jour. C’est l’ère des 7 dés : déception, désabusement, déconvenue, découragement, désappointement, dégoût, et désespérance. C’est le Désenchantement National.

Et la question que tout le monde se pose depuis des années est la suivante : Quels sont les facteurs clés du succès d’une telle longévité ? longévité d’un pouvoir illégitime, dictatorial et inhumain. Les réponses sont multiples. Elles peuvent être classées en deux grandes causes : structurelles et conjoncturelles.

Citons en une parmi les plus importantes des raisons structurelles, celle qui concerne l’essence même du peuple tunisien qui comme n’importe quel peuple arabo-musulman préfère la résignation au combat, la soumission à l’émancipation, l’obéissance à l’indépendance, le conformisme à l’originalité. C’est en quelque sorte la cause de nos acquis civilisationnels hérités et entretenus par la religion et les pratiques sociales. En effet, la religion est une cause profonde car elle n’a cessé de constituer une polémique entre les civilisations humaines et du coup nous empêche d’aspirer à une ère pacifique. Cette « synergie » rétrograde entre les concepts de religion, d’identité et de culture attise le nivellement par le bas des valeurs et références libertaires. Et les citoyens des pays comme le notre sont souvent tiraillés entre les aspirations aux libertés et les dogmes identitaires, entre un pas vers le futur et un retour au passé. Ils veulent d’une part être libres et égaux aux citoyens des pays développés et d’autre part revenir « aux sources » et aux concepts de quinze siècles en arrière, des concepts que des courants rétrogrades, des télé satellitaires, des sites et des radios veulent imposer à travers des méthodes peu orthodoxes et des répétitions quotidiennes en s’appuyant sous couvert de religion sur les facilités octroyées par les institutions de l’Etat. Les idées, écrits et œuvres islamistes sont les plus autorisés et bénéficient sous couvert de religion d’un large appui et d’une logistique collaborative avec l’Etat et les institutions.
Sur ce sujet, aucun islamiste ne peut contester le large appui –certes indirect- de la part des tous les régimes à travers les moyens d’information comme la télé, la radio, la presse mais aussi l’école et bien d’autres institutions aux thèses et pensées islamistes. Et n’avons pas récemment constaté l’allégresse et l’enchantement d’un Ghannouchi -vieillissant et fuyard- à l’occasion de la création de la Radio Ezzeitouna par le gendre de Ben Ali, en faisant fi de la détresse des citoyens et de leur angoisse quotidienne causées par les clans du régime ?!

Des raisons conjoncturelles – parfois indirectement dues aux causes structurelles- comme le degré de sous-développement, les circonstances du 11 septembre, les appuis occidentaux au régime ou plutôt l’indifférence des régimes occidentaux à l’égard des violations des droits de l’homme font partie du lot.
Bref, les raisons sont multiples et variées et sujettes à discussions et polémiques. L’essentiel n’est pas tant de s’étaler sur les causes que de trouver des solutions et des compromis pour avancer et améliorer notre sort. Trouver un minimum de consensus entre toutes les parties prenantes constitue certes une avancée spectaculaire. Qu’il y ait plusieurs associations, comités et structures de lutte pour la démocratie et les libertés sans aucune synergie entre eux et sans but stratégique mais uniquement pour réjouir des intérêts personnels égoïstes et partisans n’est pas du tout de bon sens et ne fait que réjouir le camp adverse.

En tout cas, les leviers d’action sont facilement identifiables et peuvent nous permettre de gagner nos libertés dans un temps plus court.
Le levier le plus important ne peut être que le boycott : le boycott des tour opérateurs qui nourrissent une activité touristique chancelante et non-conforme aux principes de développement durable. Un secteur touristique de bas de gamme qui ne fait qu’aggraver le sort et le futur de nos enfants en bétonnant le littoral, en dilapidant des ressources peu abondantes. Mais aussi un secteur où les malversations financières ne font que transférer les richesses du pays aux mains d’une poignée de personnes du régime. Mais le boycott, c’est aussi la pression médiatique qui peut être exercée sur les multinationales qui collaborent et aident le régime à consolider sa place tous les jours.
A ce sujet, il est parfois drôle d’entendre certaines personnes s’opposer au boycott ou à toute action politique touchant l’économie en pensant à tort que c’est contraire aux intérêts du pays ! Mais de quels intérêts parlent-ils ? Les intérêts que les mafieux peuvent encore voler, accaparer et détourner ? Certaines personnes comme M Yahyaoui sont allées jusqu’à justifier et trouver « normal » que les clans d’un pouvoir puissent s’approprier les richesses du pays ! drôle d’analyse.
Le deuxième levier est celui de la communication, c.à.d. faire pression en exerçant des actions médiatiques sur tous les évènements à l’intérieur du pays : dénoncer les corrompus, les policiers, les juges, les universitaires, les responsables des atteintes aux libertés… Mais c’est aussi des campagnes médiatiques concernant les lois, les décrets et décisions politiques prises comme celui du Hold-up anticonstitutionnel (Article 39 de la constitution).

Reste un point qui a toute son importance pour remplacer le RCD et permettre une évolution et une transition pacifique et démocratique et qui incombe aux partis politiques mais qui demande un travail de longue haleine : s’adresser à la base (base électorale et militante), avoir des vrais sympathisants et non une poignée de collaborateurs, construire un projet d’avenir et non des actions démagogiques. Bref avoir un appui citoyen d’envergure qui permet de gagner toutes les batailles démocratiques.
Là, les partis politiques ont plusieurs décennies de retard à rattraper. Courage !

DeZ , Paris le 23.10.2007

* « Le désenchantement national » a été utilisé comme titre d’un essai de Hélé BEJI paru dans les années 80 et qui portait sur l’anthropologie de la décolonisation et l’ère de Bourguiba après l’indépendance. J’ai choisi ce titre pour sa pertinence et son actualité plus que historique.