Y a-t-il un schisme entre le mouvement des droits humains et les communautés religieuses ? Des désaccords fondamentaux semblent de plus en plus dresser les militants laïques des droits humains contre les personnes et les groupes agissant au nom de la religion. La liste des questions litigieuses ne cesse de s’allonger : droits reproductifs, mariage des homosexuels, lutte contre le VIH/SIDA, lois sur le blasphème, autant de thèmes qui placent souvent les militants des droits humains et les groupes religieux dans des camps opposés.

Comme l’a illustré le débat sur le port du foulard islamique en France et en Turquie, les polémiques liées à la religion ont également semé la confusion dans bien des esprits au sein du mouvement des droits humains et elles ont amené certains militants à exprimer de fortes réserves à propos de certaines formes d’expression publique de la conscience religieuse.

L’Europe occidentale, le continent le plus laïcisé au monde, s’est retrouvée dans l’œil du cyclone. La controverse qui a frappé l’Union européenne en octobre 2004 à propos de la proposition de nomination à la Commission européenne de Rocco Buttiglione, un conservateur catholique italien, illustre bien certains enjeux actuels. Nullement perturbé par la fureur qu’il provoquait, le candidat au poste de Commissaire à la justice, à la liberté et à la sécurité—qui, à cette fonction, aurait été chargé de lutter contre la discrimination—, a affirmé devant un parterre de parlementaires européens médusés que “l’homosexualité est un péché” et que “la famille existe pour permettre aux femmes d’avoir des enfants et d’être protégées par leurs maris.” Bien qu’il ait insisté sur le fait qu’il défendrait toutefois l’idée d’égalité entre tous les citoyens, il a été invité à retirer sa candidature par le président élu de la Commission.

En novembre 2004, le meurtre, inspiré par des motifs religieux, de Theo Van Gogh, un journaliste et cinéaste néerlandais bien connu qui, deux mois plus tôt, avait sorti un film controversé sur la violence faite aux femmes dans les sociétés islamiques, a déclenché un cycle infâme de violence, conduisant à des incendies volontaires de mosquées et d’églises chrétiennes. Ces événements traumatisants dans un pays qui se targue d’être tolérant ont placé le problème de la religion, et en particulier de l’islam, au centre d’une controverse publique. Alors que de nombreux Néerlandais de toutes confessions et communautés confondues manifestaient contre les attaques vengeresses et la discrimination, un haut responsable a réagi en proposant de remettre en vigueur, au nom de la coexistence, une loi de 1932 sur le blasphème.

Le défi

“Cinquante ans après sa proclamation,” écrit Michael Ignatieff, “la Déclaration universelle des droits de l’homme est devenue le texte sacré de ce qu’Elie Wiesel a qualifié de ‘religion laïque mondiale.’”2. Le développement du mouvement des droits humains lui a donné suffisamment d’assurance pour s’attaquer à des sujets controversés et étendre la promesse de la Déclaration universelle des droits de l’homme (DUDH) à des domaines jusque-là négligés.

Dans bon nombre de sociétés, cette “nouvelle frontière,” se heurte toutefois au “retour du religieux”, à ce que le politologue Gilles Kepel a appelé la “Revanche de Dieu”3 et qui se caractérise par la réaffirmation de formes de croyances plus dogmatiques ou conservatrices au sein même et à l’extérieur des confessions religieuses dominantes.

Pour la communauté des droits humains, il serait inapproprié de plaider pour ou contre un système particulier de croyance ou d’idéologie religieuse et elle aurait tort de juger ou d’interpréter les principes d’une religion ou d’une foi déterminée, mais ce serait également une erreur de sa part de fermer les yeux sur les atteintes aux droits de l’homme ou les appels à la discrimination faits au nom d’une loi ou d’un principe religieux.

Définir les rapports à entretenir avec les communautés religieuses est ainsi devenu l’un des principaux défis du mouvement des droits humains. Pour paraphraser Ignatieff, les droits humains ne peuvent réellement exister au niveau mondial s’ils ne sont pas d’abord ancrés au niveau local, s’ils ne s’insinuent pas dans les philosophies et croyances plurielles qui se heurtent parfois, ou semblent résister, à leur appel aux normes universelles. Si les normes internationales des droits humains revendiquent une universalité, leur pertinence doit être démontrée dans tous les contextes, en particulier là où la religion détermine le comportement de l’Etat.

Le présent essai démontre que le mouvement des droits humains doit être en mesure de fournir des réponses plus claires aux questions ardues soulevées par les revendications des croyants et des organisations religieuses qui cherchent à exercer une influence politique directe.

D’une part, les militants des droits humains devraient défendre plus vigoureusement la liberté religieuse et les droits des croyants tant dans les sociétés laïques que religieuses ; d’autre part, ils devraient immédiatement s’opposer aux pressions émanant de groupes religieux qui cherchent à diluer ou à supprimer les droits garantis—aux femmes, aux minorités sexuelles, aux athées, aux dissidents religieux, etc.—que ces groupes considèrent incompatibles avec les enseignements religieux fondamentaux et les croyances profondes. Les associations de défense des droits humains devraient s’opposer aux efforts faits, au nom de la religion, pour imposer un point de vue moral à d’autres lorsque ces derniers ne font pas de tort à des tiers et que l’ “offense” n’existe que dans l’esprit de la personne qui a le sentiment que l’autre agit de façon immorale.4

Un phénomène global

Les questions portant sur le type de relations que le mouvement des droits humains devrait entretenir avec les communautés religieuses sont particulièrement difficiles car elles surgissent dans un contexte fortement explosif, marqué par la montée du “fondamentalisme,” de l’extrémisme religieux, par la fusion entre religion et identité ethnique dans de nombreux conflits armés,5 par l’impact partout dans le monde du terrorisme mené au nom de Dieu et par les réponses qu’il suscite.

Le flux d’informations qui circulent dans le village global a donné à ces phénomènes une visibilité et une puissance. Les attaques contre les chrétiens au Pakistan ou contre les musulmans en Inde, les nouveaux incidents antisémites en Europe occidentale et les crimes de haine contre des musulmans aux Etats-Unis ou en Europe acquièrent immédiatement une dimension internationale. Les ondes de choc provoquées par la polémique sur le “foulard” en France—manifestations de rue dans les pays arabes, désaveu diplomatique et même viles pressions exercées lors de l’enlèvement de deux journalistes français en Irak6—soulignent de façon éclatante à quel point les questions religieuses affectent les sensibilités dans le village global.

La religion joue effectivement un rôle envahissant et souvent prépondérant sur l’échiquier mondial. Les problèmes à caractère religieux touchent fréquemment à la sécurité internationale et aux droits humains. La liberté religieuse et le sort des minorités religieuses tendent à occuper une place de plus en plus importante dans la diplomatie internationale, tendance qui n’est pas sans rappeler la déclaration faite en 1649 par le Roi Louis XIV qui proclamait la protection par la France de la communauté maronite du Liban, ou encore les “interventions humanitaires” des puissances européennes contre l’Empire ottoman au 19e siècle pour “protéger les chrétiens persécutés.”

En 1998, sous la pression de groupes chrétiens et de représentants d’un certain nombre d’autres confessions, le Congrès américain a promulgué la Loi sur la liberté religieuse dans le monde. Cette loi a créé au sein du Département d’Etat un Bureau de la liberté religieuse dans le monde et une Commission indépendante, bipartite sur la liberté religieuse dans le monde et elle les a chargés de surveiller et de faire rapport sur l’incidence des persécutions religieuses partout sur la planète. Sur base du rapport annuel de ces organes, le président des Etats-Unis peut prendre des sanctions diplomatiques et économiques contre des “pays particulièrement préoccupants,” faisant d’un droit particulier—la liberté de religion—la seule norme prise en compte dans les relations extérieures.

L’équation religion/droits humains et son rôle dans la politique mondiale sont d’autant plus complexes qu’il existe de sérieuses différences entre les démocraties à propos de la place de la religion dans la vie publique. Le fossé entre une “Europe post-religieuse” et les Etats-Unis est particulièrement significatif et il a des conséquences sur les priorités et approches du mouvement international des droits humains. Une enquête menée en 2002 par le Pew Forum on Religion and Public Life concluait que, parmi les nations riches, les Etats-Unis étaient les seuls à accorder une place aussi grande à la religion. Cinquante-neuf pour cent des Américains interrogés déclaraient que la religion jouait un rôle important dans leur vie, contre 30 pour cent au Canada, 33 pour cent en Grande-Bretagne, 21 pour cent en Allemagne et 11 pour cent en France.7

Les différences s’étendent à la définition même de la religion. En France, en Belgique, en Allemagne et en Argentine, par exemple, certains groupes religieux considérés comme des confessions religieuses légitimes aux Etats-Unis ont été dénoncés comme étant des “sectes” ou des “cultes psychologiques,” des menaces aux fondements de la liberté démocratique et, par conséquent, ils ont fait l’objet de ce que ces groupes estiment être de la discrimination ou du harcèlement injustifiés. De telles différences, soulevées principalement dans le cadre des réunions de l’OSCE (Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe), sont abordées avec un malaise certain par les diverses composantes du mouvement international des droits humains.

Eléments d’histoire

Dans les milieux laïques, certains laisseraient entendre que l’histoire nous renvoie au point de départ. Selon eux, le mouvement des droits humains est le produit des Lumières et en tant que tel, il s’inscrit dans un effort déterminé visant à réduire le pouvoir de la religion sur l’Etat et la société. Aujourd’hui pourtant, ce sont les mouvements religieux renaissants qui remettent en question la place des droits de l’homme.

Dans certains pays, tout spécialement en France, l’histoire du mouvement des droits humains est intimement liée à la laïcité, au recul de l’Eglise catholique et à la séparation de l’Eglise et de l’Etat. L’Affaire Dreyfus à la fin du 19e siècle a symbolisé ce conflit et a coïncidé avec la fondation de la Ligue des Droits de l’Homme (LDH). La controverse à propos du rôle de l’Eglise officielle dans le soutien apporté au Pétainisme8 lors de la Deuxième Guerre Mondiale a approfondi cette suspicion mutuelle. En Espagne, le mariage idéologique entre l’Eglise catholique et la dictature de Franco a généralement engendré, jusqu’au début des années soixante, un abîme entre l’opposition démocratique et le catholicisme.

Néanmoins, l’histoire nous montre aussi autre chose. Dans d’autres pays, la religion a été le moteur de campagnes pour les droits humains. Le rôle joué par les Eglises protestantes anglicane et américaine dans les campagnes contre l’esclavage, dans le mouvement de réforme au Congo9 et dans les actions de solidarité en faveur des victimes arméniennes dans les dernières années de l’Empire ottoman fait partie des meilleurs chapitres de l’histoire du mouvement des droits humains.10 La “doctrine sociale” de l’Eglise catholique à la fin du 19e siècle a également créé un contexte qui a permis aux chrétiens engagés de réclamer activement la justice sociale et a contribué au développement de mutuelles et de syndicats forts qui ont combattu pour les droits sociaux et économiques.

En Asie méridionale, c’est l’hindouisme qui a inspiré la longue marche du Mahatma Gandhi pour la libération de l’Inde. Depuis l’occupation du Tibet par la Chine en 1949-51, une figure religieuse—le Dalai Lama—n’a cessé de guider le combat des Tibétains pour la liberté, revendiquant un Tibet démocratique, autonome, “en association avec” la Chine.

Dans les années 50 et 60, le mouvement des droits humains s’est développé en partie grâce à la participation de personnes et de groupes religieux influents. Bien que l’Eglise ait opté pour une approche prudente, des journalistes, militants et intellectuels catholiques (à commencer par l’écrivain catholique par excellence François Mauriac) ont joué un rôle prophétique dans la lutte contre la torture et les “disparitions” perpétrées par l’armée française dans la guerre d’indépendance algérienne, se disant convaincus de combattre ce qu’ils considéraient comme des attaques brutales contre la dignité humaine.

Le mouvement des droits civiques aux Etats-Unis a été profondément inspiré par des personnalités religieuses, notamment Martin Luther King Junior qui apparaît comme l’une de ses incarnations, et il a bien souvent reçu le soutien des religions chrétienne et juive dominantes.

Après le coup d’Etat militaire de 1964 au Brésil, une partie importante de l’Eglise catholique, regroupée autour de l’Evêque Dom Helder Camara et inspirée par les enseignements du Concile Vatican II (1962-1965) et des principales religions protestantes, s’est comportée en défenseur acharné des droits humains. Les coups d’Etat politiques en Bolivie, au Chili et en Uruguay dans les années 70 et les guerres civiles en Amérique centrale dans les années 80 ont souvent placé l’Eglise officielle, ou tout au moins certaines de ses voix les plus puissantes, dans le camp du mouvement des droits de l’homme. Le Servicio Paz y Justicia, fondé en 1974 en Argentine par Adolfo Perez Esquivel, lauréat du Prix Nobel de la Paix en 1980, la Vicaria de Solidaridad au Chili et la Tutela Legal au Salvador ont été des fers de lance du combat en faveur des droits humains.

La dernière homélie de l’Archevêque de San Salvador, Oscar Arnulfo Romero, en mars 1980, dans laquelle il implorait de tout son cœur l’armée et la Garde nationale de “désobéir à une loi immorale”—“Frères, vous venez vous-mêmes du peuple. Vous assassinez vos propres frères paysans alors que tout ordre de tuer donné par l’homme doit être subordonné à la loi de Dieu qui dit ‘Tu ne tueras point”—reste l’un des témoignages les plus forts de la lutte pour les droits humains en Amérique latine.

Aux Philippines dans les années 80, l’Eglise catholique a été l’un des principaux acteurs du renversement de la dictature de Marcos. En Europe de l’est, surtout en Pologne avec sa puissante Eglise catholique et en Allemagne de l’est avec le soutien apporté par l’Eglise luthérienne aux pacifistes indépendants et aux dissidents, les organisations religieuses ont rejoint le combat contre l’autoritarisme et la répression étatiques. Dans les années 70, suite à la ratification des Accords d’Helsinki,11 les organisations et particuliers juifs, tout particulièrement, ont joué un rôle décisif en Europe de l’est et en URSS dans la défense des dissidents et des libertés fondamentales d’expression, de pensée et de mouvement.12

Dans les années 80 et 90, en Afrique du Sud, des juifs, des chrétiens et des musulmans ont combattu l’apartheid en s’alliant à des organisations laïques, parfois même inspirées du marxisme, telles que le parti communiste sud-africain et le Congrès national africain.

Durant toutes ces décennies de lutte où il s’agissait de “dire la vérité au pouvoir,” le mouvement international des droits humains a été largement inspiré par des personnalités religieuses telles que Joe Eldridge, de l’Eglise méthodiste, directeur du Bureau de Washington sur l’Amérique latine (WOLA) : “Mon père disait toujours que nous étions des enfants de Dieu,”a-t-il confié. “C’est la perspective religieuse qui est la source principale de ma motivation. Ayant reçu la vie, je crois que nous sommes appelés à faire des choses qui édifient la vie.”13

Convergence

Dans les années 70 et 80, les groupes religieux et des droits humains partageaient de nombreux objectifs, reflétant une conviction commune de l’universalité du message des droits de l’homme et de son fondement dans les traditions de la plupart des religions, philosophies et civilisations. Le traditionalisme basé sur la religion semblait décliner et le “culturalisme,” vision réductrice des cultures en tant que référents identitaires exclusivistes,14 n’était pas autorisé à tyranniser les droits humains.

Les conférences parrainées par l’UNESCO au début des années 90 sur le thème du dialogue interreligieux15 et, dans une large mesure, la Conférence mondiale sur les droits de l’homme organisée en 1993 à Vienne sous l’égide de l’ONU—et sa reconnaissance du caractère universel des droits humains—ont été des moments clés de cette convergence entre mouvement des droits humains et communautés religieuses dominantes. Au sein du mouvement laïque des droits humains, la plupart étaient d’accord pour dire qu’il y avait effectivement un engagement envers les droits humains basé sur la foi.

Cette convergence a également été facilitée par les priorités imposées au mouvement des droits humains en raison de la répression brutale mise en place par certains gouvernements. En Amérique latine surtout, les droits civils et politiques étaient une question urgente de vie ou de mort tandis que les problèmes plus susceptibles de séparer les communautés religieuses et celle des droits humains étaient mises à l’écart : la plupart ont opté pour une “coexistence des différences” sur des sujets explosifs tels que la sexualité ou l’avortement. Au Mexique par exemple, l’Evêque de l’Etat du Chiapas, Mgr. Samuel Ruiz, rejoignait les militants laïques des droits humains sur des questions liées aux droits civils et politiques, voire même sur des problèmes de justice sociale impliquant les droits à la santé et au logement, tout en restant sur ses positions plus traditionalistes à propos de la sexualité et des droits reproductifs.

Le ciel se couvre

Quelques nuages, cependant, menaçaient déjà l’euphorie régnant dans le ciel des droits humains. Bien sûr, il y avait toujours eu une certaine tension sous-jacente. Comme l’explique le spécialiste des droits de l’homme Louis Henkin : “Le monde de la religion et le monde des droits humains n’ont pas toujours coexisté aisément. La religion, et certaines religions en particulier, s’inquiètent de voir que les droits humains représentent une idéologie autonome, pas nécessairement ancrée dans la religion. L’idéologie des droits humains, par contre, résiste aux revendications de certaines religions d’ignorer les revendications d’autres religions. Plusieurs religions invoquent le dogme religieux pour justifier les distinctions fondées sur la religion, le sexe ou l’orientation sexuelle, distinctions qui peuvent être contraires à l’idée de droits humains.”16

Par ailleurs, tout au long des “décennies des droits de l’homme,” les Eglises n’ont pas toujours été unanimes dans leur engagement envers les droits humains et il a toujours existé des factions qui ont combattu ou entravé le développement du mouvement des droits humains, ont pris le parti des régimes militaires ou autoritaires, ou encore se sont faites complices d’atteintes aux droits humains. La plupart de ces factions étaient politiquement et idéologiquement conservatrices et dogmatiquement doctrinaires. Elles s’en tenaient à une interprétation des doctrines religieuses, surtout dans les domaines de la moralité individuelle et des mœurs sociales, qui était contraire à la trajectoire du mouvement des droits humains. Elles étaient considérées comme des adversaires par tous les membres—laïques et religieux—de ce mouvement.

Le terrorisme au nom de l’islam, l’appui de l’Eglise réformée des Pays-Bas au régime d’apartheid en Afrique du Sud, la passivité de la hiérarchie catholique argentine ou son soutien tacite aux régimes militaires brutaux des années 70, l’assassinat de Yitzhak Rabin par un extrémiste religieux juif et le soutien apporté par certaines églises évangélistes de droite aux dirigeants des régimes latino-américains les plus brutaux—comme celui d’Efrain Rios Montt, un pasteur ordonné par l’Eglise évangélique du Verbe—sont autant d’exemples frappants de l’usage, ou du mauvais usage, de la religion pour justifier de flagrantes violations des droits humains.

Le “retour en force” de la religion

Dans les années 60, alors que la laïcité était considérée par beaucoup comme inévitable, comme faisant partie de la marche inéluctable du progrès, et que les communautés religieuses organisées paraissaient être restées sur la touche en tant que forces politiques, surtout dans le monde occidental, l’écrivain français et ministre de la culture André Malraux remettait en question cette orthodoxie, déclarant en guise d’oracle : “le 21e siècle sera religieux ou ne sera pas”.

La prédiction de Malraux semble s’être confirmée dans la plupart des régions du monde aujourd’hui : à l’exception de l’Europe occidentale, la religion a effectué un remarquable come-back. “La résurgence du discours religieux,” écrit Sara Maitland, “semble nous avoir pris au dépourvu, nous laissant déconcertés, irrités, sans rien y comprendre. Pendant plus de 250 ans, la pensée démocratique occidentale a préconisé la sécularisation du domaine public et de l’arène politique et elle s’est même battue pour elle… Dès la seconde moitié du siècle dernier, on aurait pu croire, effectivement, que la bataille était gagnée… Au lieu de cela, je constate une hésitation, une perte de foi dans tout le projet des Lumières.”17

Alors que certains ont accueilli favorablement cette évolution en y voyant un contrepoids nécessaire aux excès du matérialisme et de l’individualisme, d’autres ont mis en garde contre le fait que ce renouveau religieux allait corrompre les valeurs universelles, engendrer des sentiments particularistes semeurs de discorde et avoir des retentissements plus importants encore. Bref, beaucoup ont réagi de la même façon que face à la thèse controversée de Samuel Huntington sur le pouvoir inébranlable des grandes civilisations du monde et sur l’inévitable “clash” entre ces dernières.

Les raisons de ce come-back religieux sont multiples. Il exprime à la fois un renouveau des quêtes individuelles de sens dans un monde laïcisé, matérialiste, et une recherche plus collective d’identité dans un monde engagé dans les incertitudes et les insécurités de la mondialisation et de la diversité.

Dans certains cas, la résurgence de la religion reflète également en partie l’incapacité des Etats, tout spécialement dans les pays en développement, à accorder et garantir des droits humains fondamentaux à la majorité de leur population. Comme l’a expliqué le politologue Vali Nasr : “Il existe une corrélation directe entre l’étendue et la nature du militantisme religieux et le déclin de l’Etat laïque en tant que système politique fonctionnel et en tant que construction intellectuelle… Dans la Turquie kémaliste, dans l’Iran pahlaviste…, la laïcité n’a jamais imprégné la société en profondeur… et étant donné le peu de résultats à faire valoir en matière de véritable développement, les valeurs qui soutenaient ces Etats ont été la cible d’attaques. ”18

L’influence politique croissante des communautés religieuses est aussi liée à la “théologisation” du pouvoir de l’Etat. Dans certains pays, les élites gouvernantes recourent à des interprétations religieuses déterminées pour consolider leur pouvoir et maintenir le statu quo social et politique. L’Arabie saoudite et l’Iran en sont de parfaites illustrations.

Lorsque la religion se confond avec l’Etat, les droits humains souffrent. Asma Jahangir écrit qu’au Pakistan, “l’institutionnalisation judiciaire de l’islam a sérieusement ébranlé les droits des femmes et des minorités religieuses, et les détracteurs des lois discriminatoires sont étiquetés d’anti-islamiques ou de traîtres… . Le credo de l’islamisation nationale est utilisé comme bâton pour matraquer tous les mouvements d’émancipation et de défense des droits humains.”19

En Ouzbékistan, le gouvernement s’est arrogé le monopole de l’interprétation de l’islam et il emprisonne ceux qui s’écartent de sa version, accusant ces musulmans “indépendants” de tenter d’ébranler ou de renverser l’ordre constitutionnel. Bien qu’il ait prétexté que ces personnes étaient complices de terrorisme, dans la vaste majorité des cas, les suspects n’ont pas été inculpés de terrorisme ni d’aucune autre forme de violence.20

En Egypte, le gouvernement—citant les préceptes contraires de la Loi islamique—a émis des réserves concernant la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDAW) et le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), se dérobant à son obligation de protéger les droits des femmes.21

Au Nigeria depuis 2000, les gouvernements de douze états du nord ont inclus le droit pénal dans les compétences des tribunaux appliquant la charia (loi islamique),22 soulevant un certain nombre de préoccupations sérieuses en matière de droits et alimentant la polémique dans un pays où les divisions religieuses sont profondes et où la constitution fédérale stipule qu’il n’y a pas de religion d’Etat. La charia est en vigueur depuis de nombreuses années dans le nord, où la majorité de la population est musulmane, mais jusqu’à 2000, son champ d’action était limité au statut personnel et au droit civil. Les préoccupations en matière de droits humains soulevées par l’application de la loi religieuse dans ces contextes ont été exacerbées par le recours à la charia dans les affaires relevant du droit pénal.

Les recherches effectuées par Human Rights Watch confirment qu’au Nigeria, la charia est utilisée à des fins politiques et que cette politisation de la religion a conduit à des violations des droits humains.23 L’application de la charia dans des dossiers criminels dans ces douze états a abouti à des amputations, des flagellations, des condamnations à mort, de la discrimination envers les femmes et des atteintes systématiques au droit à un procès équitable. Depuis 2000, au moins dix personnes ont été condamnées à mort ; des dizaines ont été condamnées à l’amputation ; et les flagellations sont fréquentes dans bon nombre d’endroits au nord. Ces problèmes ont soulevé l’attention de toute la communauté internationale en raison des cas fortement médiatisés de deux femmes, Safiya Hussaini et Amina Lawal, qui avaient été condamnées par des tribunaux appliquant la charia à être lapidées pour avoir prétendument commis un adultère. Bien que les peines de mort aient finalement été annulées, ces cas mettent en lumière la façon dont la charia peut être utilisée pour justifier de flagrantes violations des droits humains.

La liberté d’expression menacée

Les autorités religieuses essaient depuis longtemps de “discipliner” la liberté d’expression lorsqu’elle contrarie les doctrines ou dogmes religieux. Le cas de Salman Rushdie en est un exemple idéal. Le 14 février 1989, suite à la publication en 1988 du livre de Rushdie Les Versets Sataniques, le leader politique et spirituel d’Iran, l’Ayatollah Khomeini, a émis un décret religieux appelant “tous les fidèles musulmans à exécuter l’auteur du livre ainsi que ses éditeurs qui étaient conscients de son contenu, afin que nul n’ose jamais plus insulter l’islam.” Ce cas illustre la difficulté qu’ont certaines communautés religieuses à concilier leurs croyances profondes et le droit à la liberté d’expression, lequel “s’applique non seulement aux ‘informations’ ou ‘idées’ qui sont accueillies favorablement, sont considérées inoffensives ou laissent indifférentes, mais également à celles qui offensent, choquent ou dérangent l’Etat ou tout secteur de la population.”24

Bien que l’appel au meurtre ait été rejeté par beaucoup des principaux leaders religieux islamiques qui l’ont condamné en disant qu’il violait la doctrine islamique du pardon, la plupart d’entre eux n’ont pas défendu le droit de Rushdie à la liberté d’expression et ont demandé d’interdire le livre. D’autres, bien sûr, ont appuyé la fatwa.

Le cas Rushdie a montré les répercussions d’une accusation de blasphème au sein de l’islam. Les réactions des leaders d’autres religions n’ont toutefois guère été exemplaires. Bien qu’ils aient vigoureusement condamné l’appel au meurtre, beaucoup ont exprimé une certaine sympathie pour l’indignation du monde musulman, formant ce que le philosophe français Alain Finkielkraut a appelé “la Sainte Alliance des Clergés.”25

Le conflit entre la liberté d’expression et la religion n’est en fait pas limitée à l’islam. Deux ans avant le cas Rushdie, avec beaucoup moins de publicité, un tribunal autrichien statuant sur une plainte déposée par le diocèse catholique d’Innsbruck avait interdit à l’Otto Preminger Institut de projeter le film Le Concile de l’Amour, tiré d’une pièce de théâtre controversée (et apparemment fortement anti-catholique) d’Oskar Panizza. Les juges se sont référés à l’article 108 du Code pénal autrichien interdisant le “dénigrement religieux.” En 1994, à la grande consternation des défenseurs de la liberté d’expression, le jugement a été confirmé par la Cour européenne des droits de l’homme, s’appuyant sur une disposition de la Convention européenne sur les “droits des autres.” En réalité, la CEDH tend à faire preuve de plus d’égards envers l’ingérence de l’Etat dans la liberté d’expression lorsque le contenu est religieux ou moral que lorsqu’il est politique ou autre.

L’Eglise catholique a exprimé sa ferme hostilité à l’égard d’autres livres, pièces de théâtre et films qu’elle qualifie de “diffamation collective.” En septembre 2004, le roman best-seller de Dan Brown “Da Vinci Code” a été interdit au Liban suite aux plaintes des responsables catholiques qui y voyaient une “offensive contre le christianisme.” “Il contient des paragraphes qui s’attaquent aux racines mêmes de la religion chrétienne, a déclaré le président du Centre d’information catholique du Liban. Ils disent que Jésus-Christ a eu des relations sexuelles avec Marie Madeleine… Le christianisme ne va pas jusqu’à pardonner les insultes faites à Jésus-Christ.”26

Le politiquement correct au nom de la protection des sensibilités religieuses peut avoir un effet tout aussi gênant sur la liberté d’expression. En réaction à l’assassinat du cinéaste Theo van Gogh par un citoyen néerlandais musulman d’origine marocaine, le ministre néerlandais de la justice, Piet Hein Donner, a proposé de remettre en vigueur une loi de 1932 interdisant le “blasphème méprisant.” Dans un discours au parlement qui a, paraît-il, “horrifié l’intelligentsia libre-penseuse des Pays-Bas,”27 le ministre a déclaré que la loi était nécessaire pour enrayer les “remarques haineuses” qui déstabilisaient le pays. Comme l’a écrit dans un autre contexte le professeur Guy Haarscher de l’Université Libre de Bruxelles, “Au lieu de protéger le droit des individus de souscrire à différentes conceptions du Bien, une société [qui prescrit le politiquement correct] court le risque de dépendre de plus en plus de groupes organisés capables d’imposer l’hypocrisie et la domination de la ‘pensée’ la plus conventionnelle.”28

“Les guerres de religion”

La religion a fait partie intégrante des conflits sanglants qui ont embrasé des dizaines de pays au cours des quinze dernières années. En Irlande, à Chypre, dans les Balkans, au Rwanda, en Birmanie, au Sri Lanka, au Nigeria, au Soudan, en Israël/Palestine, aux Philippines (Mindanao) et en Indonésie, des individus agissant au nom de la religion ont joué un rôle important dans la cristallisation de la haine et de la violence à l’égard de certains groupes.29

Human Rights Watch souligne que dans des conflits de ce genre, la religion doit en réalité être considérée davantage comme un outil utilisé par ceux qui sont en quête de pouvoir que comme une “cause profonde”30 et les analystes ont mis en évidence le fait que “bien que la religion soit toujours perçue comme un facteur de complication dans les différends, elle dispose également d’outils pouvant se révéler nécessaires pour briser le cycle du conflit.”31 D’autres prétendent, au contraire, que dans certaines confrontations particulièrement insolubles, “c’est le facteur religieux, et non le conflit d’intérêts, qui empêche d’arriver à un règlement du problème,” entraînant la poursuite du cycle de la violence et des atteintes aux droits humains.

La religion a également été emportée par le tourbillon du terrorisme dans le contexte tant national qu’international, que ce soit dans le cadre d’attaques contre les cliniques pratiquant des avortements aux Etats-Unis ou dans celui des attentats suicides justifiés par la religion en Israël.32 Surtout depuis le 11 septembre, ferveur politique “fondamentaliste” et terreur semblent aller de pair partout sur la planète et elles évoquent immédiatement des images d’attentats suicides, de prises d’otages et de décapitations.

Même si ces moyens violents ou extrêmes d’expression des convictions religieuses ne créent pas en soi de dilemmes particuliers—les groupes religieux dominants unissent généralement leurs voix à celles des groupements de défense des droits pour dénoncer les attaques contre les civils et les qualifier de crimes contre l’humanité—, ils peuvent exacerber les tensions entre ces groupes, comme ce fut le cas lors du débat sur l’avortement aux Etats-Unis, suite aux attentats suicides en Israël et entre certains groupes de défense des droits et diverses organisations islamiques après le 11 septembre.

Les tensions actuelles

Nombreux sont les thèmes communs que les associations laïques de défense des droits humains et les groupes religieux continuent de défendre ensemble. En Europe occidentale et aux Etats-Unis, la défense acharnée des droits des demandeurs d’asile et des réfugiés économiques par les Eglises traditionnelles ainsi que leur plaidoyer en faveur d’une justice internationale continuent d’offrir de larges espaces de coopération. Dans l’hémisphère sud, par les actions qu’elles mènent pour compléter le travail des ONG laïques, beaucoup d’organisations religieuses sont montées au créneau pour promouvoir les droits économiques et sociaux en fournissant des services sociaux aux pauvres afin de pallier les réductions budgétaires des gouvernements locaux et l’insuffisance de l’aide internationale au développement.

Cependant, sur d’autres questions à la croisée du dogme religieux et de l’idéologie des droits humains, de la conviction morale personnelle et de la santé publique, les points de divergence se multiplient. L’attention donnée par le mouvement laïque des droits humains aux questions liées à la liberté d’expression, au genre, à la sexualité et à l’orientation sexuelle—depuis toujours inhérentes à l’idéal des droits de l’homme mais d’une importance croissante aujourd’hui—est de plus en plus incompatible avec les positions prises par bon nombre de groupes religieux. Les organisations humanitaires religieuses et les groupes laïques de défense des droits humains peuvent toutefois être sur la même longueur d’onde lorsqu’ils dénoncent le nettoyage ethnique au Darfour et manifestent ensemble devant les ambassades du Soudan.

La question des droits reproductifs des femmes est un bon exemple. Georgina Ashworth a résumé le problème en ces termes : “Les fondamentalistes religieux, que ce soit aux Etats-Unis ou dans le monde islamique ou hindou, représentent actuellement d’énormes forces politiques opposées à ce que les femmes jouissent de leurs droits humains, en particulier leurs droits reproductifs. Non seulement ils persécutent et bannissent les partisans de la tolérance mais ils menacent également les moyens d’existence, voire la sécurité de quiconque a le courage de défendre l’autodétermination des femmes.”33

L’usage du préservatif pour prévenir le VIH/SIDA est un autre exemple. Aux Philippines, l’Eglise catholique qui, comme nous l’avons écrit plus haut, a joué un rôle important dans l’éviction de Marcos, se montre de plus en plus hostile au mouvement des droits humains qui prône l’éducation sexuelle et la distribution de préservatifs dans le cadre des campagnes de prévention du SIDA. Le gouvernement philippin relaie les positions de l’Eglise en empêchant activement la mise en œuvre de mesures qui préviendraient cette maladie mortelle, notamment en rendant difficile l’accès aux préservatifs et aux informations à caractère scientifique sur le VIH/SIDA. L’administration Bush, en raison des opinions exprimées par des congrégations religieuses conservatrices basées aux Etats-Unis, a suspendu le financement des dons de préservatifs ou autres moyens de contraception dans le pays, préférant des programmes qui mettent plutôt l’accent sur l’abstinence et la fidélité conjugale.

Ces politiques sont incompatibles avec les normes internationales relatives aux droits humains. Le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC), ratifié par les Philippines, oblige les Etats parties à prendre les mesures “nécessaires pour assurer… la prophylaxie et le traitement des maladies épidémiques…, ainsi que la lutte contre ces maladies,” notamment le VIH/SIDA, ce qui devrait englober l’accès aux préservatifs et à des informations complètes à propos du VIH/SIDA. Le PIDCP garantit le droit à l’information et tous les principaux traités sur les droits de l’homme reconnaissent le droit à la vie, lequel est compromis par les politiques qui interfèrent avec l’accès aux technologies qui préservent la vie.34

Par ailleurs, les tensions croissantes entre communautés religieuses et associations de droits ont parfois amené les différents responsables religieux à mettre une sourdine à leurs antagonismes et rivalités pour défendre des approches communes de ce qu’ils considèrent être des principes de foi partagés. La coalition entre le Saint-Siège et la Conférence internationale islamique, par exemple, était évidente lors des conférences de l’ONU sur les problèmes de population35 et les droits des femmes.36 Cette nouvelle importance accordée aux questions dites “éthiques” a parfois créé une convergence déplacée entre des représentants de certaines religions dominantes, des Etats coupables de graves violations des droits humains, tels que l’Arabie saoudite, l’Iran ou le Soudan, et dans bien des cas, l’administration Bush.

Travailler avec les “fondamentalistes” ?

Alors que le mouvement en faveur des droits humains a l’obligation de s’opposer aux efforts visant à utiliser la religion pour justifier des lois et politiques publiques qui contreviennent aux normes relatives aux droits, il est tout aussi essentiel pour lui de reconnaître que le fondamentalisme religieux ne se heurte pas toujours aux normes laïques en matière de droits humains. Bon nombre de mouvements fondamentalistes, par exemple, sont très actifs pour aider les gens à avoir accès à la nourriture, au logement, aux soins de santé et autres services sociaux. “Ce type d’engagement place beaucoup de mouvements religieux radicaux dans une position ambiguë mais positive du point de vue des droits sociaux et économiques.”37 En ce qui concerne les questions de politique étrangère, même si leur indignation est souvent sélective, les chrétiens évangélistes apportent fréquemment un soutien actif aux victimes de conflits, notamment au Sud-Soudan et au Darfour.

Ces exemples mettent le mouvement des droits humains au défi de définir des politiques et stratégies sur la façon d’associer les groupes qui participent parfois aux mêmes campagnes et qui, à d’autres moments, sont vigoureusement hostiles aux principes des droits humains, en fonction du problème ou du contexte.

Dans de larges secteurs du mouvement laïque libéral, la division est claire : d’une part, il y a ceux qui se font l’écho de la célèbre phrase du révolutionnaire français Danton, “Pas de liberté pour les ennemis de la liberté” et qui veulent restreindre les droits civils et politiques (notamment la liberté d’expression, d’association et de réunion) des membres de groupes religieux considérés comme une menace à l’ordre politique respectueux des droits ; d’autre part, il y a ceux qui, au nom de la liberté de religion et d’expression, ont choisi de défendre, à l’image de Voltaire, “le droit pour tout homme de professer, en paix, la religion qu’il choisit.” Bien que les associations de droits humains aient généralement pris parti pour la seconde position, certaines ont été tentées de faire une exception lorsqu’il s’agit de mouvements religieux vus comme étant intrinsèquement hostiles à l’ordre politique libéral.

Le terrorisme perpétré au nom de Dieu a exacerbé ces débats. Dans les années 90, lorsque les mouvements islamiques violents semblaient disposés à renverser les gouvernements laïques en Algérie ou en Egypte, et plus généralement après les attentats terroristes du 11 septembre 2001 aux Etats-Unis, du 12 octobre 2002 à Bali et du 11 mars 2004 en Espagne, l’engagement à protéger le droit de chacun, y compris des terroristes présumés, de ne pas être torturé ou de ne pas “disparaître” a fait l’objet de vives critiques, même dans les milieux habituellement associés à la communauté des droits humains.

Soudain, les associations de défense des droits humains qui préconisaient des normes cohérentes en matière de droits ont été accusées par certains groupes laïques, avec qui elles coopéraient dans le domaine de la liberté de la presse ou les questions de genre, d’ “être indulgentes” envers l’extrémisme religieux et de risquer de sacrifier d’autres droits en défendant les droits des terroristes présumés. Les groupes de droits humains doivent proclamer avec vigueur qu’il ne s’agit pas de choisir entre, d’une part, une approche du terrorisme où “tout est admis” et où les libertés civiles sont les premières victimes, et d’autre part, la création d’un archipel d’Etats islamiques fondamentalistes qui violent systématiquement les droits des femmes et autres droits fondamentaux. Le véritable défi est de trouver le moyen de préserver les droits élémentaires tout en s’efforçant de combattre le terrorisme afin de renforcer l’attirance pour les sociétés libérales, respectueuses des droits.

Les batailles autour du “foulard”

La loi adoptée en France en 2004 et interdisant les “signes religieux ostensibles” dans les écoles publiques, ainsi que l’interdiction du port du foulard par les professeurs et les étudiantes dans les universités publiques turques illustrent bon nombre des tensions décrites plus haut. Dans ces deux pays, la bataille autour du voile divise le mouvement des droits humains, surtout les défenseurs des droits des femmes. Comment défendre la liberté de croyance, l’autonomie de la femme et le droit à l’éducation sans promouvoir un agenda souvent politisé et la mise à mal de toute une gamme de droits par des groupes religieux ? Telle est la question délicate à laquelle doit répondre le mouvement des droits humains.

En France, le débat sur les “signes religieux ostensibles”—qui a surgi immédiatement après de vives polémiques concernant l’immigration, l’islamophobie, l’antisémitisme et le terrorisme—a polarisé l’opinion publique et ébranlé les alliances politiques traditionnelles. La polémique sur le foulard soulève la question cruciale de la place de l’islam dans la République française. Ceci non seulement parce que les communautés musulmanes de plus en plus nombreuses en France sont vues comme s’écartant du courant dominant sur des questions épineuses telles que la conversion religieuse, l’homosexualité ou le divorce, mais aussi parce que leur existence même semble remettre en question le principe longtemps accepté que la vie dans une démocratie occidentale sécularisera de plus en plus les adeptes de toutes les convictions.

L’intensité du débat traduisait toutefois beaucoup plus que de l’hostilité envers l’islam. Appuyé par beaucoup d’autres confessions et, fait très révélateur, par l’Eglise catholique, le foulard est considéré comme un défi direct aux principes fondateurs du modèle de République française né pendant la Révolution française et forgé au cours des batailles que se sont livrées sans merci l’Eglise et les laïcs au 19e siècle et qui ont abouti à la séparation stricte de l’Etat et de la religion, à la privatisation de la foi et à la “prééminence” proclamée “de la Raison.” La “question du foulard” a donc forcé les autorités françaises à affronter la nature même de la République, à reconsidérer le concept de laïcité et à réfléchir à son adéquation et pertinence dans une société de plus en plus multiculturelle.

Dans son évaluation de la loi peu après son adoption, Human Rights Watch a conclu qu’elle enfreignait le droit à la liberté de religion reconnu au niveau international mais notre organisation a identifié le besoin de concilier des préoccupations apparemment contradictoires.“Human Rights Watch reconnaît la légitimité des institutions publiques qui cherchent à ne pas promouvoir une religion, quelle qu’elle soit, par leur biais ou leurs déclarations, mais le gouvernement français a fait un pas de plus en donnant à entendre que l’Etat minait la laïcité s’il autorisait les étudiants à porter des symboles religieux.” Et nous concluons en ces termes : “Protéger le droit de tous les étudiants à la liberté religieuse ne signifie pas miner la laïcité dans les écoles. Au contraire, c’est une preuve de respect de la diversité religieuse, position pleinement cohérente avec le maintien de la séparation stricte entre les institutions publiques et tout message religieux déterminé.”

Le cas turc

Certaines leçons intéressantes peuvent être glanées de l’exemple moins médiatisé de la Turquie, sur une question dont la complexité devrait être dûment reconnue par le mouvement des droits humains.38. Dans ce pays, les femmes qui portent le foulard ne sont pas autorisées à s’inscrire comme étudiantes à l’université, à pénétrer sur les campus universitaires ni à entrer dans les salles d’examen. Celles qui sont vues portant le foulard en classe reçoivent un avertissement et, si elles persistent à le porter, elles sont suspendues ou renvoyées.

Dans des entretiens récents, de nombreuses femmes ont déclaré à Human Rights Watch qu’elles étaient désespérées de voir que leur espoir de faire carrière dans la médecine, les sciences, l’enseignement ou les arts s’était envolé à tout jamais. Des femmes ont également été arrêtées, humiliées, maltraitées et poursuivies en justice. Les autorités font valoir que le foulard est un étendard de l’islam politique violent qui menace l’ordre laïque de la Turquie et les droits et libertés d’autres femmes turques mais la plupart des femmes affectées par l’interdiction disent qu’elles portent le foulard en signe de piété religieuse islamique.

La législation de la Turquie moderne relative à l’habillement a commencé par un décret de 1923 sur la tenue vestimentaire, signé par Mustapha Kemal Atatürk, fondateur de la république. Ceux qui se considèrent comme les plus fidèles héritiers d’Atatürk cherchent à exclure les femmes de l’enseignement en raison de leur choix vestimentaire alors qu’Atatürk lui-même avait adopté une position flexible à propos du foulard. Dans la vie publique, il se faisait fréquemment photographier en compagnie de sa première épouse, qui se couvrait la tête. Il a écrit : “Le couvre-chef religieux des femmes ne posera pas de difficulté… Ce style simple [de couvre-chef] n’est pas en conflit avec la morale et les mœurs de notre société.”

Les étudiantes à qui l’accès à l’enseignement a été refusé n’ont pas été en mesure d’obtenir un recours devant les tribunaux turcs. Et la décision prise le 29 juin 2004 par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) dans l’affaire Leyla Sahin contre la Turquie n’a pas amélioré les choses, au contraire. Le jugement de la Cour reflète les mêmes craintes que celles exprimées par ceux qui soutiennent l’interdiction du foulard : que reconnaître les droits des musulmanes pieuses menace les droits des autres. Mais la société turque émerge peu à peu de cette philosophie désespérante du jeu à somme nulle, grâce à la tolérance quotidienne de la différence que l’on peut observer dans la rue, grâce à la solidarité exprimée lorsque des organisations de la société civile comptant une majorité de membres musulmans défendent les droits des non-musulmans (comme l’a fait Mazlum-Der) et lorsque des organisations majoritairement laïques défendent le droit de porter le foulard (comme l’a fait l’Association turque des droits de l’homme).

Divers groupements politiques exploitent la question du foulard afin de s’attirer le soutien de leurs électeurs respectifs, pieux ou laïques. Pinar Ilkkaracan, coordinatrice d’une organisation non gouvernementale locale oeuvrant pour les droits des femmes, déclarait à Human Rights Watch en 2003 qu’il s’agissait d’une question pouvant être facilement manipulée politiquement : “En tant que Femmes pour les Droits Humains des Femmes (FDHF), nous nous opposons à toute tentative visant à imposer des restrictions et des réglementations concernant le mode vestimentaire des femmes. Par conséquent, la FDHF a fait une série de déclarations condamnant l’interdiction [du foulard] dans les universités, laquelle viole le droit humain des étudiantes à l’éducation. Mais cette question est exploitée par les partis politiques des deux camps. … Les hommes au pouvoir ne devraient pas utiliser le corps des femmes comme champ de bataille—et c’est ce qui se passe dans bon nombre de régions du globe.”

Avoir des opinions tolérantes et libérales n’est pas une condition pour qu’une personne puisse jouir de ses droits fondamentaux et il est un fait qu’une grande partie de la résistance au foulard est inspirée par la peur de ce qui pourrait arriver si les rôles étaient inversés et si un régime totalement islamiste imposait ses règles. Un sentiment de suspicion assez répandu règne au sein de la population laïque turque, qui pense que les partis religieux ont pour schéma directeur d’éliminer la laïcité par la “tactique du salami,” le foulard représentant la première rondelle. Elle craint que la tolérance affichée sur cette question ne soit suivie d’une avalanche de revendications et cite le proverbe, “Si vous donnez le petit doigt au diable, il vous prendra vite la main entière.” L’appréhension ressentie par ceux qui voient dans le foulard la première tranche d’une longue et dangereuse série a été accentuée par une suite d’attentats menés par des extrémistes islamistes spécialement à l’encontre des personnes qui avaient critiqué le port du foulard dans les universités.

Les groupes de défense des droits humains qui travaillent sur la question du foulard doivent aborder ces menaces. Human Rights Watch l’a fait en 2004, appelant les autorités turques à reconnaître la longue et triste série de circonstances où l’Etat a failli à son rôle de protéger les femmes contre la violence et la discrimination fondées sur le genre, et à s’engager à mettre en œuvre des programmes pour combler les lacunes en la matière. Nous avons également recommandé que toute nouvelle législation sur l’enseignement supérieur comprenne des dispositions visant à rassurer ceux qui ont le sentiment que leurs droits sont menacés par un changement de politique à propos du foulard. Ces dispositions pourraient être des sauvegardes législatives ou réglementaires pour les droits des femmes qui choisissent de ne pas porter le foulard, ou des déclarations publiques vigoureuses cautionnant la liberté de la femme de choisir librement son mode vestimentaire. Mais le geste le plus important que le gouvernement pourrait faire serait de chercher activement à contacter les groupes de la société civile qui représentent les femmes et de recueillir leurs points de vue à travers une consultation aussi large que possible avant de modifier la loi sur le foulard.

Une consultation convaincante donnerait aux opposants du foulard l’occasion d’exprimer de fortes réserves et de proposer des sauvegardes ou des assurances que devrait fournir le gouvernement pour protéger la société contre l’érosion des libertés civiles—en particulier, les libertés civiles des femmes—qu’ils redoutent si l’interdiction du foulard venait à être levée. En écoutant les préoccupations des femmes représentant tous les différents points de vue, le gouvernement pourrait être en mesure de sortir de ce jeu pessimiste à somme nulle et d’avancer vers un pluralisme authentique qui permettrait aux femmes de choisir librement de porter ou non le foulard.

Combattre, convaincre ou “intégrer”

Le mouvement laïque des droits humains considère parfois les mouvements religieux conservateurs comme des reliques du passé et il se voit lui-même comme un courant contemporain, ayant plusieurs longueurs d’avance sur “la route infinie du progrès humain et de la modernité.” Certains laissent entendre qu’en se faisant l’écho des approches “culturalistes” qui prétendent établir une hiérarchie entre sociétés et philosophies, il court le risque de se considérer comme supérieur et antagonique à d’autres cultures et normes. Plutôt que de chercher à incorporer le projet des droits de l’homme dans différentes fois et cultures, d’essayer de légitimer les normes des droits humains dans les religions et non parallèlement aux religions ou contre elles, les militants des droits humains pourraient être tentés de rejeter ces fois et ces cultures en tant qu’obstacles à la modernité économique ou des droits humains.

Le mouvement “libéral” des droits humains est-il en fait implicitement impérialiste, luttant pour “remplacer les traditions religieuses par certaines traditions de la ‘nouvelle foi.’” ?39 “Les humanistes laïques, à l’instar des adeptes d’une religion,” met en garde le Professeur Diane Orentlicher, “doivent veiller à ce que leur dévotion pour la sainteté humaine ne les rende pas aveugles à leur capacité de faillir. Même un humanisme laïque est susceptible d’un manque de modération préjudiciable s’il n’est pas contrôlé par un examen critique de soi.”40

Cette “arrogance,” lorsqu’elle existe, peut refléter un désir d’éluder les complexités de certaines questions. Le problème du foulard est dans ce contexte une “sonnette d’alarme” pour le mouvement des droits humains confortablement installé, surtout en Europe continentale, dans la laïcité ; les différentes facettes de la polémique testent sa capacité à comprendre les processus sociétaux et les quêtes individuelles complexes. La décision d’une femme de (re)porter le voile n’est pas nécessairement synonyme de soumission. Si cette décision est basée sur l’assertion de son libre choix, elle peut être une expression de libération et d’affirmation de soi. Ignorer ou mépriser les cultures traditionnelles et les croyances religieuses peut paralyser les efforts les mieux intentionnés de promouvoir la réforme politique et le respect des droits humains fondamentaux.

De même, le mouvement des droits humains doit examiner pourquoi le fondamentalisme soulève des attentes dans autant de régions du globe. L’autoritarisme politique, la prostration économique, les inégalités sociales, l’aliénation culturelle et les conflits internationaux non résolus requièrent tous une action accrue tant en faveur des droits civils et politiques que des droits économiques, sociaux et culturels.

La voie du progrès

Comprendre et engager des contacts ne signifie pas faire marche arrière vers une attitude plus conventionnelle et consensuelle. Confrontée à une affirmation croissante de la religion dans la vie privée, au pouvoir politique accru des religions et à la montée du conservatisme religieux, la communauté des droits humains doit faire entendre un message clair et une voix distinctive. Pour paraphraser Edward Saïd, elle doit être “quelqu’un dont le rôle est de poser publiquement des questions embarrassantes, de défier l’orthodoxie et le dogme (plutôt que de les produire) et dont la raison d’être est de représenter toutes les personnes et toutes les questions qui sont régulièrement oubliées ou sur lesquelles on tire le rideau.”41

Il y a encore une place pour la convergence et les coalitions entre communautés religieuses et des droits humains. C’est déjà une réalité en ce qui concerne certaines libertés et droits fondamentaux : la plupart des groupes religieux et des associations laïques de défense des droits humains se sont unis pour combattre les crimes de haine et la discrimination à l’égard des musulmans suite aux attentats du 11 septembre et au début de la guerre contre le terrorisme qui s’est ensuivie. La plupart ont réaffirmé le devoir absolu de protéger les civils dans les conflits armés.

Ces alliances ne devraient pas être sacrifiées sommairement. En signe de reconnaissance de l’importance que revêt la conscience religieuse pour beaucoup de personnes, le mouvement des droits humains devrait en faire plus pour défendre la liberté religieuse. C’est dans cet esprit que Human Rights Watch défend les droits fondamentaux des musulmans indépendants d’Ouzbékistan, des chrétiens d’Irak, des juifs d’Iran, des témoins de Jéhovah de Géorgie et des Mennonites du Vietnam. Cet engagement devrait inclure la défense des droits des “fondamentalistes,” notamment ceux qui menaceraient les conceptions libérales des droits s’ils étaient au pouvoir, aussi longtemps qu’ils ne s’attaquent pas physiquement aux non-croyants ou qu’ils ne bafouent pas les droits de ces derniers d’une autre façon.

Toutefois, le mouvement des droits humains ne devrait pas sacrifier ses principes et objectifs les plus chers pour préserver ses bonnes relations avec les communautés religieuses. Les défenseurs des droits humains ne devraient pas se dérober et ils devraient tout particulièrement insister sur le besoin de faire la distinction entre morale religieuse privée et politique publique motivée par la religion et profanatrice des droits. L’expression publique et la mobilisation politique des groupes religieux ou des adeptes d’une religion sur des questions de droits sont légitimes. Lorsque la morale religieuse privée s’impose à la société et menace de modifier la politique publique au détriment des droits, le mouvement des droits humains doit alors protester et fixer une limite.

Source : Human Rights Watch

notes :

[1] Jean-Paul Marthoz est le directeur international des médias de Human Rights Watch ; Joseph Saunders est le directeur adjoint des programmes.

[2] Michael Ignatieff, Human Rights as Politics and Idolatry (Princeton : Princeton University Press, 2001), p. 53.

[3] Gilles Kepel, La Revanche de Dieu. Chrétiens, juifs et musulmans à la reconquête du monde (Paris : Le Seuil, 1991).

[4]Comme le soulignera l’essai qui suit dans le présent volume, la défense du même principe fondamental est essentiel pour sauvegarder la dignité et l’humanité des personnes lesbiennes, homosexuelles, bisexuelles et transsexuelles, que les efforts pour restreindre leurs droits soient faits au nom de la religion ou des valeurs traditionnelles, culturelles ou sociétales.

[5] Voir Harold R. Isaacs, Idols of the Tribe, Group Identity and Political Change (Cambridge, Massachusetts : Harvard University Press, 1989).

[6] Le groupe qui a enlevé Georges Malbrunot, Christian Chesnot et leur chauffeur syrien réclamait au départ l’abrogation de la loi française sur les signes religieux ostentatoires.

[7] “Among Wealthy Nations…U.S. Stands Alone in its Embrace of Religion,” The Pew Research Center for the People the Press, 19 décembre 2002, p. 2.

[8] Le Maréchal Pétain, un ancien héros de la Première Guerre Mondiale, a dirigé la France pendant l’occupation allemande. Son gouvernement, fondé sur une idéologie catholique ultra-conservatrice, a collaboré avec l’ennemi et à la déportation des juifs. Bien que de nombreux catholiques aient pris part à la Résistance et que la hiérarchie catholique ait protesté contre les déportations, surtout après la rafle de 12.884 juifs le 16 juillet au Vélodrome d’Hiver, l’image de l’Eglise s’est ainsi trouvée ternie dans beaucoup de cercles libéraux.

[9] Adam Hochschild, King Leopold’s Ghost (Boston : Houghton Mifflin Co., 1998).

[10] Suzanne Moranian, “The Armenian Genocide and American Missionary Relief Efforts,” dans Jay Winter. ed., America and the Armenian Genocide of 1915 (Cambridge (U.K.) : Cambridge University Press, 2004), pp. 185-213.

[11]Les Accords d’Helsinki étaient le résultat de l’acte final de la Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe qui s’est tenue à Helsinki (Finlande) en 1975 entre les pays de l’OTAN et le bloc soviétique. Le chapitre relatif aux droits civils, appelé troisième volet, engageait les Etats participants à respecter les droits humains et les libertés fondamentales.

[12] Voir Jeri Laber, The Courage of Strangers : Coming of Age with the Human Rights Movement (New York : Public Affairs, 2002).

[13] Margaret E. Keck et Kathryn Sikkink, Activists beyond Borders (Ithaca, New York : Cornell University Press, 1998), p. 91.

[14] Ken Booth, “Three Tyrannies,” dans Tim Dunne et Nicholas J. Heeler, eds., Human Rights in Global Politics (Cambridge (U.K.) : Cambridge University Press, 1999), p. 33.

[15] En particulier la conférence organisée par l’UNESCO à Barcelone en 1994 sur la contribution des religions à la “culture de la paix”.

[16] Louis Henkin, “Human Rights : Ideology and Aspiration, Reality and Prospect,” dans Samantha Power et Graham Allison, eds., Realizing Human Rights : Moving from Inspiration to Impact, (New York : St. Martin’s Press, 2000), p. 29. Ce qui est ironique, c’est que certains groupes religieux s’opposent à la liberté de conscience—religieuse ou autre—dans certains contextes. Parmi des exemples frappants, citons le refus de respecter les droits à rejeter l’orthodoxie religieuse, de changer de religion, de devenir athée ou de faire du prosélytisme. Ces droits sont garantis par un certain nombre de dispositions relatives aux droits humains, notamment l’article 18 de la DUDH. “Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction, seule ou en commun, tant en public qu’en privé, par l’enseignement, les pratiques, le culte et l’accomplissement des rites.”

17] Sara Maitland, “In Place of Enlightenment,” Index on Censorship, avril 2004, p. 8.

[18] Vali NASR, “Religion and Global Affairs : Secular States and Religious Oppositions,” SAIS Review, Eté-automne 1998. Volume XVIII, Number Two, The Paul H. Nitze School of Advanced International Studies, The John Hopkins University, Washington, pp. 34-5.

[19] Asma Jahangir, “Human Rights in Pakistan : A System in the Making,” dans S. Power et G. Allison, eds., Realizing Human Rights, pp. 168-9.

[20]Human Rights Watch, “CreatingEnemies of the State : Religious Persecution in Uzbekistan” New York : Human Rights Watch, 2004.

[21] Human Rights Watch, “Divorced from Justice : Women’s Unequal Access to Divorce in Egypt,” décembre 2004.

[22] Human Rights Watch, “‘Political Shari’a’ ?, Human Rights and Islamic Law in Northern Nigeria,” septembre 2004. Human Rights Watch ne plaide pas pour ou contre la charia en tant que telle, ni pour ou contre tout autre système de conviction ou d’idéologie religieuse, et l’association ne prend pas position sur ce que serait une “charia acceptable.”

[23] Les recherches effectuées par Human Rights Watch au nord du Nigeria ont également révélé des systèmes de violations des droits humains fondamentaux qui ne sont pas propres à la charia mais qui symbolisent la situation générale desdits droits au Nigeria. Par exemple, la torture systématique par la police, la détention prolongée sans procès, la corruption de l’appareil judiciaire, l’ingérence politique dans le cours de la justice et l’impunité pour les responsables de ces exactions n’arrivent pas seulement dans les cas où est appliquée la charia mais elles sont généralisées dans les dossiers traités par le système parallèle de droit coutumier.

[24]Cour européenne des droits de l’homme, Handyside contre le Royaume-Uni, 7 décembre 1976.

[25] Cité dans Le Monde, 25 octobre 1989.

[26] “Da Vinci Code banned in Lebanon,” nouvelles en ligne de la BBC, 16 septembre 2004.

[27] Ambrose Evans-Pritchard, “Blasphemy law revival upsets the Dutch elite,” The Daily Telegraph, 18 novembre 2004.

[28] Guy Haarscher, La laïcité (Paris : Presses Universitaires de France, Collection Que sais-je ?, 2004), p. 93.

[29] Malise Ruthven, Fundamentalism : The Search for Meaning (Oxford (U.K.) : Oxford University Press, 2004), p. 3.

[30] Human Rights Watch, Slaughter Among Neighbors : The Political Origins of Communal Violence, (New Haven : Yale University Press, 1995).

[31] “The Power of Religion,” The Fletcher Forum of World Affairs, Hiver/printemps 1996, Medford, MA, p. vii.

[32] Human Rights Watch, Erased In A Moment : Suicide Bombing Attack Against Israeli Civilians (New York : Human Rights Watch, 2002).

[33] Georgina Ashworth, “The Silencing of Women,” dans Tim Dunne et Nicholas J. Wheeler, eds., Human Rights in Global Politics (Cambridge (UK) : Cambridge University Press, 1999), p. 273.

[34] Human Rights Watch, “The Philippines : Unprotected, Sex, Condoms, and the Human Right to Health,” mai 2004.

[35] Mark Herstgaard, “The Holy War against Birth Control,” Mother Jones, Mars/avril 2003.

[36] G. Ashworth, “The Silencing of Women,” p. 268.

37] John Kelsay et Sumner B.Twiss, eds., Religion and Human Rights (New York : The Project on Religion and Human Rights, 1994), p. 27.

[38] Une grande partie de l’étude qui suit sur le cas de la Turquie est une version légèrement révisée du texte rédigé par Jonathan Sugden, chercheur de Human Rights Watch sur la Turquie. Elle a été publiée pour la première fois dans “Memorandum to the Turkish Government with Regard to Academic Freedom in Higher Education, and Access to Higher Education for Women who Wear the Headscarf,” Human Rights Watch, 29 juin 2004.

[39] John Kelsay et Sumner B.Twist (Ed), Religion and Human Rights, The Project on Religion and Human Rights, 1994, New York, p.119.

[40] Diane Orentlicher, “Relativism and Religion,” dans M. Ignatieff, Human Rights as Politics and Idolatry (Princeton : Princeton University Press, 2001), p.147.

[41] Edward Said, Representations of the Intellectual (New York : Pantheon Books, 1994), p. 11.