24 novembre 06 – A l’heure où les démocraties contemporaines doivent relever le défi du terrorisme international, des académiciens de haut niveau se sont réunis à l’Institut universitaire des Hautes Etudes Internationales (IUHEI) pour débattre de l’Etat de droit et du respect des droits humains dans la lutte anti-terroriste. Rencontre avec le Prof. Andrea Bianchi, spécialiste de la question du terrorisme en droit international.

Peu de termes sont autant instrumentalisés que celui de « terroriste ». Celui qui commet des actes de violence se voit le plus souvent taxé de « terroriste » ou « résistant », en fonction de son appartenance à l’un ou l’autre camp. Les démocraties contemporaines sont-elles menacées par le terrorisme international, ou est-ce le déficit démocratique qui fait le lit du terrorisme ?

La semaine passée, l’armée israélienne a bombardé, en pleine nuit, des maisons palestiniennes à Beït Hanoun, provoquant la mort de 19 civils. Peut-on parler de terrorisme d’Etat ?

On peut le faire, mais si on s’en tient au discours légal, des distinctions s’imposent. Dans un contexte compliqué comme celui du Moyen Orient, le cadre juridique qui trouve application est celui du droit international humanitaire, où la notion de terroriste est très restreinte et a une application très pointue. Pour pouvoir parler d’acte de terrorisme il faut démontrer l’intention de vouloir répandre la terreur parmi la population civile. Su cette base, par exemple, le commandant des forces serbo-bosniaques qui avait la responsabilité du siège de Sarajevo a été condamné par le Tribunal international pour la ex Yougoslavie.

Y a-t-il une définition claire du terrorisme en droit international ? Comment distinguer un « terroriste » et un « résistant » ?

Je crois que l’absence d’une définition internationale du terrorisme est un mythe, car en réalité l’accord entre les Etats est presque unanime. Par contre, il y a un désaccord sur des situations particulières, notamment les contextes de conflits armés, y compris les situations d’occupation militaire. La distinction entre terroristes et mouvements de libération nationale qui font recours à la violence fait actuellement l’objet d’une controverse et c’est pour cela que les Etats n’arrivent pas à adopter la convention internationale des Nations Unies contre le terrorisme.

La guerre en Irak a été faite en violation du droit international. La population irakienne aurait-elle des moyens « légaux » de se défendre contre l’occupation étrangère ?

La guerre en Irak a sans doute été perçue par la communauté internationale dans son ensemble comme une violation du droit international. Par contre, il est difficile de parler aujourd’hui d’occupation militaire car, depuis que le nouveau gouvernement s’est installé, les troupes étrangères se trouvent dans le pays à son invitation. On peut discuter, bien entendu, de savoir si cela est dû à l’influence américaine sur l’équilibre politique de l’Irak, mais techniquement j’ai du mal à accepter la qualification d’un Irak occupé militairement en ce moment. Les moyens de résistance dont pourrait disposer la population sont des moyens politiques, mais ils ne sont pas faciles à utiliser dans le contexte irakien actuel. Ce qui est clair, c’est qu’il faut exclure à tout prix le recours à la violence indiscriminée, qui a pour cible surtout la population civile.

En Italie, des terroristes présumés ont récemment été acquittés lors de procès qui ont défrayé la chronique. Pour quelle raison ?

La base de cette décision était que les personnes qui avaient été impliquées dans la préparation d’actes terroristes commis pendant la première phase d’occupation de l’Irak ont été considérées par le juge, précisément, comme des résistants et non comme des terroristes. Cette décision, assez controversée vient d’être annulé par la Cour de Cassation italienne, même si on ne connaît pas encore les motivations de cet arrêt. Il est fort probable que la Cour n’a pas retenue cette distinction.

Depuis quelques années on parle surtout de terrorisme islamique. Ce terrorisme se nourrit-il de la carence démocratique des Etats arabes ?

Sans doute. On a tendance à se concentrer sur l’équation « terrorisme contre démocraties occidentales », mais les vraies cibles du terrorisme islamique sont probablement plutôt les pays arabes eux-mêmes, dans lesquels la démocratie est déficiente. On pourrait probablement éradiquer cette forme de terrorisme en faisant pression sur les pays arabes afin de promouvoir le changement démocratique.