Réponse à Ron Haleber à propos de son livre qu’il édite sur Mohammed Arkoun :
LE DÉSARROI DE LA RAISON ISLAMIQUE FACE À LA MODERNITÉ OCCIDENTALE.

DÉCONSTRUCTION DE LA PENSÉE DE MOHAMMED ARKOUN.

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Bonjour mr HALEBER,

J’ai le plaisir de vous écrire pour la deuxième fois pour me prononcer au sujet de votre livre « LE DÉSARROI DE LA RAISON ISLAMIQUE FACE À LA MODERNITÉ OCCIDENTALE » que j’ai trouvé très utile pour le contexte du débat sur la place du religieux dans l’effort de développement des peuples musulmans et je trouve que le simple fait qu’un occidental écrive sur le sujet avec un niveau aussi approfondi de l’argumentation témoigne que la méconnaissance entre les peuples n’est pas aussi profonde que ne l’imaginent certains esprits pessimistes.

Après avoir lu tout votre document, permettez-moi de diviser mes remarques en trois parties :

La contribution du livre pour mon savoir :

J’ai beaucoup appris concernant la synthèse critique sur la pensée de ARKOUN qui est très estimé dans tous les milieux culturels arabo musulmans même par ceux qui ne partagent pas tous ses points de vue, car c’est lui qui le premier dans le monde contemporain, a concrétisé la possibilité d’une science historique émancipée sur l’islam réalisable par les efforts de ses propres adeptes, la démarche bénéfique de Arkoun ne se trouvera que gagnante par cette confrontation que j’estime impartiale et hautement scientifique (mise à part bien entendu les passages polémiques en fin du livre) ; ici, je fais abstraction de ma propre critique pour quelques idées de mr ARKOUN.

J’ai beaucoup appris aussi, par la bibliographie et l’index sur les orientalistes.

Les points de vue que je partage avec vous :

La conception de la problématique islamiste comme étant l’affrontement de visions différentes sur l’approche de la modernité et des processus de modernisation.

La classification épistémologique des personnalités et des mouvements islamistes qui vous a permis à la fois de voir de manière claire le paysage islamique contemporain (cinq classes réelles et réellement différentes et qui divergent spécifiquement sur la question épistémologique) et de décrire très simplement toutes les tendances qui traversent le champs islamologique.

J’apprécie aussi le fait de ne pas ignorer des tendances originales comme celle de la théologie de libération de Farid Esack ou l’idée de contextualisation de Mahmoud Taha..
Votre désaccord avec M. Arkoun sur son appel à l’imaginaire afin qu’il soit le seul substratum pour légitimer le recours à la religion et pour lui dire ainsi, que « le fait islamique » semble prendre à l’islam tout ce que lui a donné le « fait coranique » et que ceci n’est en fait qu’une démonstration par l’absurde –peut-être non voulue- que l’islam n’a plus de place sur le plan de l’épistémologie du 21ème siecle.

Votre mise en doute de l’idée selon laquelle la transcription d’un discours oral le fait perdre son contenu symbolique ou sémiotique…

La nécessité pour les intellectuels musulmans d’accepter de discuter les idées et les contributions des orientalistes car sans cette ouverture, tout appel à la tolérance, tout appel à l’étude du Turath que ce soit pour le critiquer ou pour s’en inspirer reste peu crédible et sans contenu.

Points que je ne vous accorde pas :

Là je recopie intégralement un passage de votre texte : «  Il faut en conclure que l’acte de foi du croyant concerne son attitude envers la révélation sur la relation de l’homme envers Dieu, et envers la signification, -au niveau du sacré- , du monde vu comme création et situé dans cette alliance entre Dieu et l’homme. La foi se base à titre primordial sur une tradition de confiance en Dieu, tradition qui a été transmise au Fidèle par la communauté des croyants, la foi ne se base pas sur quelque clairvoyance à propos de vérités appartenant au domaine des sciences naturelles. Les symboles de la foi, tout comme les formes concrètes de la révélation, ne renvoient qu’aux promesses divines impliquées dans l’acte de confiance du croyant en son Dieu, et ne renvoient pas aux connaissances scientifiques ou théosophiques ».

Je suis déçu que dans ce paragraphe-clé par rapport à votre pensée, et après les critiques judicieuses que vous avez opposé à la notion de narrativité, et de vision mythique isolément de toute référence empirique à l’histoire, voilà que revenez en fin pour limiter l’apport de la foi au seul « rapport de confiance » envers Dieu loin de toute conviction –et de clairvoyance- mais fondé uniquement dans la tradition transmise par « la communauté des croyants » . je trouve monsieur que votre combat contre l’épistémologie réductrice de Arkoun n’arrive pas à son terme et je crains que vous n’ayez pas supporté la critique historique à propos de la supposée résurrection du Christ et que ce soit pour cela vous aviez accepté une concession secrète avec vos coreligionnaires (chrétiens) –tout comme celle que vous décriviez chez ARKOUN- et ainsi vous avez regagné la tribune de ceux qui prônent la réduction de la foi à une dite alliance avec Dieu, voire une éthique déiste ou tout simplement un récit narratif relaté par la tradition des croyants…

Une telle conclusion, est trop belle pour un intellectuel qui veut avoir la paix avec son entendement et ménager une confrontation pourtant nécessaire avec l’épistémologie agnostique des Lumières, cette étape de la pensée moderne très adorée par mr Arkoun qui choisit de réduire l’épopée de l’esprit occidental à la seule question relativement récente de laïcisation et de non étatisation.

Je vous invite mr Arkoun et vous-même, comme je l’ai fait dans mon livre –manifeste de la modernité complémentaire- à employer votre savoir très précieux pour rechercher plus loin que Meskawayh , Averroès et Levinas les fondements d’une pensée moderne unidimensionnelle qui devrait être remise en cause par tous les penseurs de notre temps qui voudraient forger un esprit scientifique réellement nouveau et qui ne s’abaisseraient pas devant les appels à la guerre de quelque rive qu’il proviennent.