Le monde est au début du 21ème siècle, et les différents systèmes de croyance sont examinés de façon critique par les experts en ce domaine. Il n’ y a aucun système de pensée ou de croyance qui ne soit ouvert à l’examen critique. Bien sûr, la foi est importante mais elle n’est pas fermée sur elle-même. L’ouverture est plus acceptable à notre époque

Le monde est au début du 21ème siècle, et les différents systèmes de croyance sont examinés de façon critique par les experts en ce domaine. Il n’ y a aucun système de pensée ou de croyance qui ne soit ouvert à l’examen critique. Bien sûr, la foi est importante mais elle n’est pas fermée sur elle-même. L’ouverture est plus acceptable à notre époque. La raison et la foi ne devraient pas être considérées comme des facteurs qui s’opposent, comme elles l’étaient au 19ème siècle. Bien que la raison ne soit pas suprême, comme les rationalistes voudraient nous le faire croire, elle ne doit pas être méprisée pour autant. La raison et la foi jouent, toutes deux, un rôle important dans la vie humaine. La question de savoir qui, de la foi ou de la raison, est la plus importante ne se pose pas. Peut-être sont-elles également importantes. Le modernisme, bien sûr, a privilégié la raison. Mais, à notre époque post-moderne, elle ne peut plus être aussi privilégiée qu’elle l’a été durant la période précédente. La religion et les croyances religieuses appartiennent généralement à la catégorie de la foi. Elles sont supposées être sacrées, situées au-delà de tout examen critique rationnel. S’il en est ainsi, les croyances religieuses et les pratiques se trouvent elles entièrement à l’abri de toute évaluation critique ? D’où viennent les croyances et les pratiques religieuses ?

C’est là le fond du problème, et ces questions doivent recevoir une réponse satisfaisante. Bien sûr, pour les fidèles ordinaires, toutes les croyances et pratiques associées à la religion sont considérées comme sacrées et immuables, à l’abri de tout examen critique et préservées de tout changement. Mais en est-il réellement ainsi ?

Cette question doit recevoir sa réponse si nous voulons entrer dans le 21ème siècle avec un équipement mental adapté. Il y a un autre aspect qui doit être gardé présent à l’esprit. Le niveau économique et culturel de la masse des gens dans les pays du Tiers-Monde où se trouvent la plupart des pays islamiques, restera pratiquement inchangé. Ceux-ci resteront pauvres et illettrés. Ainsi, alors qu’il y a un courant intellectuel s’orientant vers le changement, il y a aussi une pression exercée par la masse des gens pour maintenir le statu quo. Mais qui fait advenir le changement ? C’est l’élite intellectuelle qui est équipée pour penser de façon critique et rationnelle.

Cependant, cela ne signifie pas que les fondements de la religion doivent être changés. Pour les religions révélées comme l’islam, ces fondements et les principes de base sont très importants et immuables. Mais l’on doit aussi garder présent à l’esprit qu’aucune religion ne peut échapper aux influences sociologiques. Même les fondements révélés sont perçus à travers des structures sociales déterminées. Les théologiens musulmans eux-mêmes en ont été tout à fait conscients. C’est ainsi qu’ ils ont tenu compte de ce qu’ils ont appelé ” `âdât “, c’est-à-dire les traditions et les coutumes d’une société donnée. Les formulations de la Charia ont été, ainsi, influencées par les `âdât arabes de la première période de l’islam. Pouvons-nous, de ce fait, considérer les `âdât arabes comme une partie immuable de l’islam ? Dans ce cas, que penser des `âdât des autres lieux ? A moins que nous devions privilégier les `âdât arabes du fait que le Coran a été révélé dans cette partie du monde, et que les premiers penseurs islamique y sont nés ? Je pense qu’il devient difficile de maintenir une telle position. C’est pour cette raison que les oulémas, en des lieux comme l’Indonésie, ont tenu compte de la culture locale. Quoiqu’il en soit, les `âdât arabes ont bien gardé une position privilégiée et ils sont devenus partie intégrante de la Charia .

Ici se pose aussi la question de savoir si tout le texte révélé doit être considéré comme obligatoire sans qu’on puisse admettre de changement. Est-ce que le texte révélé tient compte des conditions locales ? Une étude attentive du saint Coran montre qu’il en tient compte. Il y a des déclarations dans le Coran qui tiennent compte des conditions locales et des déclarations qui transcendent ces conditions données. Elle peuvent aussi se contredire mutuellement. Mais l’existence de ces contradictions ne s’oppose pas à la nature révélée du texte. Par exemple, l’esclavage a été déclaré autorisé par le Coran en raison d’une situation donnée. Cependant, il contredit la position coranique sur la dignité humaine (17 : 70). Pour qu’un texte révélé puisse être accepté il doit tenir compte des conditions qui prévalent, même quand il essaie de transcender la situation. L’esclavage ne pouvait pas être ignoré complètement, même si la visée ultime ne pouvait pas être appliquée immédiatement. Vouloir l’ignorer aurait été en accord avec la visée coranique ultime de libérer tous les esclaves immédiatement. Cependant, puisque cela n’était pas possible, la meilleure solution alternative était d’améliorer le statut des esclaves par un traitement humain. La visée ultime prévaudrait, bien sûr, dès que des conditions favorables surviendraient. Ce n’est qu’à l’aube du 21ème siècle que la visée ultime du Coran sur la dignité humaine peut être mise en application, puisque l’esclavage est maintenant une institution d’une période révolue.

Il faut noter ici que la Charia, depuis qu’elle a été formulée dans les premiers temps de l’islam – sous l’influence des `âdât arabes et des déclarations coraniques émises dans des conditions locales déterminées -, comporte des éléments qui peuvent ne pas être très ” en adéquation ” avec les conditions d’aujourd’hui, alors que nous sommes sur le point d’entrer dans le XXIe siècle. Dans le monde contemporain, ce ne sont pas seulement les coutumes arabes qui font problème. Outre les coutumes, d’autres facteurs interviennent, comme l’analogie et le consensus qui ont contribué aux formulations de la Charia. Ces formulations ne peuvent échapper au filtre sociologique. Après tout, le consensus des théologiens dépendaient de leur mentalité social. C’est une synthèse du théologique et du sociologique qui a finalement donné forme aux formulations de la Charia. C’est pour cette raison qu’un éminent penseur islamique comme Maulâna Abû l-Kalâm Âzâd a établi une distinction entre le sens de la religion, et la Charia comprise comme loi gouvernant la conduite sociale et religieuses. Le Maulâna a maintenu, à juste titre, que tandis que le sens de la religion est unique (sa célèbre doctrine de wahdat al-dîn), la Charia varie avec les époques et les sociétés. Ici le Maulâna prend en compte ce qui appartient à une situation sociale donnée et ce qui est transcendant. Dire que la Charia est appelée à changer avec les lieux et les périodes est une déclaration très importante. Mohammed Mujîb, autre penseur indien de renom, maintient aussi que la Charia est une approche humaine des intentions divines. Les intentions divines ne peuvent jamais être connues de façon définitive. C’est par un effort humain que nous cherchons à les connaître, et c’est de là que découlent les différences honnêtes, mutuelles, existant entre les théologiens eux-mêmes. En interprétant ce qui est reçu comme révélé, on doit aussi tenir compte de la dialectique existant entre le donné et le transcendant.

Les juristes classiques avaient aussi tenu compte de ce qu’ils ont appelé la pensée créative. Puisque les besoins sociaux varient avec les temps et les lieux, il fallait faire place à une pensée créative et à une ré-interprétation des décisions divines. L’Ijtihâd prend aussi en considération la dialectique entre le donné et le transcendant. L’islam a été révélé en Arabie et certaines décisions du Coran touchant les domaines sociaux et juridiques étaient adaptées aux besoins particuliers de cette société arabe. C’est pourquoi si l’on veut repenser en islam les problèmes qui se posent à l’aube du 21 ème siècle, on ne peut geler l’ islam dans les états où se trouvait la société arabique du 7 ème siècle, pas plus que l’on peut se contenter d’imiter les juristes classiques de façon mécanique. Les juristes musulmans auront à prendre en compte les réalités sociales qui prévalent de notre temps, et particulièrement à l’aube du nouveau millénaire. Une vision de l’avenir doit influencer notre pensée. Tout ce qui relève de la contribution humaine à la formulation des lois de la Charia ne peut être considéré comme sacré et encore moins comme immuable.

Nous avons examiné au plus haut point la question de savoir ce qui est sacré et immuable en religion, et ce qui est lié à un contexte historique et est capable de changer. Certains théologiens soutiennent que l’on peut établir des catégories, à savoir d’une part les ìbâdât (tout ce qui traite des prières, du jeûne, du pèlerinage et de la zakât), et d’autre part les mu`âmalât (ce qui concerne les relations humaines, la conduite des gens entre eux). À la 1re catégorie on peut ajouter tout ce qui regarde le contenu de la religion, c’est-à-dire la croyance en Dieu, en ses anges, à ses prophètes et au jour du jugement. Ces éléments doivent être considérés comme appartenant à la catégorie du sacré et donc comme immuables. Bien sûr, il peut se trouver des différences d’opinion dans ce domaine divin aussi, au sujet de la nature de Dieu, celle de ses anges et au sujet du jour du jugement. Ces différences ont persisté entre les plus éminents théologiens depuis les débuts. Cependant, nous sommes ici dans le domaine du divin et de la foi. La raison ne peut y opérer que très prudemment – si même elle peut y pénétrer. Dans ce domaine de la révélation, l’expérience intérieure reste la plus pertinente.

Il en va très différemment dans le domaine des mu`âmalât. Il s’agit fondamentalement de questions séculières telles que les relations avec les gens, incluant des sujets comme le mariage, le divorce, les transactions financières et ainsi de suite. Tout ce qui se déroule entre les êtres humains dans les affaires de ce monde appartient au domaine des mu`âmalât. Cela ne signifie pas, cependant, que les mu`âmalât ne sont pas gouvernés du tout par les injonctions divines. Ce serait de l’anarchie. La Charia gouverne aussi le domaine des mu`âmalât. Mais ici, dans ce domaine, les injonctions divines prennent la forme de jugements de valeur. Par exemple, le jugement de valeur le plus fondamental vise la justice. Toutes les relations humaines doivent être gouvernées par cette valeur, que ce soit une relation financière, une question de distribution des ressources sociales et économiques, ou une affaire de relations sexuelles entre un homme et une femme.

La Charia formule des règles pour le mariage, le divorce, les transactions financières, etc., à la lumière des jugements de valeur coraniques. Certaines de ces règles concernant le mariage et le divorce, les transactions financières, etc., ont été formulées par le Coran aussi. Mais, comme sur d’autres sujets, les théologiens et les juristes ont divergé dans la compréhension de ces jugements coraniques. En conséquence, se fondant sur ces compréhensions différentes et des interprétations divergentes, différentes Ecoles de Charia, connues sous le nom de madhâhib, sont apparues et se sont développées. Les générations suivantes ont alors commencé à suivre ces écoles de façon mécanique et rigide. Mais la valeur coranique est fondamentale, comme nous venons de le dire, et la justice et les règles concernant particulièrement le mariage et le divorce, les héritages ou les transactions financières se basent sur cette valeur.

Ajoutons que le concept de justice est relatif et non absolu. Ce qui apparaît comme la justice à certains peut ne pas apparaître comme tel à d’autres. De même ce qui est juste pour une génération peut ne pas être ressenti comme tel par des générations postérieures. Ce qui est juste et injuste peut aussi dépendre des dynamiques de la relation sexuelle, à savoir la relation homme – femme. Même du temps du prophète, la nature des relations entre hommes et femmes différait entre La Mecque et Médine ! La société mecquoise était beaucoup plus patriarcale que celle de Médine.

Tandis que la société mecquoise ne voyait rien de mal à la pratique de battre son épouse, la société médinoise considérait cette pratique comme choquante. Quelques penseurs ont même suggéré à une certaine époque que, dans le lointain passé, la société médinoise était matriarcale et que des éléments de matriarcat avaient survécu jusqu’au temps du prophète. Que ce soit vrai ou non, la dynamique de la relation hommes – femmes était qualitativement meilleure à Médine qu’à La Mecque. Tabari et d’autres ont longuement discuté de ce point de vue dans leurs commentaires coraniques du verset 4 : 34. Ce verset est extrêmement intéressant du point de vue de la dialectique entre le donné et le transcendant que nous sommes en train de discuter. Faisant l’objet de controverses, il a été discuté en profondeur par les différents commentateurs du Coran. On voit bien, à son sujet, comment le concept de justice diffère d’un endroit à l’autre. Certains théologiens ont interprété ce verset comme une permission donnée de battre sa femme et de la forcer à l’obéissance si nécessaire. Mais ce verset représentait ce qui prévalait dans la société de ce temps là, plutôt qu’il n’exprimait la visée transcendante du Coran que l’on trouve évoquée dans le verset 33 : 35 !

Cet exemple montre que la lutte des sexes était très présente dans la société arabe du temps du prophète, et que les déclarations divines ont dû prendre cette lutte en compte. Les dynamiques de la relation entre les hommes et les femmes ne pouvaient être ignorées. En fait, elle ont profondément influencé les juristes islamiques de l’époque.

L’image de l’islam a été souillée par quelques fondamentalistes qui ne semblent pas soupçonner la nature progressiste des prescriptions coraniques. Le Coran propose des valeurs fondamentales qui furent mises en application pour la société de l’époque des premiers juristes. Les fondamentalistes, plutôt que de se baser sur les jugements de valeur du Coran, suivent leur application dans la société islamique primitive. L’islam se retrouve ainsi gelé tel qu’il était au 7e – 8e siècle, à l’époque où opéraient les juristes classiques. Et ces fondamentalistes ne semblent pas apprécier le fait que les jugements de valeur du Coran (justice rigoureuse, égalité de tous sans discrimination de couleur, de race et d’ethnie, égalité des sexes, juste distribution des ressources économiques, etc.) sont parmi les plus modernes, et que ce sont ces jugements de valeur qui sont fondamentaux – et non pas ce que les juristes classiques ont essayé d’en faire pour leur propre société.

Ces fondamentalistes croient à l’application de la Charia islamique de façon tout à fait mécanique et Nawaathinale. Pour eux, plus que le Coran lui-même, ce sont ses interprètes classiques qui sont sacrés. Ceux qui veulent comprendre les enseignements coraniques dans le véritable esprit du Coran et veulent les appliquer aux conditions modernes sont, selon eux, des hérétiques, et ces hérétiques doivent, au besoin, être punis de mort. Les différentes fatwas qui furent émises par les juristes dans le contexte de leurs propres conditions sociales et politiques, sont considérées comme plus impératives que les déclarations claires du Coran. Quant aux fatwas prononcées par ces juristes musulmans si éminents, elles étaient certainement influencées par le fait que les musulmans vivaient sous un pouvoir politique islamique. De plus, quand ces fatwas furent émises, il n’y avait pas de démocratie. C’étaient des systèmes monarchiques, et beaucoup d’oulémas (à part quelques exceptions remarquées, bien sûr) étaient liés au monarque ou à son régime. Ils prononçaient souvent des fatwas à la convenance du monarque ou des nobles de la Cour. L’imam Ghazâlî, un grand penseur islamique et un homme de grande intégrité, demandait aux musulmans de ne même pas regarder en face les monarques, car ceux-ci étaient des tyrans et leur conduite était totalement infidèle à l’islam. Et même si la force des circonstances les obligeait à rencontrer le monarque, ils devaient détourner leur visage de lui. Parmi les oulémas, il y en a eu quelques-uns qui ont eu le caractère et l’intégrité d’un Ghazâlî. L’imam Taymiyyah, un autre penseur islamique de grande intégrité, a été emprisonné à plusieurs reprises pour avoir exprimé ses opinions trop franchement. Il protesta contre le triple divorce prononcé en une seule fois et produisit une fatwa à ce sujet, mais il dut souffrir pour sa franchise. Les fondamentalistes ne prennent aucun de ces facteurs en compte et refusent de repenser les problèmes pour notre temps.

À cause de ces fondamentalistes, l’image de l’islam dans le monde a été souillée : on le considère comme la religion la plus arriérée. En réalité, il en est tout autrement. À cause de ce que les Talibans ont fait en Afghanistan, le monde pense que l’Islam prive les femmes de tout pouvoir. Or les déclarations coraniques indiquent une toute autre direction. Par exemple, le Coran ne prive nulle part les femmes du droit de gagner leur vie, et encore moins il ne prescrit de les enfermer dans leur domicile. Le droit des femmes à gagner leur vie a été reconnu dans le verset coranique 4 : 32. Ce verset dit : “Aux hommes la part qu’ils ont acquise, et aux femmes la part qu’elles ont acquise. ” Si les femmes ne pouvait rien acquérir, comment auraient-elles pu gérer la part du gain qui leur revient ? Les penseurs islamiques conservateurs vous maintiennent que le vrai devoir des femmes est de s’occuper de leurs enfants, de servir leurs maris et de diriger leurs maisons. C’est à partir de cette considération surtout qu’ils ne permettent pas aux femmes de sortir de leurs maisons pour travailler. Mais cela n’est stipulée nulle part dans le Coran. C’est une conclusion formulée par des juristes conservateurs. Ces juristes maintiennent que les femmes sont intellectuellement inférieures aux hommes et qu’on ne peut leur confier aucun travail à grandes responsabilités. Ici encore, il n’existe aucun texte de ce genre dans le Coran. C’est plutôt l’opinion des membres conservateurs de la caste des oulémas. Aujourd’hui les femmes travaillent à l’extérieur et ont surpassé les hommes dans bien des domaines de l’existence. Autrefois, on ne permettait pas aux femmes de quitter leur logis et, à cause de cela, elles n’avaient pas l’occasion de surpasser les hommes. Maintenant elle le peuvent. Toute la théorie de l’infériorité intellectuelle des femmes s’effondre ainsi. Les oulémas soutiennent encore que les femmes ne peuvent devenir chef d’Etat. Cette affirmation se fonde sur un seul hadith qui est controversé. Mais même si ce hadith est authentique (ce qu’il n’est probablement pas), on doit tenir compte du contexte socio-politique de l’époque du prophète. Et le plus important reste que ce hadith contredit le Coran qui décrit l’histoire de la reine de Saba en termes très positifs. Ne surpassait-elle pas tous ses conseillers mâles, et n’a-t-elle pas conclu un traité de paix avec le roi Salomon ?

De la même façon, le Coran affirme le concept d’égalité sexuelle au verset 2 : 228 par les mots suivants : ” Elles ont des droits équivalents à leurs obligations, conformément à la bienséance “. Au verset 33 : 35, les hommes et femmes sont considérés comme égaux en tout point. Pourquoi, alors, trouve-t-on dans la Charia islamique des stipulations qui apparaissent comme contraires au concept de la justice entre les sexes ?

Il est vrai que la société islamique primitive ne pouvait tolérer l’égalité sexuelle, et les juristes ont inventé des hadiths qui justifiaient des règles de discrimination sexuelle taillées à leur convenance. Il est grand temps que ces stipulations de la Charia soient repensées et que l’esprit originaire du Coran concernant la justice sexuelle soit retrouvé. Nous ne pouvons plus retenir l’opinion de ces juristes qui ont voulu imposer l’idée que le sexe féminin était faible et intellectuellement inférieure. Aujourd’hui beaucoup de femmes se sont libérées de la structure oppressive des lois médiévales, mais elles ont encore une longue route à parcourir. Sur la question sexuelle, les politiques sont encore très faussées en faveur des hommes. Les femmes doivent surmonter de grands obstacles, en particulier dans les pays islamiques. En Arabie Saoudite, parce qu’on les pense faibles, on ne leur permet pas de sortir seules sans être accompagnées par un parent mâle qui leur soit proche. Au Koweit, elles ne sont pas autorisées à voter. Cela ne reflète pas la faiblesse féminine et leur infériorité intellectuelle, mais l’arriération des sociétés saoudienne et koweïtienne !

Beaucoup d’interprètes modernes du Coran soulignent que les femmes ne sont en aucun point inférieures aux hommes. Dans le monde arabe aussi, des penseurs comme Allama Yusuf Qardawi et d’autres rappellent l’esprit coranique d’égalité sexuelle et de justice. En outre, le port du voile tel qu’il prévaut dans certains pays arabes ou les femmes sont obligées de se couvrir de la tête aux pieds, en incluant la face, n’existe pas dans le Coran. Ce voile-là est plus coutumier que coranique. L’usage d’un tel voile commença probablement au temps des Omeyyades. Tout ce que le Coran demande c’est un habillement digne qui ne fasse pas étalage des charmes sexuels d’une femme pour attirer l’attention des hommes. En fait, certains oulémas, en expliquant le sens du verset 24 : 31, soutiennent qu’il est permis aux femmes de garder leurs figures et leurs mains découvertes. Tabari en a aussi discuté longuement. Cependant, ce sont des oulémas qui, tout en demandant aux femmes de se couvrir de la tête aux pieds, permettaient que des filles réduites en esclavage puissent être inspectées de la tête aux pieds à l’exception de leurs organes sexuels. L’islam, qui soutient et promeut la dignité de tous les êtres humains, peut-il permettre une telle chose ? Cela ne montre-t-il pas que les oulémas ont été profondément influencés dans leur raisonnement par les pratiques de leur temps ? Cette question est plus culturelle que catégorique de par sa nature. Certaines cultures peuvent permettre une plus grande exposition du corps féminin que d’autres cultures. De plus, les normes culturelles se montrent souvent plus importantes que les normes théologiques bien que cela ne soit jamais formulé. Les normes culturelles du lieu et du temps dans lesquels on vit influent dans notre raisonnement. Ainsi les premiers théologiens et juristes ont fait montre de sensibilité culturelle dans leurs formulations. Mais les théologiens qui appartiennent aux générations postérieures ont perdu cette sensibilité et ils ont répété sans l’adapter le discours de leurs prédécesseurs.

Il existe un autre facteur important – de nature socio-politique – qui est aussi responsable d’avoir gelé l’islam à son état des premiers siècles. Le Coran avait mis l’accent sur la raison, la réflexion et la pensée, utilisant des termes comme `aql, tadabbur et tafakkur, qui signifient respectivement la raison, l’organisation rationnelle des choses et la réflexion profonde. Nul paragraphe du Coran n’exige une obéissance aveugle. Les Mu`tazilites ont été les rationalistes de l’islam et ils ont attaché une grande importance à la raison. Ils ont brillé dans la première partie de la période des Abbassides, mais avec le déclin du pouvoir abbasside leur influence aussi a faibli et ils ont été éliminés. C’est une grande tragédie que les Mu`tazilites aient été identifiés avec le régime politique abbasside et qu’ils aient disparu avec le déclin de ce pouvoir. Les penseurs mu`tazilites ont grandement influencé des penseurs musulmans indiens tels que Sir Sayyed Ahmad Khân. A l’aube de 21er siècle, il est grand temps que l’influence des Mu`tazilites reprenne de la vigueur dans le monde islamique. Le rationalisme fleurit souvent dans les élites cultivées, et particulièrement aux plus beaux jours de la communauté dont elles font partie. Il est significatif de noter que la plupart des Mu`tazilites venaient de Perse et des autres régions de l’Asie Centrale qui avaient une longue tradition intellectuelle. Tous les grands philosophes et savants de cette époque venaient de ces régions. Leur rationalisme, la science et la philosophie ont fleuri côte-à-côte surtout pendant la période abbasside.

Le Coran a aussi mis l’accent sur la consultation démocratique dans les affaires de l’Etat, mais très tôt, la monarchie, qui était contraire à l’esprit de l’islam, fût établie dans le monde musulman quand Yazid, le premier monarque omeyyades, fut installé. Ceci a conduit au développement d’une culture autoritaire. C’est cette culture autoritaire que l’on voit se refléter dans beaucoup de formulations juridiques que l’on pense immuables. J’appelle cela ” la féodalisation de l’islam “, et c’est elle qui a tué son esprit démocratique et son esprit de justice pourtant si fondamentaux en islam. L’autoritarisme n’a pas seulement fleuri sous la monarchie : il a trouvé sa justification dans les principes juridiques de l’époque. Soit sous la dynastie des Omeyyades soit sous celle des Abbassides, les deux empires gigantesques bâtis par les musulmans, les califes jouissaient d’un pouvoir absolu et n’ont jamais partagé leur pouvoir avec les autres musulmans dans un réel esprit coranique Quand le pouvoir abbasside déclina, les califes n’eurent plus que le nom pour autorité, et ce sont des militaires, des généraux que l’on appela sultans qui exercèrent le véritable pouvoir. Mais l’autoritarisme a prévalu. Dans la plupart des pays islamiques, cet islam féodal persiste et il fait obstacle au travail de re-pensée et d’Ijtihâd. La pensée rationnelle et l’adoption d’une nouvelle approche demandent une ouverture démocratique et une culture de liberté. Malheureusement, à la veille du 21er siècle, pratiquement aucun pays musulman ne peut offrir une telle structure de liberté. Cette aspiration démocratique est même dénoncée par des muftis officiels (juristes et légistes) comme une tentative de dévier du ” véritable islam “.

Aujourd’hui surgissent de nouveaux problèmes qui demandent l’attention urgente de juristes doués d’une vision moderne. La question de la transplantation des organes, celle des mères porteuses, des bébés éprouvette, de l’euthanasie, du clonage, etc., tous ces problèmes réclament des réponses islamiques pour beaucoup de musulmans consciencieux. Les juristes traditionnels sont tentés de n’apporter que des réponses mécaniques. Or au-delà des questions de techniques, ces problèmes demandent des réflexions d’ordre éthique. Mais on ne peut trouver de vraies réponses islamiques à ces questions que dans des pays où une culture de la liberté prévaut. Quand la question du clonage s’est posée et que Dolly, le mouton cloné, fut créé, des juristes saoudiens émirent une fatwa très dure à son encontre, condamnant le clonage non seulement comme immoral mais aussi comme une interférence dans le domaine de Dieu qui est le seul Créateur. Je ne défends pas ici le clonage, mais je remets seulement en question la manière dont les juristes conservateurs réfléchissent. Ils n’ont pas envisagé la question sous l’angle éthique et moral, mais ils se sont contentés de dénoncer l’interférence dans le domaine de Dieu. Or on sait que toute nouvelle découverte technologique a été plus ou moins dénoncée par les juristes islamiques avant d’être acceptée !La technologie peut maîtriser bien des choses, mais des nombreuses questions morales et éthiques restent encore sans réponse. C’est le devoir des juristes islamiques de donner ces réponses d’une manière rationnelle.

Ce dont on a ici besoin c’est que l’on ” dé-féodalise ” l’islampour lui rendre son esprit progressiste. Le monde de l’islam dans un monde post-moderne se trouve, en fait, pris dans une situation contradictoire. D’une part il se modernise rapidement, tandis que, d’autre part, il lutte pour garder son identité féodale en résistant aux changements. Le dilemme est qu’il admet le changement dans les domaines de l’économie et de la technologie, pendant qu’il lutte pour garder son caractère primitif dans le domaine de la théologie.

Le monde islamique n’a pas été capable de résoudre ce dilemme de façon satisfaisante. Une réflexion créative et critique est requise dans le domaine de la théologie aussi. Les théologiens, cependant, sont mal équipés pour une telle réflexion, et il n’existe pas dans les pays islamiques un milieu favorable à une telle réflexion. Or mon expérience des pays islamiques me conduit à croire que ce n’est maintenant plus qu’une affaire de temps. Le changement est inévitable et il est déjà en route. Son rythme est plutôt lent, mais il n’est pas possible de l’accélérer car les gens ne peuvent pas absorber de changements rapides en matière religieuse. Même dans le christianisme occidental, les résistances au changement provoquent des bouleversements difficiles à vivre. Ainsi, des Eglises ont accepté l’ordination de femmes prêtres. Quand l’Eglise Anglicane a permis l’ordination de femmes prêtres, quelques évêques anglicans ont préféré se convertir à l’Eglise catholique plutôt que de l’accepter. C’est encore plus difficile dans le cadre du monde musulman, mais le changement est au programme dans le monde islamique aussi.