L’Audace, numéro 137- 138 aout 2006.
De la sanglante affaire « couscous connection » au scandaleux hold-up du yacht français, la Tunisie est aujourd’hui érigée en exemple archétypique de l’Etat mafieux.

L’écart temporel entre les deux crimes est très révélateur de la nature mafieuse de toute une ère politique de la Tunisie « moderne ».

Mafia, régime mafieux, pillage et corruption, les rumeurs se transforment en vérités irréfutables et ne font désormais plus aucun doute. Quant aux coupables, ils sont identifiés et ne peinent guère pour renvoyer les accusations ou défendre leur honneur. Pire encore, ils continuent à circuler librement, à agir et à abuser en toute impunité.

Tout cela dévoile une réalité incontestable : une mafia qui gouverne en Tunisie au vu et au su de tout le monde. Pour argumenter notre allégation nous avons fait recours au procédé scientifique qui dissèque le phénomène ou « l’objet étudié » à la lumière de sa conception épistémologique.

En effet, le criminologue français Thierry Cretin attire notre attention sur le fait qu’il n’est pas nécessaire de mettre de majuscule au mot mafia qui désigne d’évidence, écrit-il, la grande criminalité organisée dans l’esprit commun (Criminalité internationale, p 137)

Mafia est donc synonyme de la criminalité organisée et définie comme étant :

« …une société qui cherche à exercer ses activités en dehors du contrôle des citoyens et de leur gouvernement. Son action n’est pas improvisée mais résulte de conspirations très complexes ourdies pendant de nombreuses années et destinées à procurer le contrôle d’un champ complet d’activités en vue d’accumuler le plus de profits possibles ». (Crime Control Act de 1970) Au niveau de l’Union européenne, en octobre 1999, la criminalité organisée est définie comme la collaboration de plus de deux personnes pour une période assez longue, indéterminée, suspectée d’avoir commis des infractions pénales graves pour le pouvoir ou le profit. (CRIMORG 55, REV 1) Dix ans avant, en 1988, l’Organisation internationale de police criminelle (Interpol), a proposé la définition suivante :

« Toute entreprise (ou groupe de personnes) engagée dans une activité illégale permanente ne tenant pas compte des frontières nationales, et dont l’objectif premier est le profit ».

Ces définitions constituent de solides points de repère :
1/ la collaboration entre plus de deux personnes,
2/ des tâches spécifiques étant attribuées à chacune d’entre elles,
3/ sur une période de temps assez longue ou indéterminée,
4/ avec une forme de discipline et de contrôle,
5/ suspectées d’avoir commis des infractions pénales graves,
6/ agissant au niveau international,
7/ recourant à la violence ou d’autres moyens d’intimidation,
8/ Utilisant des structures commerciales ou de type commercial,
9/ se livrant au blanchiment de l’argent,
10/ exerçant une influence sur les milieux politiques, les médias, l’administration publique, le pouvoir judiciaire ou l’économie,
11/ agissant pour le profit et/ou le pouvoir.

Il est exigé la concomitance d’au moins six critères dont obligatoirement les n° 1, 5 et 11. La mafia tunisienne n’est-elle pas donc un véritable cas d’école ? Sinon lequel des critères fait-il défaut ?

L’on a parlé longtemps de l’identification entre Etat et Parti en Tunisie mais jamais de la relation organique entre Etat et mafia.

C’est à notre humble avis dans cette dernière qu’il faut chercher la clé de la politique tunisienne. Tous les phénomènes pathologiques ravageant le paysage tunisien sont étroitement liés à cette relation à la fois énigmatique et diabolique. Et c’est cette métamorphose de l’Etat tunisien d’un Etat – parti à un Etat – mafia qui fait toute la différence entre le bourguibisme et le benalisme.

Nous en déduisons que tous les qualificatifs politiques attribués au régime tunisien (dictatorial – autoritariste – despotique – Républicoroyaliste – camélion …) ne sont recevables que pour décrire l’Agir et nullement la Nature. Quant à cette dernière, elle est incontestablement mafieuse, et par excellence !

 


Les sacro-saints de la mafia : la peur, le pardon et le profit

La mafia tunisienne a construit une sorte d’écheveau au sein même de la société, où toute une “classe mafieuse” s’entremet sans être totalement dans l’organisation : techniciens, avocats, médecins, commerçants, politiciens. Un réseau si dense que nous pouvons aisément détecter dans les différents secteurs de la société tunisienne. Elle nous rappelle ici le réseau micro -étatique de la nébuleuse sicilienne Cosa Nostra dévoilé après la récente arrestation de son grand maître Bernardo Provenzano.

Afin de pérenniser son action et élargir le champ de son emprise, la mafia a besoin de s’acquérir en permanence des nouveaux adeptes et doit fidéliser constamment ses anciens agents. Cette exigence stratégique est minutieusement respectée par la mafia tunisienne qui a fait récemment recours à la technique du pardon (les valeurs se transforment en technique dans le système mafieux) pour dompter certains opposants/ennemis du système. Des charlatans ont tenté donc de recruter ou de neutraliser dans des milieux dits subversifs et hostiles, proposant le pardon en contre partie du repentir, toujours dans une logique mafieuse.

A la technique du pardon, faut-il répandre la peur voire l’ériger en culture politique et sociale. L’hypertrophie et l’acharnement du dispositif répressif en sont la meilleure illustration.

Du montage pornographique aux menaces verbales, du harcèlement judiciaire à la torture systématique, et des agressions physiques aux disparitions et assassinats, les procédés sont récurrents et la mafia excelle dans la récidive.

En général, la mafia préfère recourir à l’intimidation, la corruption ou le chantage plutôt qu’à la force pour contraindre ceux qui lui résistent. De cette manière elle attire moins l’attention du grand public sur elle. Mais il arrive régulièrement que pour se débarrasser de concurrents ou de témoins gênants ou de traîtres, les mafias usent de méthodes brutales : guerres de gangs pour la prise de contrôle d’un territoire ou d’un marché, assassinat de témoins et de complices ou mutation du juge avant un procès en sont quelques exemples.

Le profit est, quant à lui, l’objectif ultime de la mafia. Tous les moyens sont bons et justifiés pour y accéder, à commencer par les deniers de l’Etat et à finir par les propriétés privées. En effet si la Constitution est la règle suprême dans la hiérarchie juridique d’un Etat démocratique, c’est le Profit qui est le principe souverain dans un Etat mafieux.

N’est-il pas le cas dans la Tunisie de Ben Ali ?

Vendredi 4 août 2006
Imed Daimi & Salim Ben Hamidane

Source : Site du CPR