« Penses-tu qu’il soit possible de savoir ce qu’est la démocratie sans savoir ce qu’est le peuple. » (Socrate).

De la démocratie et des « démocrates. »

Dieu, que la démocratie serait imminente, s’il n’y avait pas les méchants islamistes, ses ennemis qui la guettent et sont prêts à la démolir, une fois parvenus au pouvoir ! Il y a ceux qui, dans le monde arabe comme ailleurs, croient à cette formule. Ont-ils raison, ou alors, mal informés sur la réalité et la diversité de la mouvance islamiste ainsi que sur l’indispensable « autre version locale de la démocratie » qu’il faut créer et qui doit être adaptable avec nos sociétés arabo-musulmanes, ont-ils tort ?

Avant de répondre à cette question, il est impératif d’en poser une autre, plus profonde. Ladite question, comme sa réponse, ont été formulées par Amos Perlmutter, l’un des anciens concepteurs de la politique étrangère américaine, sur les pages du Washington Post : « L’Islam, qu’il soit intégriste ou pas, est-il compatible avec la démocratie de type occidental, orientée vers les droits de l’homme et libérale ? La réponse est clairement non. » [1] Même si la démocratie est imaginée pour le monde arabo-musulman elle est tout à fait différente de celle des urnes, c’est une « démocratie sous tutelle ». Sous la tutelle de l’occident ou de ses suppôts que sont ou bien une élite dite « éclairée », « démocrate » et bien évidemment laïque ou bien un régime autoritaire mais ami. Donald Rumsfeld n’avait-il pas précisé que «  Washington refusera de reconnaître un régime islamique en Irak même si c’était le désir de la majorité de Irakiens et s’il reflétait le résultat des urnes. » [2]

Pourquoi refuser de donner le temps au développement d’une démocratie-musulmane ? La démocratie occidentale a eu des siècles, le temps pour se développer, pour corriger ses pas, pour réformer sa marche, ses institutions et ses lois, et, pour atteindre enfin son stade actuel. Même en Europe, il a fallu mettre d’abord en place des Constitutions et des institutions démocratiques avant de voir se développer des partis démocratiques chrétiens. Le plus vieux concept de démocratie chrétienne apparut au milieu du 19e siècle alors que c’est seulement au milieu du 20e siècle que l’église a fait la paix avec la démocratie. Est-il innocent, dans ce contexte, de vouloir voir naître une démocratie qui n’est pas compatible avec les mœurs, les valeurs et les croyances locales ? pourquoi y a t-il une éclatante contradiction entre les déclarations, en faveur de la démocratie, des politiciens occidentaux et arabes et entre la pratique ? Le vrai enjeu consiste-t-il à promouvoir la démocratie dans des contrées qui n’ont pas eu ni la chance ni le temps de produire une culture démocratique ou bien à défendre les intérêts occidentaux ? Nous laissons le soin de la réponse à Samuel P. Huntington : « L’Occident s’est senti soulagé lorsque l’armée algérienne est intervenue en 1992 et a annulé les élections que les fondamentalistes du FIS allaient gagner (…) d’un côté, dans le contexte révolutionnaire qui est le sien, l’Iran a dans une certaine mesure l’un des régimes les plus démocratiques du monde islamique, et des élections libres dans de nombreux pays arabes, comme l’Egypte et l’Arabie Saoudite, donneraient sans doute des gouvernements bien moins ouverts vis-à-vis des intérêts occidentaux que leurs prédécesseurs non démocratiques. (…) Comme les dirigeants occidentaux ont compris que le processus démocratique dans les sociétés non occidentales suscite des gouvernements hostiles à l’Occident, ils s’efforcent d’influencer ces élections et mettent moins d’ardeur que naguère à défendre la démocratie dans ces sociétés.  » [3]

Il est peut être normal, mais pas humain, que les leaders occidentaux soutiennent un dictateur qui leur assure leurs intérêts que de patienter pour soutenir un processus démocratique naissant, et l’accompagner dans son long acheminement que nécessite toute action de démocratisation. Mais, ce qui n’est pas normal c’est que des citoyens arabes ou musulmans voient une opposition intrinsèque dans l’équation démocratie et islam au point qu’ils sont prêts à collaborer avec des despotes sanguinaires contre les islamistes de leurs propres pays. Au nom de la laïcité, des intellectuels, des juristes et même des défenseurs de droits de l’homme ont soutenu, parfois manifestement, la persécution de leurs propres concitoyens, de leur propres voisins et amis car islamistes.

Même aujourd’hui il existe encore, après les amères années de désunions et d’animosité entre les citoyens du même pays, qu’est la Tunisie, des personnes qui voient les islamistes comme ennemis à combattre. Certains, comme Mezri Haddad, nous présentent, une vision faussée de la société tunisienne, comme si au sein de cette société la mouvance islamisme n’appartient pas au peuple tunisien. Attaché comme est le cas de notre élite à la pensée de Tocqueville- qui n’a pas hésité à appeler au massacre des Arabes- l’article, ce pseudo intellectuel nous informe qu’«  Il y a plus d’un siècle et demi, Tocqueville conjecturait l’inexorable marche des sociétés vers la démocratie. Parce qu’il est mature, le peuple tunisien, gouvernants comme gouvernés, est bel et bien mûr pour la démocratie. Mais il n’est pas suffisamment immunisé contre ce virus mortel : le fanatisme religieux. (…) J’ai toutes les raisons de croire qu’en 2004, et peut-être même avant, la démocratie comme forme de gouvernement sera en Tunisie une réalité concrète. Et si je me trompe, je préfère encore me tromper avec Ben Ali (et Bouteflika) qu’avoir raison avec Ghannouchi (et son alter ego Abbassi Madani). » [4]

Suivant la même technique analytique que celle adoptée par notre compatriote Mezri Haddad, l’éditorialiste au Corriere della Sera nous apprend que « Les élections peuvent tout aussi tuer une démocratie ( comme ce fut le cas en Allemagne, en 1933), et il est certain que jamais dans aucun pays musulman, les élections n’ont fait naître une démocratie. Quand les Etats-Unis abandonnèrent le Chah à son destin, la république islamique d’Iran fut triomphalement légitimée par un vote populaire. L’occident hypocrite reproche aux militaires algériens de ne pas avoir accepté, en 1991, la victoire électorale du Front Islamique du Salut, une victoire qui aurait instauré à Alger un fac-similé du régime khomeyniste. Aujourd’hui même, en Irak, une élection ne pourrait porter au pouvoir qu’une théocratie islamique, et certes pas une démocratie. » [5] Après ce simulacre d’analyse, l’auteur, qui n’est rien d’autre qu’un professeur de sciences politique à l’université Colombia de New York et de Florence, prône « la démocratie sous tutelle » et il nous donne un exemple à l’appui, la Turquie : une démocratie sous la tutelle des militaires qui n’osent pas à enter en scène, par les divers coups d’Etat, à chaque foi que le sacro-sainte culture laïque « à la française » de leur demi-Dieu, père de la nation, Atatürk, soit menacée par des « sujets » influencés par les centenaires valeurs islamiques. Est-ce que le sacré ne peut être qu’une émanation du religieux ? personnellement je n’y crois pas. Les plus sacrées des idées, surtout dans le domaine politique, sont des produits séculiers ; et elles se sont avérées les plus dangereuses.

Prisonniers des nos a priori, nous sommes incapables de bâtir un avenir commun sur la base du respect mutuel et de la reconnaissance que chacun de nous a le droit indéniable d’avoir sa propre vision politique, son propre projet de société et sa propre approche de l’action politique. Il est enrichissant le fait d’être différents les uns des autres, d’appliquer une lecture critique sur nos actions politiques ou sur nos visions des choses, mais de là à se combattre, à se considérer comme ennemis et à se déclarer la guerre ! Les uns se voient les garants de la religion et de la morale, les autres les gardiens du temple démocratique, les autres encore des laïcs qui n’ont aucun mal à afficher leur penchant à l’éradication de l’islam-politique voire leur animosité à l’égard de la religion en général et de l’islam en particulier. Si on demande aux Tunisiens d’accepter une vision politique fondée sur l’athéisme ou le matérialisme, théorie étrangère aux normes des sociétés arabo-musulmanes, pourquoi dénigrer alors le droit politique et idéologique de ceux qui se revendiquent des valeurs religieuses issues de ces mêmes sociétés ?

Prenons l’exemple de notre cher ami Lecteurs Assidu, un forumier de TUNeZINE. Après avoir reconnu qu’ « Annahdha est une force politique tunisienne » et que « l’amnistie générale doit représenter le mot d’ordre de tous les opposants de différentes obédiences », il nous rappelle qu’Annahdha est « une tendance politique qu’ [il] estime obscurantiste et qui est au mieux une autre facette de la dictature. Il ne faut pas perdre de vue qu’Annahda (et les autres islamistes qui n’appartiennent pas à ce mouvement) sont des adversaires politiques que les démocrates doivent combattre. Ce combat n’a pas à être différé sous le prétexte fallacieux de la lutte contre la dictature. » [6] Le terme « combattre » employé par Lecteur Assidu est tellement vague qu’il laisse planer même l’idée de l’éradication. N’est-il pas alors intrinsèquement contradictoire d’appeler d’un côté à l’amnistie générale, qui toucherait particulièrement les islamistes puisqu’ils forment la majorité des prisonniers politiques, et de l’autre appeler le camp des « démocrates », c’est-à-dire tous ceux qui ne sont pas empreints de valeurs religieuses, à combattre ceux qui ont fait de l’islam la source de leurs valeurs morales et éthiques.

Je me suis toujours posé la question suivante, qui m’a souvent embarrassé : comment peut-on reconnaître un progressiste ou un démocrate ? Lorsque quelqu’un nous dit : « nous les progressistes » ou « nous les démocrates », est-ce suffisant pour prendre ses paroles à la lettre et admettre naïvement son appartenance au progressisme ou à la démocratie ? Que faut-il faire pour tester la véracité de son progressisme ou son esprit démocratique ? Le procédé le plus simple, inventé par ces même autoproclamés « progressistes-démocrates », est de voir si la personne à étudier est influencée par les valeurs religieuses, surtout musulmanes. Si oui, il ne peut être ni démocrate ni progressiste ! C’est simple comme bonjour. Les islamistes sont les ennemis de la démocratie déclarait notre Lecteur Assidu. Pire encore, il y a même ceux qui ont nié l’humanisme des islamistes. Béchir Ben Yahmed, dans son « Ce que je crois » hebdomadaire, n’a pas hésité à marteler de la façon la plus prétentieuse, qui est la sienne, qu’il ne croit pas à « l’islamisme à visage humain » ! [7] C’était comme si les autoproclamés progressistes ou démocrates ou laïques avaient un facteur « démocratiquo-biologique » incorporé dans leur ADN. C’est risible, mais c’est comme ça. C’est l’imaginaire progressiste qui accable l’esprit d’une partie de notre élite obsédée par la laïcité « à la française ».

Questionné par Nadia Omrane sur le consensus entre le mouvement islamiste et une frange du mouvement démocratique, qui articule le projet démocratique à la laïcité, Hichem Jaït avait répondu : « Je ne vois pas en quoi le mouvement démocratique demande à être laïque. Il faut faire très attention. Si on entend par « laïque » la séparation de l’état et de la religion, pour l’instant on n’en est pas là et c’est un problème vaste. S’il s’agit d’une sécularisation de la législation, nous y sommes depuis bien longtemps, depuis le XIXe siècle. Mais si on considère la laïcité sur le modèle français avec un fond d’hostilité à l’église, personnellement, je dis « non ». Je ne suis pas hostile aux mœurs islamiques de ce pays, chacun est libre de toutes manières. Et, cela va de soi, chacun est libre dans le respect de la loi. » [8]

Mais pour ne pas sombrer dans l’angélisme, l’islamisme, en tant que course au pouvoir, c’est-à-dire une tentative d’islamisation de la société par le haut, et non pas en tant qu’islamisation de la société par le bas, a ses propres démons. Pour les plus durs des islamistes, les gauchistes sont aussi à combattre puisqu’ils sont des « apostats », « importateurs » d’idéologies élaborées à l’étranger et oeuvrant à « corrompre » les sociétés musulmanes ! L’idée légendaire que le Coran serait la solution aux maux des sociétés musulmanes a fait des ravages partout dans la terre d’Islam. Mais, heureusement que ce slogan est de plus en plus mis sous lumières par les islamistes même qui ont été amenés à faire évoluer leur approche du sacré. Comme l’avait bien formulé le philosophe Abdel Karim Souroush, visage emblématique du réformisme post-révolutionnaire iranien, qui a eu le privilège d’accompagner l’évolution de la très singulière expérience iranienne de révolution islamique/régime islamique, disait qu’ : « Il faut cesser de se leurrer en prétendant que l’Islam comporte des enseignements conformes à tous les besoins d’une société moderne, comme la démocratie ou les droits humains. La religion du Prophète détermine surtout les obligations des croyants, tandis que la démocratie garantit les droits des citoyens. Il nous revient à nous, les intellectuels du tiers-monde, de les rendre compatibles. » [9]

Maintenir dans la même lignée des stéréotypes, des préjugées, des idées vagues et aléatoires, et des a priori équivaut à maintenir l’état de panne qui caractérise notre pensée et notre action. Dire que les islamistes, en vrac, sont les ennemis de la démocratie c’est comme si on disait que les démocrates avaient mis la main dans la main avec Ben Ali alors qu’on sait qu’une partie des démocrates l’avait fait alors qu’une autre avait résisté au « consensus national »construit alors pour contrer inhumainement et sauvagement l’islamisme tunisien. C’est comme on dit que les communistes étaient à la solde de Zaba parce que Harmel l’était. Ces généralisations qui se veulent savantes, ne sont pourtant pas exhaustives et véhiculent une stigmatisation de toute une mouvance. Elle n’aide pas à saisir la complexité de la situation ni en Tunisie ni ailleurs.

Si on affirme que la croyance religieuse et les partis politiques religieux sont incompatibles avec la démocratie, il faudrait alors se demander si la guerre contre la religion avait aidé la démocratie en ex-URSS, en Chine -Tibet- et en Albanie. « Les espoirs démocratiques des peuples musulmans se portent aujourd’hui plutôt vers les partis islamistes que vers les représentants nationalistes agressifs de la laïcité et le naufrage de leur concept de modernisation. C’est une réalité qu’il faut prendre sérieusement en compte. Quoi qu’il advienne, on ne fera qu’aggraver le conflit en voulant juguler la religion. » [10] Rappelons ici que l’idée d’une démocratie chrétienne ne fut réalisée que par une lutte à la fois contre la caste religieuse et l’ Etat « progressiste », répressif et éradicateur.

Mettre hors de la scène politique les opposants, ce n’est pas l’art de mener la politique, mais cet art consiste à appeler tous les intéressés à agir dans le cadre de l’esprit démocratique. Malheureusement, c’est bien le propre des sociétés arabes : luttes de factions, exclusions, favoritisme et combats idéologiques inutiles en lieu et place d’un but commun, d’une union nationale et d’un esprit d’appartenance commune. Comme l’avait noté un journaliste libanais Jihad el-Zein sur les pages d’Annahar : « Alors que la Turquie et l’Iran de Khatami se sont lancés dans d’ambitieux projets pour réconcilier islam et démocratie, les Arabes semblent être en panne de vision politique. » [11]

Terminons la présente partie de l’article par une réflexion de l’ancien vice-président de la CIA et l’auteur de : “A Sense of Siege : The Geopolities of Islam and the West” : «  Les islamistes font partie, dans le monde musulman, des forces qui réclament le plus activement tant la démocratie que les droits humains. Pourquoi ? Parce qu’ils sont souvent les premières victimes de leurs absences. Ils sont devenus plus profondément conscients de ce que ces principes signifient pour eux et pour la société. Mais, si les islamistes accédaient eux-mêmes au pouvoir, mettraient-ils nécessairement ces idéaux en pratique ? Ce n’est pas évident, non parce que l’Islam y serait, par principe, hostile, ainsi en raison de l’absence ou de la faiblesse des traditions démocratiques. C’est cette tradition qui détermine la façon dont les acteurs et les partis agiront à l’avenir. De ce point de vue, il n’existe pas une grande différence entre les forces islamistes et les autres. » [12]

De « l’Autre qui ne nous aime pas ! »

Pour les teneurs de l’ordre mondial, la démocratie en dehors des frontières occidentales doit être amicale, c’est-à-dire soumise aux intérêts occidentaux sous peine d’être sabotée quitte à bafouer les traités bilatéraux, signés entre les chancelleries occidentales et les régimes dictatoriaux du Sud, en matière de respect des droits de l’homme. C’est la logique même des rapports Nord-Sud que nos intellectuels doivent saisir, puis dévoiler et dénoncer. Vouloir blanchir l’Occident officiel, celui des Etats et des institutions financières et économiques, de sa responsabilité comme soutien des dictateurs asphyxiant notre quotidien n’est qu’une hypocrisie déguisée. L’intégrité intellectuelle nous impose d’appeler les choses par leur nom. Si c’est parce qu’on profite des largesses occidentales, de ses salons merveilleux, de ses apéritifs, ses p’tits-fours et autres gourmandises accompagnant les soirées luxueuses durant lesquelles on s’adonne au « strip-tease humanitaire », qu’on s’efforce alors de dissimuler la responsabilité des Etats occidentaux dans leurs soutiens logistiques et autres à Zaba, dans la formation de ses tortionnaires qui torturent nos frères et sœurs et affament des milliers de familles tunisiennes, on devient alors les complices du crime et des simples gardiens du temple de la désinformation. Si c’est parce qu’on veut passer pour un(e) tolérant(e), ouvert(e), modéré(e) et dépouillé(e) de ce complexe qui hante l’esprit de notre élite, qu’est le repli « anti-occidental », qu’on se permet de falsifier l’histoire et de dire n’importe quoi afin de plaire aux fines oreilles bourgeoises, il valait mieux déclarer notre faillite auprès du peuple et de la jeunesse qui attendent une élite courageuse, désintéressée, pertinente et perspicace dans son traitement avec ce monde injuste qu’on veut nous imposer par la force des armes, de l’argent et de l’acculturation.

Et si cet « Autre » travaille vraiment contre la volonté de libération de notre peuple et contribue activement, par le biais de ses moyens financiers et politiques, à faire perdurer la tyrannie qui assiège nos aspirations à la liberté et à la démocratie, ne faudrait-il pas le dire, le crier et le redire et non se taire sous le faux prétexte de vouloir assumer notre propre responsabilité en innocentant l’un des principaux complices qu’est le système mondial ?

L’Occident officiel avec ses Etats, ses banques dites de développement, ses dettes envenimées et ses « boites à pensée » est l’un des pôles de la domination ; la dictature tunisienne et celle des autres pays arabes ou africains ne sont que des maillons, des comptoirs locaux affiliés au despotisme global qui marginalise et exclut des centaines de millions d’être humains. Que n’en déplaise aux « maîtres du monde », à leurs idéologues et à notre élite qui caresse l’injustice mondiale dans le sens du poil : l’Occident officiel, à l’inverse de ses sociétés civiles, ses intellectuels intègres et ses défenseurs des droits de l’Homme engagés aux côtés des peuples non-occidentaux, est le « boss » de la dictature tunisienne.

Le mythe de l’éternel complot, le fait de se sentir constamment la victime de l’impérialisme, du sionisme, ou de l’Occident en général cet Autre de toujours a, certes, contribué à paralyser l’effort intellectuel des Arabes et surtout l’engagement politique des populations. Mais de là à nier toute responsabilité, d’ailleurs flagrante, de l’Occident -responsabilité que même les intellectuels occidentaux intègres reconnaissent- est aussi une tromperie qui veut nous faire avaler cette perpétuelle innocence de l’Occident. Les bonnes intentions d’un monde qui lui-même bénit la sacro-sainte loi du gain et du profit, du consumérisme déréglé et de l’individualisme destructeur ne peuvent pas être vendues chez-nous par la culture de notre élite qui, pour emprunter le terme de Jacques Brel, a « mal aux dents ». Il est bien de modérer les excès, de les combattre, mais cela ne doit pas être envelopper par la création d’autres excès, d’autres mythes encore plus néfastes : faire confiance aux « bonnes intentions » de l’Occident officiel au risque de bâtir des démocraties sans peuples.

notes :

[1]Amos Perlmutter, « Islam et démocratie ne sont tout simplement pas compatibles », International Herald Tribune, Paris, 21 janvier 1992, cité dans : « le monde arabe orphelin de la démocratie », Gilbert Achcar, Le Monde diplomatique, juin 1997.

[2] El Pais, Madrid, 22 avril 2003, cité in : Néo-impérialisme, Ignacio Ramonet, Le Monde diplomatique, mai 2003.

[3] Le Choc des civilisations, Samuel P. Huntington, Editions Odile Jacob, 1997, Paris, p. 216.

[4] La Tunisie ne vit pas un cauchemar, par Mezri Haddad, Le Monde du 06 février 2001.

[5] Irak : sous la tyrannie, la théocratie, par Giovanni Sartori, Courrier International nº653 du 7 mai 2003.

[6] Opinion concernant la réunion d’Aix-Marseille, Lecteur Assidu, www.tunezine.com, le 21 mai 2003.

[7] A qui le tour, Béchir Ben Yahmed, L’Intelligent nº2133, du 27 novembre 2001.

[8] Propos de la responsabilité de l’intellectuel, Interview exclusive de Hichem Jaït, Alternatives citoyennes, nº1 du 28 avril 2001.

[9] Cité in : En Iran, Islam contre islam, Eric Rouleau, Le Monde Diplomatique, juin 1999.

[10] Concilier démocratie et conviction religieuse ? Par Gustav Seibt, Süddeutsche Zeitung, Munich, cité in : Courrier International nº628 du 14 novembre 2002.

[11] Pour une laïcité à l’américaine ! Jihad el-Zein, Annahar, Beyrouth, cité in : Courrier International nº628 du 14 novembre 2002.

[12] Des puissantes forces modernisatrices, Graham Fuller, manière de voir nº64 (Islam contre Islam).