– Monsieur le Président, quel est votre jour le plus glorieux ?

Zine Ben Ali : Le 7 novembre 1987, lorsque je fus investi président de la République avec seulement un bac moins 3. J’en connais d’autres qui auraient fait Polytechnique ou l’ENA. Voyez-vous, tout cela ne sert à rien.

– Votre jour le plus beau ?

Z.B.A. : Tous les jours sont aussi beaux depuis. Je me la coule douce. Le gouvernement travaille, et moi je surveille tout le monde avec mes ordinateurs. En plus, le bon peuple m’adore, les entrepreneurs me vénèrent : ils versent tous leur obole à la caisse 26/26 pour mon argent de poche et celui de Leïla.

– Votre jour de plus profond désespoir ?

Z.B.A. : Ah ! Je préfère ne pas m’en souvenir. C’était en avril 1980. J’ai été chassé avec mépris de mon poste de directeur de la sûreté à la suite du complot de Gafsa. J’ai perdu connaissance dans le bureau du ministre de l’Intérieur de l’époque, Driss Guiga, et il a fallu me secourir grâce à l’intervention rapide du docteur Skouri. J’ai été carrément mis à la rue. Mais heureusement que quelques mois plus tard, on m’a déniché un poste d’ambassadeur en Pologne. On croyait alors me mettre dans un frigidaire. En fait, j’ai beaucoup appris à Varsovie sur la technique du coup d’Etat, les magouilles, la désinformation. Pour la vérité, tout est parti de là. Aujourd’hui, je peux dire que j’ai eu ma revanche sur le destin, sur les hommes et même sur le peuple.

– Le plus grand homme de l’histoire ?

Z.B.A. :Staline, Pinochet, Ceaucescu. Plutôt Ceaucescu…

– Le plus grand homme du siècle ?

Z.B.A. : Peut-être Bokassa, peut-être Hailé Mariem Menguistu. Les techniques de torture qu’ils inventèrent n’ont pas d’équivalent. Rappelez-vous les charniers qu’on a découvert dans les jardins de l’OUA au départ de Menguistu.

– Le plus grand fléau du siècle ?

Z.B.A. : Les droits de l’homme. On nous rebat les oreilles à longueur de journées de notions aussi vagues et creuses qu’insolentes comme la liberté, la justice, le respect de l’intégrité de l’homme…

– Monsieur le Président, quel est l’homme d’Etat vivant qui exalte le mieux votre pensée ?

Z.B.A. : Moi-même.. Certes, il y a aussi Kadhafi, mais Bof ! Cela fait quelque temps qu’il dérive…

– Votre poète préféré ?

Z.B.A. : Euh … ! Jean-Pierre Sartre …

– Vous voulez dire Jean Paul Sartre ? Mais, Monsieur le président, c’est un philosophe et non un poète…

Z.B.A. : Non, non Jean-Pierre Sartre. Mettez Jean-Pierre. Je sais tout de même ce que je dis..

– Votre écrivain préféré ?

Z.B.A. : Guy des Cars. Je ne lis que lui.

– Votre actuel livre de chevet ?

Z.B.A. : Depuis six mois, je planche justement sur un excellent ouvrage de Guy des Cars : “La P… respectueuse.”

– Votre fleur préférée ?

Z.B.A. : La violette, comme mes cravates et mes pochettes.

– Votre peintre préféré ?

Z.B.A. : Am Amor. Quand j’étais tout jeune, c’est lui qui nous repeignait les murs des pièces, les portes et même la façade de notre maison à Hammam-Sousse. Je lui donnais souvent un coup de main lorsqu’il était perché sur son escabot. L’oncle Amor était incomparable dans ses oeuvres…

– Votre musicien préféré ?

Z.B.A. : Hedi Habouba, El Farzit. Minou aussi est très bon. J’aime beaucoup le Mezoued, ça me décontracte. J’aime aussi beaucoup le chanteur égyptien Mohamed Abdelwaheb. Quand je suis allé en Egypte en voyage officiel, j’ai préféré lui rendre visite dans sa résidence, plutôt que de visiter l’Académie des Belles lettres arabes…

– Votre délassement préféré ?

Z.B.A. : L’écoute téléphonique. Je peux passer des journées entières à écouter, à espionner, ça me délasse tellement…

– Votre animal préféré ?

Z.B.A. : Le pigeon. Il écoute tout et vient me raconter ce qui se dit sur moi dans la rue et dans le Palais.
J‘aime aussi les ânes, leurs grandes oreilles et leur vue basse.

– Votre plat de prédilection ?

Z.B.A. : Un complet poisson et une Kémia chez mes amis les “Tunes” de Montmartre. Avec une bouteille de Magon et 2 ou 3 huitièmes de Boukha comme digestifs c’est merveilleux.

– Monsieur le Président, pourquoi du Magon ? Traditionnellement le poisson est accompagné de vin blanc.

Z.B.A. : Oui, oui, c’est ça. Du Magon blanc.

– Mais il n’y a pas de Magon blanc..

Z.B.A. : Peut-être n’y en a-t-il pas pour le moment en Tunisie. Je vais convoquer le Pdg de l’UCCV (Union des caves coopératives viticoles de Tunisie) pour remédier à cela…

– Aimez-vous le cinéma ?

Z.B.A. : Non. Sauf peut-être les feuilletons égyptiens et mexicains…

– La télévision ?

Z.B.A. : Non. Je suis toujours gêné quand je suis devaant une caméra. C’est comme si je me reprochais quelque chose. Or, à la télévision tunisienne, il n’y a que moi qui passe. Cela m’exaspère parce que je me déteste comme vous ne pouvez pas savoir …

– Les cartes ?

Z.B.A. : Oh Oui ! Surtout le pocker et le”Noufi”.

– Votre principale qualité ?

Z.B.A. : La ruse, la tromperie et la discrétion quand je prépare mes coups.

– Votre plus grande faiblesse ?

Z.B.A. : J’en ai au moins deux : l’argent et les biens matériels. Parti de rien, je suis aujourd’hui à la tête d’une immense fortune que je ne peux même pas évaluer. Ensuite, la femme. J’adore les femmes. Quand j’ai vu Leïla, j’ai craqué, chassé la mère de mes filles et je lui ai offert toutes les richesses de la Tunisie.

– Croyez-vous au hasard ?

Z.B.A. : Et comment ? N’eut-été le hasard, est-ce que vous par exemple, un grand journaliste, vous m’auriez un jour adressé la parole ? Vous savez, je vais vous faire une confidence : je dois tout au hasard. D’ailleurs mon nom aurait bien pu être “Zine Ben Hasard Ben Ali” Ha… Ha… Ha… (le président rit à se plier en deux).

– Pour l’avenir du monde, faut-il être pessimiste ou optimiste ?

Z.B.A. : (un silence). Vous savez, moi je ne m’interroge pas beaucoup à ce sujet. Le jour où je sens que ça va mal pour ma sécurité dans ce pays, je me casse. D’ailleurs, j’ai un avion dans le Palais toujours prêt à décoller. Alors, ces réflexions d’ordre “métal-physique” (NDLR : métaphysique) ne m’intéressent pas.

– Votre plus profonde fierté ?

Z.B.A. : D’avoir roulé tout le monde et de m’être fait appeler “artisan du changement”. C’est pour cela d’ailleurs, qu’à la moindre de mes sorties publiques je me fais accompagner de 5000 policiers et que je paralyse la circulation où que je sois. On ne sait jamais … Si des fois un fou veut se venger après des années de tromperies.

– Votre plus puissant rôle dans le vaste canavas de l’histoire ?

Z.B.A. : D’avoir dépassé en horreurs Mourad III, surnommé Mourad Boubala (il tranchait la gorge de ses dissidents à l’aide d’une pelle à la veille de l’avènement de la dynastie husseynite).

– Si vous aviez à vous définir vous-même pour l’Histoire, quelle phrase choisiriez-vous ?

Z.B.A. : Je suis un Jaruzelsky qui a réussi.